À la suite de notre dossier du mois dernier consacré au 50e anniversaire de la réforme liturgique, l’abbé Claude Barthe a souhaité réagir aux deux articles où nous avions critiqué son livre, La messe de Vatican II. C’est bien volontiers que nous lui ouvrons nos colonnes. Nous faisons suivre sa réaction de notre réponse.
La Nef a consacré à l’analyse de mon ouvrage La Messe de Vatican II. Dossier historique (Via Romana, 2019), une place importante. Qu’il me soit permis de regretter, plus que la vivacité des attaques de Christophe Geffroy et de l’abbé Gouyaud, le fait qu’ils ne soient pas entrés dans le contenu de ma critique (affaiblissement doctrinal du nouveau rite sur un certain nombre de points argumentés). L’argument d’autorité invoqué (l’Église ne peut donner un missel intrinsèquement déficient) dispense d’autant moins de la réfutation théologique de ce que j’avance, qu’en l’espèce je doute qu’il puisse être invoqué, puisque je défends que le nouveau rite, dans sa diversité native, entend se présenter sur un registre inférieur à la suprême autorité, autrement dit que la lex orandi, elle aussi, a adopté un mode « pastoral ».
Quoi qu’il en soit du fond de mon propos, je voudrais préciser ma pensée à propos de la « réforme de la réforme », prônée notamment par Joseph Ratzinger, cardinal puis pape, que loin de rejeter, j’ai défendue dans un petit ouvrage : La Messe à l’endroit. Un nouveau mouvement liturgique (Éditions de L’Homme Nouveau, 2010). J’emploie l’expression de « réforme de la réforme », pour ma part, comme qualifiant une volonté d’involution : réformer la réforme de Paul VI dans un sens traditionnel. Elle se distingue, me semble-t-il, de la visée de « restauration », en tout cas entendue comme la recherche d’une célébration plus digne et sans abus. Concrètement, la « réforme de la réforme » se traduit par le choix systématique mais généralement graduel, des possibilités les plus traditionnelles offertes par le nouveau missel (usage maximal du latin, prière eucharistique I, célébration face au Seigneur, communion sur les lèvres), et aussi – il faudrait de la place pour en démontrer la légitimité – par l’insertion dans la messe nouvelle de l’offertoire de la messe traditionnelle.
Cette démarche a été encouragée verbalement d’en haut (cardinal Ratzinger, cardinal Sarah), mais n’a jamais bénéficié d’une impulsion de gouvernement. Elle est, pour l’instant, le fait de prêtres de terrain, pas très nombreux mais courageux (il faut du courage pour simplement retourner l’autel paroissial lors de la messe dominicale), lesquels, pour la plupart, célèbrent aussi la messe traditionnelle, qui leur sert concrètement de référence dans leur œuvre de rectification.
Lorsqu’on réfléchit à une sortie de la situation dans laquelle l’Église est plongée depuis environ un demi-siècle, dont les fruits institutionnels sont, en Occident, ceux d’une faillite consommée (vocations, vie religieuse, pratique), et dont les fruits quant à la foi sont partout désastreux (religion sans colonne vertébrale dogmatique), on peut concrètement imaginer un processus de transition, qui serait adopté par un certain nombre d’évêques et, aussi vite que possible, pris en charge par le pape. La transition liturgique ayant – lex orandi, lex credendi – vocation d’accompagner, et même de normer, ce mouvement de « retour ».
Il me semble clair, en effet, que l’adoption de réformes du culte en consonance avec les requêtes de la modernité (affaiblissement de la compréhension de la messe comme sacrifice ; gommage de son caractère hiérarchique ; amoindrissement de l’adoration vis-à-vis de la présence réelle ; immanentisation du rituel ; etc.) a été pour le peuple fidèle la traduction concrète et palpable d’une sorte de capitulation dogmatique. Inversement, le retour progressif, dans la liturgie des paroisses ordinaires, de la célébration face au Seigneur, de la ritualité latine sacrée, des textes traditionnels explicitant le caractère sacrificiel de l’action liturgique, du mode d’adoration entourant les espèces eucharistiques, serait la traduction efficace, pour user de l’analogie sacramentelle, d’une rectification de la prédication, d’une restauration de l’enseignement, et du point de vue moral et disciplinaire, d’une vraie réforme de l’Église.
Quand bien même, d’ailleurs, un certain nombre de défenseurs de la liturgie traditionnelle ne suivraient pas mon diagnostic de fond, ils ne pourraient que convenir, me semble-t-il, du bien-fondé de la médication progressive que j’imagine.
Abbé Claude Barthe
Réponse à l’abbé Claude Barthe
Nous remercions l’abbé Claude Barthe de sa réponse courtoise. La « vivacité [de nos] attaques » témoigne de l’intérêt suscité par son livre, lequel est lui-même d’une grande violence contre la messe réformée par Paul VI. Rappelons que le grief principal que nous faisons au positionnement de l’abbé Barthe est de ramener l’intérêt pour la forme extraordinaire à la problématique des années 1970-1990, à savoir lier la défense de l’ancien missel au refus du Novus Ordo Missae (et, souvent aussi, au rejet des « nouveautés » du concile Vatican II), alors même que tout l’effort de Benoît XVI était au contraire de déconnecter cet intérêt de ce refus. L’abbé Barthe aime parler d’« involution » et il s’agit, en l’espèce, d’une véritable régression.
On retrouve de fait, dans sa réponse, l’accusation d’un « affaiblissement doctrinal du nouveau rite ». L’abbé Barthe semble majorer, ici, la portée de l’adage lex orandi, lex credendi en comprenant la liturgie comme une profession de foi. Si tel était le cas, il n’y aurait pas de Credo à la messe dominicale ! Le rapport entre la foi et la liturgie ne se réalise pas à travers des définitions dogmatiques dans la célébration du culte. Dans tout rite, on pourrait suspecter des formules affaiblies, comme, par exemple, dans l’Orate fratres, où l’expression ut meum ac vestrum sacrificium pourrait suggérer une indistinction entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce baptismal ! Péguy disait que « la liturgie, c’est de la théologie détendue » et non un concentré dogmatique. De toute façon, à partir de quand, sur l’échelle de « Richter liturgique », l’abbé Barthe estime-t-il qu’un rite est « doctrinalement déficient » ? La liturgie est symbolique et non discursive, et tout symbole a une part d’ambivalence non nécessairement réductible à l’ambiguïté.
La question de l’autorité
Comme souvent dans ses argumentations, l’abbé Barthe pose la question de l’autorité : « le nouveau rite, dans sa diversité native, entend se présenter dans un registre inférieur à la suprême autorité », précisant que « la lex orandi, elle aussi, a adopté un mode pastoral ». Dans ses différents ouvrages et articles, l’abbé Barthe joue sur l’opposition supposée entre le pastoral et le doctrinal, récusant l’autorité d’un Magistère qui ne serait pas définitoire et mettant en cause le Magistère ordinaire universel définitif. Si l’on peut lui concéder que la dichotomie entre le pastoral et le doctrinal n’a sans doute jamais été aussi exacerbée qu’aujourd’hui, on ne peut dénier à l’autorité ecclésiale son investissement dans la promulgation d’un livre liturgique, avec la garantie, certes négative, que cela implique. S’il est un domaine où « l’argument d’autorité » qu’il nous reproche d’utiliser a un sens, c’est bien dans celui de la liturgie qui nous est donnée par l’Église et que nous avons à recevoir. C’est la raison pour laquelle l’exclusivisme liturgique pose tant de problèmes ecclésiologiques.
On reconnaît volontiers à l’abbé Barthe son sens du bien commun de l’Église quand il s’intéresse à la manière de faire « involuer » le nouveau rite à partir du « choix systématique […] des possibilités les plus traditionnelles offertes par le nouveau missel ». Des prêtres, comme le regretté abbé Chanut, y ont excellé et il semble que de hauts prélats le souhaitent aussi. Il s’agit, au fond, d’utiliser la part d’arbitraire que l’on reproche à la forme ordinaire pour la faire muter en forme extraordinaire. Mais, d’une part, le concept d’« involution », certes graduelle et progressive, laisse clairement entendre que le terme de ce processus est d’en revenir purement et simplement au missel d’antan ; d’autre part, l’abbé Barthe s’intéresse uniquement à la « réforme de la réforme », c’est-à-dire au changement du nouveau rite, et nullement à l’« enrichissement réciproque » qui vise aussi l’amélioration de l’ancien rite, congelé par certains en 1962, comme si ses déficiences que nous avons soulignées dans nos articles, n’avaient pas précisément donné lieu… à la réforme liturgique.
Abbé Christian Gouyaud et Christophe Geffroy
© LA NEF n°316 Juillet-Août 2019