Asia Bibi

Persécutés et oubliés ?

Benoît de Blanpré est, depuis novembre 2019, le nouveau directeur de l’Aide à l’Église en Détresse (AED) où il succède à Marc Fromager. Il nous présente ici le dernier rapport de l’AED sur les chrétiens persécutés à travers le monde.

La Nef – Vous venez d’être nommé à la direction de l’AED/France : quels sont vos projets pour l’AED ?
Benoît de Blanpré
– Mes projets, ce sont ceux que porte l’AED au quotidien ! 5019, précisément, rien que l’an dernier ! Il y a la participation à la reconstruction d’églises en Irak, en Syrie, des aides à la formation de clercs, la fourniture de véhicules pour que des prêtres puissent porter les sacrements dans les régions les plus reculées…
Au Venezuela ou en Érythrée, l’Église est la seule institution qui s’occupe des populations les plus défavorisées. Les religieux ou les laïcs engagés sont des leviers extraordinaires pour venir en aide aux plus pauvres. Ils ont parfois besoin de très peu de choses, un soutien financier même minime peut être très agissant.
Mon projet, c’est de soutenir un homme comme Tony Perreira, par exemple. C’est un cuisinier vénézuélien talentueux qui, avant ses journées de travail, concocte de grandes marmites à destination des indigents de sa paroisse. Tony a juste besoin qu’on l’aide à acheter le riz et les poulets qui lui permettront de nourrir ses compatriotes. Alors mon projet, c’est de faire en sorte qu’il ait de quoi faire bouillir ses marmites en perpétuant, en agrandissant, l’œuvre de mes prédécesseurs à l’AED.
Nous avons besoin d’argent pour soutenir tous ces projets au service des chrétiens en détresse. L’AED France a connu une croissance remarquable durant les vingt dernières années. Toutefois, depuis 2017, cette belle croissance s’est tassée, et nous devons retrouver, avec le soutien de nos bienfaiteurs, une dynamique.

L’AED vient de publier son rapport annuel sur les chrétiens persécutés dans le monde : comment définiriez-vous leur situation en quelques mots, quels sont les points les plus chauds ?
Il y a malheureusement des pays qui sont des cancres en matière de respect de la liberté religieuse… En particulier la Corée du Nord ou l’Arabie Saoudite. Mais nous tenons dans ce rapport à souligner plus spécifiquement le cas des pays dans lesquels l’intolérance religieuse croît. C’est le cas dans les pays du Sahel, où des régions qui se caractérisaient par une bonne entente entre les communautés chrétienne, musulmane et animiste sont le théâtre d’affrontement à fondement religieux. Au Burkina Faso en particulier, des islamistes terroristes font tout leur possible pour déclencher un affrontement interreligieux.
Au Proche-Orient, la situation demeure extrêmement tendue, mais les chrétiens ne font plus l’objet d’une persécution systématique comme au temps de la domination de Daech.
En revanche, les politiques de pays comme l’Inde et la Chine nous préoccupent au plus haut point. Dans ces pays, l’Église est perçue par les gouvernements comme un élément exogène, gênant, un danger pour l’identité du pays.

Comment évolue cette situation des chrétiens, quels sont les faits nouveaux les plus marquants de cette année 2019 ?
L’année 2019 a été, bien entendu, marquée par la série d’attentats menés contre des chrétiens au Sri Lanka. 321 morts ! Et cela dans un pays qui n’avait jamais connu d’attentats de ce type.
Les élections législatives en Inde d’avril et mai ont été une autre mauvaise nouvelle pour les chrétiens. Le BJP, parti du Premier ministre Narendra Modi, a été confirmé dans ses positions. Les extrémistes hindous se sentent confortés dans leur volonté de supprimer les minorités religieuses.

Pourquoi le christianisme est-il aujourd’hui la religion la plus persécutée dans le monde ?
Il y a une raison simplement comptable : les chrétiens sont la communauté religieuse la plus nombreuse au monde. Mais il y a plus. En cette période où des nations et des groupes religieux fanatiques réagissent violemment à la mondialisation, perçue comme occidentale, les chrétiens sont des cibles privilégiées. C’est par exemple évident dans le cas des attentats du Sri Lanka. Le pays compte une large majorité bouddhiste, près de 68 %, suivie par des hindous, 13 %. Or des extrémistes musulmans ont ciblé les chrétiens, qui ne représentent que 9 % de la population. En tuant des chrétiens, les terroristes visaient l’Occident. Enfin, d’une façon plus fondamentale et spirituelle, l’Évangile nous avertit que ceux qui le proclament seront haïs.

Nous vivons une époque de « surenchère » de la « victimisation » : les chrétiens doivent-ils entrer dans cette logique ?
Ce n’est pas parce qu’un mot est galvaudé que la réalité qu’il recouvre cesse d’exister. Des chrétiens sont effectivement victimes de discriminations qui les empêchent de vivre librement leur foi. Il n’y a jamais eu autant de martyrs que de nos jours !

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Persécutés et oubliés ? Un rapport sur les chrétiens opprimés pour leur foi 2017-2019, AED, 2019, 66 pages, 10 €.

© LA NEF n°321 Janvier 2020