Christian Flavigny

Du besoin du père et de la mère

Pédopsychiatre et psychanalyste, le docteur Christian Flavigny nous alerte dans un essai vif et percutant (1). Entretien.

La Nef – Votre livre explique comment un débat fondamental sur ce qui constitue l’humain a été confisqué en raison d’une dérive victimaire : pourriez-vous nous l’expliquer ?
Christian Flavigny
– Les lois de bioéthique ont pour visée de concilier les progrès techniques avec les fondements de l’humain ; or leur prochaine révision ne tient pas compte de ceux-ci. L’enfant s’inscrit comme petit humain depuis une relation d’enfantement portée par ses père et mère, qui l’établit dans la cohérence d’un lien de filiation. Il s’y inscrit comme leur fils ou leur fille, en un processus psychique fondateur pour lui de sa raison d’être. Certains adultes s’affranchissent de ce principe, facteur de complication pour l’enfant ; mais l’essentiel est alors que les lois n’obturent pas sa compréhension possible de ce qui a amené sa venue au monde sans la relation d’un père et d’une mère. Or c’est ce qu’elles feraient si elles négligeaient de voir dans le petit être né à l’écart de la relation d’enfantement quelqu’un qui est privé d’une donnée fondatrice de sa vie personnelle. Elles chambouleraient la filiation, naguère socle crédible de la venue de l’enfant, filiation désormais « à la carte » et ayant perdu sa fonction de repère identitaire.
Cette dérive sociétale entérine un discours victimaire qui prétend que certain(e)s seraient lésé(e)s de la venue de l’enfant ; or c’est leur option de vie personnelle qui les met à l’écart de la relation d’enfantement, c’est-à-dire à l’écart de la rencontre d’incomplétude de chaque sexe à l’égard de la procréation. Accorder par les lois l’accès aux techniques médicales en contournement de la relation d’enfantement, c’est alors une posture sociétale de toute-puissance vis-à-vis de la venue de l’enfant : les conséquences en seraient inéluctables, car perturbant le principe régulateur de la relation parent-enfant, et ceci pour toutes les familles, du fait de l’effet collectif des lois. C’est donc tout l’équilibre de la relation entre les générations qui est menacé, s’il s’établissait depuis une toute-puissance et non depuis le lien de don et de dette symboliques nouant la transmission qui opère entre elles.

Les adeptes de la PMA et GPA affirment qu’un enfant élevé par deux « mères » ou deux « pères » ou seulement avec l’un d’eux est aussi heureux qu’un enfant élevé par son père et sa mère : quels sont les enjeux réels de cette question ?
Un enfant a besoin de bonheur mais aussi de cohérence pour fonder sa vie psychique et son rapport au monde. Qu’il soit privé soit de son père, soit de sa mère, cela peut résulter des aléas de la vie (un décès, un départ, une disparition, etc.) ; c’est alors une situation personnelle, source de souffrance possible, mais compréhensible et intégrable par l’enfant, même douloureusement, et avec la possibilité d’être aidé psychologiquement. Mais que les lois créent une telle situation, elles privent l’enfant de pouvoir en surmonter l’épreuve en lui imposant un discours convenu mais incohérent, bloquant sa réflexion intime : une personne seule ou deux personnes en union de même sexe ne peuvent avoir porté sa venue au monde. La compagne de même sexe n’est pas un deuxième parent (parent, du verbe pareo, parere = enfanter), le géniteur d’une fécondation ne suffit pas à faire un père.
Les fonctions de père et de mère sont complémentaires : la mère porte la relation de l’enfant à lui-même, c’est son privilège, déjà engagé lors de la grossesse puis par son lien particulier lors de l’allaitement et des premiers soins, où elle traduit à son enfant, dans un échange singulier, ce qu’elle comprend de ce qu’il exprime. Le père, extérieur à cette relation, permet à l’enfant de s’en dégager et de s’ouvrir aux autres. Ces fonctions sont tenues diversement par chaque femme, par chaque homme ; mais que les lois les ignorent et les disqualifient est un facteur de confusion préjudiciable, pour l’enfant concerné mais aussi pour tous les enfants. Car c’est altérer l’équilibre fondateur de toute famille.

En quoi la psychologie nous éclaire sur les relations entre les sexes et entre parents et enfants ?
La psychologie montre que l’enfant s’inscrit dans son propre sexe à partir d’une perception corporelle mais surtout en acceptant d’être de ce sexe, ce qui peut être difficile s’il ressent que ses parents l’auraient mieux aimé s’il était né de l’autre sexe. Elle apprend que le lien parent-enfant est un lien de transmission : un homme devient père depuis la relation qu’il eut enfant avec son propre père, qui lui fait référence pour s’occuper comme père de ses propres enfants.
Les lois récentes, notamment celle sur le « mariage pour tous » (2013), ont détruit l’accompagnement psychologique vers le rôle procréateur de parents, rôle qui engage pourtant une véritable mutation psychologique amenant à puiser à ce qui fut reçu en tant qu’enfant (la dette symbolique) pour réguler la relation de don (symbolique) fait à son enfant ; en cela elles sont désorganisatrices de l’équilibre de la vie familiale, au prétexte de distribuer le rôle de parents à des personnes qui le demandent mais à l’écart de la relation d’enfantement. Certes ces personnes peuvent élever, facette éducative du rôle parental ; encore faut-il que les lois n’assimilent pas leur démarche à un enfantement, facette filiative, ce qui formulerait un inconcevable. Or c’est ce qu’elles se proposent de faire, occultant une différence essentielle pour l’enfant au motif de « ne pas discriminer » les adultes. C’est bafouer le principe anthropologique sous prétexte de considérations « sociales », au risque d’entériner un principe de « production d’enfant » en place de l’enfantement. C’est répondre à faux aux situations d’enfants élevés par une personne seule ou deux personnes de même sexe ; et c’est désagréger le principe fondateur de l’équilibre de toutes les familles, et donc de la vie en société.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Christian Flavigny, Le débat confisqué. PMA, GPA, bioéthique, « genre », #metoo… un psychiatre alerte, Salvator, 2019, 188 pages, 17,90 €.

© LA NEF n°317 Septembre 2019