Le retour de l’ordre moral

ÉDITORIAL

S’il est une chose du passé honnie c’est bien la notion d’« ordre moral », ordre moral qui a certes eu ses incontestables travers sous la domination bourgeoise du XIXe siècle, mais qui n’a pas non plus été la caricature que l’on en a faite a posteriori, comme pour mieux se persuader qu’aujourd’hui est forcément toujours mieux qu’hier ! Ce qui est risible, c’est que nos bien-pensants si réfractaires à l’« ordre moral » sont parvenus, sous couvert de « progrès » et d’« ouverture », à imposer un nouvel ordre moral plus étouffant encore que celui qu’ils dénoncent avec fougue et sans doute sincérité.

Un moralisme envahissant sévit désormais partout, il pourchasse, stigmatise et élimine avec une impitoyable rigueur toute pensée déviante selon une vision manichéenne du bien et du mal. Le dogme sacré de cette morale est l’égalité et son corollaire, la lutte contre toutes les discriminations, sans distinction de celles qui pourraient être légitimes, nécessaires ou naturelles. Et tous les opposants au dogme nouveau sont forcément des malades victimes d’une « phobie », avec lesquels on ne discute pas et que l’on « criminalise » avec des lois ad hoc.

La « PMA pour toutes » : un cas d’école

Nous en avons eu un cas d’école cet été avec le projet du gouvernement d’instituer la « PMA pour toutes » : il n’y a pas de débat possible ; on a beau rappeler que la médecine n’a pas pour fin d’établir l’égalité, mais de guérir et soulager des malades, rien n’y fait, s’y opposer relève nécessairement de l’homophobie. Ce moralisme prend aussi parfois un tour amusant et ridicule lorsque les néo-féministes en viennent à réclamer la fin des hôtesses sur les podiums du Tour de France en tant que « tradition sexiste ».

D’une façon plus générale, le contenu de la nouvelle morale est simple et tourne autour de quelques sujets obsessionnels :

– Les « avancées » sociétales comme autant de nouveaux droits de l’homme : reconnaissance de la théorie du genre (et donc de la liberté de décider de son genre), du « mariage » entre personnes de même sexe, de la PMA et GPA pour tous (avec l’eugénisme et la marchandisation de l’enfant qui les accompagnent), de l’euthanasie, sans parler d’« acquis » plus anciens comme l’avortement, plus intouchable à mesure qu’il s’étend.

– Le multiculturalisme avec l’effacement des frontières et des nations, l’immigration massive, avec l’islam qu’il importe, étant regardé comme un bienfait, ainsi que la mondialisation qui s’opère sous l’égide d’un libéralisme débridé (financier notamment) qui ne supporte aucune limite (cf. le CETA).

– Ajoutons la religion du climat (étrangère à l’écologie véritable contraire au modèle consumériste actuel) qui a trouvé en Greta Thunberg, l’ado déguisée en fillette, sa nouvelle prophétesse devant laquelle les grands de ce monde s’inclinent ridiculement ! Son message culpabilisant répand la peur, sentiment habituellement fustigé comme le signe d’un esprit fermé, mais qui devient soudainement raisonnable lorsqu’il s’agit du climat.

Sur ces thèmes, la police de la pensée – le camp du bien – impose un politiquement correct d’une extrême virulence qui verrouille tout débat, toute prise de position contraire à ses dogmes – le camp du mal – étant immédiatement taxée d’homophobie, de machisme, de racisme, d’islamophobie, de populisme… discréditant les récalcitrants et les rejetant en dehors du débat public.

Un ordre moral inversé

C’est bien un retour à un « ordre moral » auquel nous assistons, sauf que cet ordre-là a été comme inversé : on relativise désormais ce qui n’était pas discutable (Dieu, la vie, la nature, le bien commun et même la culture) et l’on absolutise ce qui relève de la pure volonté et de choix contingents. En effet, la nouvelle morale est celle de la volonté toute-puissante qui décide souverainement du bien et du mal en fonction du désir de petites minorités qui font l’opinion. C’est une morale par définition instable, mouvante et potentiellement tyrannique, puisque c’est l’homme qui décrète subjectivement de son contenu (ou une majorité parlementaire de circonstance) quand la morale traditionnelle s’inscrivait dans la nature des choses et nous était donc donnée sans possibilité de la façonner à notre gré. Une morale qui s’appuie sur le divin ou la nature impose une limite au pouvoir de l’homme, elle est une protection indispensable pour éviter le dérapage totalitaire de la démocratie, d’où la nécessité de travailler à réhabiliter la loi morale naturelle.

Certes, on en est loin, mais nos sociétés sont tombées à un tel degré de déliquescence politique, sociale et morale, qu’il suffirait de peu de choses pour faire basculer les esprits, beaucoup étant las de voir combien on les trompe depuis trop longtemps. Et n’oublions pas que les fameuses avancées sociétales ne sont « populaires » qu’en raison d’une propagande effrénée digne d’un régime dictatorial, une véritable liberté dans les médias pourrait donc retourner l’opinion plus vite qu’on ne le croit.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°317 Septembre 2019