A la droite du peuple

La situation politique française actuelle est hautement paradoxale. L’apparence, d’abord. Il y aurait un nouveau bipolarisme remplaçant le vieux clivage droite/gauche, d’un côté une sorte de vaste centre incarné par LREM et Macron, confondant un pays et une entreprise, tout en étant incapable de la gérer correctement, de l’autre le RN, attentif à la souveraineté nationale, prétendument d’« extrême droite ». Une formule magique fumeuse qui ne respecte pas les sciences politiques, ces dernières sachant, lorsqu’elles ne militent pas, ce dont il s’agit : antiparlementarisme, rejet de la démocratie, goût pour la réaction passéiste, vision du monde fondée sur la « race », au sens biologique du terme, tentation du coup d’État, visées autoritaires et souvent références admiratives au fascisme italien ou au nazisme. Une formule appliquée à tout ce qui pense, parle ou écrit à droite en France et qui est un subterfuge, un colifichet effrayant au moment de chaque élection.

Une bipolarité bien réelle ?
Mondialistes contre populistes ? Cette conception induisant donc une disparition du clivage droite/gauche. Bien sûr, LREM est le courant politique mondialiste actif en France, le temps que Macron passe. Il n’est pas moins certain que le RN peut être qualifié de populiste, si l’on comprend ce mot au sens de souverainisme. Pourtant, si un tel clivage existe bel et bien, il n’est en réalité pas celui qui structure la vie politique française en profondeur. C’est avant tout un clivage qui rend service, en permettant au vaste centre du politiquement correct, dont l’amplitude s’étend de LREM à nombre de structures culturelles et éducatives, en premier lieu les médias, de se maintenir au pouvoir depuis maintenant quarante ans. Ce clivage apparent masque un clivage beaucoup plus ancien, anthropologique. Être de droite ou être de gauche, ce n’est pas la même chose. Le courant d’idées qui dirige actuellement la France penche de fait à gauche, faisant penser à ce que fut la droite du parti socialiste. C’est le libéralisme fanatique financier déconnecté du réel, héritier de l’époque de la gauche du fric de papa dont un Jack Lang est toujours l’incarnation, avec sa foi quasi religieuse en un prétendu Progrès (tout sera toujours mieux demain) lié à un relativisme fanatisé, le substrat même d’une mondialisation devenue malheureuse. La mondialisation et ses slogans de propagande – le libéralisme culturel fanatique et les échanges mondialisés font la croissance économique et la croissance économique fait le bonheur de tous, c’est-à-dire le Progrès – ne vivent que dans la tête et les portefeuilles des « élites » mondialisés. La fabuleuse promesse de lendemains qui devaient chanter, à commencer celle de l’UE, n’a pas été tenue. Nous attendions des emplois, nous avons l’ubérisation de nos vies. Depuis quarante ans, ce courant d’idées se maintient au pouvoir en inventant une « extrême droite », Jospin l’a avoué, qui n’existe que dans les mots.

Continuer à pousser les murs ?
Face à cette partie sans cesse rejouée, il y a une droite anthropologique. À ses yeux, il n’y a pas de branches sans arbres et pas d’arbres sans racines, une droite que l’on appelle souvent du beau mot de conservatrice car elle connaît l’actualité et même l’urgence de la primauté de la personne humaine sur l’individu, des racines, du présent et du futur ancrés sur les acquis humains hérités du passé, l’ineptie de l’ultra-individualisme et du désir absolutisé qui conduisent à la destruction des aires civilisationnelles et à l’obsession migratoire, ainsi qu’à la disparition du Bien commun, le refus du faux nez d’une égalité qui nie l’équité… Pour la droite anthropologique, la liberté individuelle, loin d’être illimitée, est une conséquence de l’ordre politique et non l’inverse.
Au fond, la déshumanisation en cours, y compris techno-scientifique, résulte du refus par l’humain de la Limite et de l’ordonnancement. Les apparences peuvent être trompeuses : ces idées et cette droite ne sont ni vieilles ni réacs, elles sont au contraire d’une actualité telle que l’on peut parler d’une « jeune droite », non pas au sens générationnel, car ce n’est pas question d’âge personnel, mais à celui de droite enracinée et consciente de son rôle à jouer, un rôle qu’elle assume médiatiquement et intellectuellement, à travers nombre de magazines, revues, interventions dans les médias, livres, discussions, mais qu’il lui faudra sans doute assumer aussi à la droite du peuple. Auprès des « gens », pour reprendre une terminologie issue de la gauche radicale américaine. Sauf à demeurer cette « jeune droite » qui a raison mais dont les mots ne changent pas la vie quotidienne.

Matthieu Baumier

Matthieu Baumier est collaborateur notamment de La Nef, de L’Incorrect et son dernier livre est : Voyage au bout des ruines libérales libertaires, Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 232 pages, 17 €.

© LA NEF n°321 Janvier 2020