Paysage du Wyoming © Pixabay

Gallmeister : littérature des grands espaces de l’Ouest américain

Gallmeister, vous connaissez ? Pour moi, c’était tout simplement l’éditeur français de Craig Johnson, auteur génial de la saga de Walt Longmire, le shérif du comté d’Absaroka dans le Wyoming. Grâce à Craig Johnson, nous avons pu découvrir peu à peu les autres titres de cette petite maison d’édition originale. Elle a été fondée par Olivier Gallmeister en 2005, lui-même grand dévoreur de romans anglo-saxons, qui s’est d’emblée spécialisé dans la traduction française du nature writing, un courant littéraire américain où nature et grands espaces occupent une place centrale. Choix qui s’est avéré judicieux, car ce courant était peu connu en France. Ainsi le succès a été au rendez-vous et Gallmeister publie aujourd’hui une vingtaine d’ouvrages en grand format chaque année et une trentaine dans sa collection de poche « Totem » (y compris des « classiques » comme Le dernier des Mohicans).

Mais revenons un instant à Craig Johnson, puisque l’éditeur nous propose le douzième opus de la saga, Dry Bones (1). Longmire doit ici résoudre une singulière affaire, celle de la mort violente du propriétaire indien d’une terre où a été découvert un immense T.Rex (dinausore) qui suscite bien des convoitises en raison de la valeur financière qu’il représente. Enquête perturbée par le fait que notre shérif préféré voit le FBI débarquer et sa fille Cady marquée par un drame familial. On retrouve ce qui fait le charme des livres de Craig Johnson : le côté attachant des personnages auxquels l’auteur insuffle une réelle épaisseur humaine, l’humour du héros et de son incontournable ami, l’Indien Henry Standing Bear, l’atmosphère si bien rendu de l’immense et grandiose Wyoming, une histoire bien ficelée et, par-dessus tout, une belle qualité littéraire. Ajoutons que tous les livres Gallmeister sont toujours très soigneusement édités et mis en page, c’est un point qui mérite d’être signalé.

Restons dans le domaine policier avec un auteur trop tôt disparu : William G. Tapply (décédé en 2009). Il a créé le personnage de Stoney Calhoun, homme sans passé après avoir perdu la mémoire à la suite d’un accident de montagne. Il mène désormais une vie paisible de guide de pêche dans les bois du Maine. Il se retrouve néanmoins toujours mêlé à des meurtres qui contribuent à lui faire revenir la mémoire et la luxuriante nature du Maine y tient toujours un rôle important. Trois romans sont parus, tous dans cette sympathique ambiance des forêts et lacs du Maine (2).

Toujours dans le domaine policier, signalons Keith McCafferty, passionné de pêche et dont les histoires ont comme cadre les rivières à truites du Montana. C’est l’intrépide shérif Martha Ettinger qui enquête, aidé par l’improbable Sean Stranahan, pêcheur invétéré, peintre et lui-même ex-détective privé venu chercher le calme après une douloureuse séparation. La pêche, soigneusement décrite, occupe une place centrale dans ces romans. Deux opus de cet auteur sont sortis à ce jour (3).

Concluons ce petit tour d’horizon du « polar » avec Meurtres à Willow Pond de Ned Crabb (4). Retour ici dans le Maine dans le cadre très happy few d’un luxueux lodge dont la richissime propriétaire est assassinée. On se retrouve dans un huis clos à la Agatha Christie où tout le monde avait une bonne raison de vouloir faire disparaître cette femme détestable. Ici, tout est dans l’atmosphère et l’ambiance pimentées d’un humour féroce.

Gallmeister, cependant, ne propose pas que des romans policiers. Il compte dans son catalogue des auteurs américains de premier plan. Jim Lynch, dans Face au vent (5), narre la tentation de retrouvailles d’une famille originale de trois enfants, tous passionnés de voile : entre ceux qui construisent les bateaux, ceux les entretiennent ou les mènent dans les courses, la vie et les incompréhensions les ont éloignés les uns des autres. Roman attachant où l’auteur nous mène du rire aux larmes dans le cadre de la baie de Seattle.

Enfin, j’ai gardé pour la fin l’un des auteurs les plus profonds de la maison : Pete Fromm. Nous l’avons découvert dans Le nom des étoiles (6), merveilleux récit d’une expérience d’un mois au cœur de la Bob Marshall Wilderness (Montana) afin de surveiller la croissance des œufs de poissons. Ce récit, jamais ennuyeux, est l’occasion de nombreux retours sur son enfance, de réflexions sur la paternité et sur les rapports entre l’homme et la nature. Puis il y a Mon désir le plus ardent (7) qui narre (dans le Wyoming) l’amour fou de Maddy et Dalt jusqu’au jour où ils apprennent en même temps que Maddy est enceinte et atteinte d’une sclérose en plaques. Bouleversant sans aucun pathos. Enfin, La vie en chantier (8) est comme le complément du précédent, il démarre là où l’autre finissait : Marnie et Taz (menuisier) tirent le diable par la queue mais sont heureux et reconstruisent leur maison du Montana en attendant la venue de leur bébé. Mais Marnie meurt en couches et Taz se retrouve seul et désespéré avec ce petit être – enfin pas tout à fait seul car l’ami Rudy et la baby-sitter Elmo vont réussir à lui redonner le goût de vivre : c’est un roman vraiment magnifique !

Il nous est arrivé de ne pas apprécier certains livres de Gallmeister dont nous n’avons pas parlé ici, mais aucun n’était médiocre, tous ont une réelle qualité littéraire : il y a peu d’éditeurs à qui l’on puisse faire un tel compliment.

Christophe Geffroy

(1) 2019, 348 pages, 23,20 €.
(2) Dérive sanglante, Totem 2012, 302 pages, 10 €. Casco Bay, Totem 2014, 360 pages, 10 €. Dark Tiger, Totem 2015, 310 pages, 10 €.
(3) Meurtres sur la Madison, 2018, 380 pages, 23,50 €. Les morts de Bear Creek, 2019, 376 pages, 23,50 €.
(4) Totem 2018, 410 pages, 10,80 €.
(5) 2018, 364 pages, 23,20 €.
(6) 2016, 272 pages, 23 €.
(7) 2018, 286 pages, 22,70 €.
(8) 2019, 384 pages, 23,60 €.

© LA NEF n°320 Décembre 2019