Gabriel Matzneff en 1983 © Florence-Kirastinnicos-Commons.wikimedia.org

De quoi Matzneff est-il le nom ?

Le 2 janvier 2020, Vanessa Springora publiait Le consentement chez Grasset (1), un livre bouleversant par lequel elle raconte comment son adolescence a été vécue sous la coupe d’un prédateur sexuel, pédophile et criminel : Gabriel Matzneff. Ce que fut l’écrivain en tant qu’homme, peu de ceux qui étaient adoubés dans le Paris intellectuel, littéraire et médiatique des années 70 à 90 du siècle passé l’ignoraient : Matzneff se promenait dans les rues avec ses « minettes », selon Pivot, et racontait sa « sexualité » dans les seize tomes de son « journal ». Pour saisir sa souffrance, il suffira de lire la façon dont Vanessa Springora raconte son « initiation sexuelle », des mots prononcés par le pédophile ce jour-là, entre autres mots « rassurants », se targuant de son « expertise » en matière de « défloraison » sodomite ou de la « chance » que l’adolescente de 14 ans aurait eue à se retrouver entre ses mains plutôt qu’entre celles d’un « salaud », conception qu’il exprimera pour la RTBF en 1993 – images qui le montrent bouche bée à l’évocation de sa pédophilie tarifée aux Philippines avec des gamins de 8 ans. Le livre parle d’une adolescente rencontrée à 13 ans et abusée sexuellement à 14. Quiconque a des enfants sait que cet âge reste âge de l’enfance. Des enfants ? Ce n’était guère fréquent dans un milieu intellectuel consacré à la « libération » de toutes les sexualités autres qu’hétérosexuelles. Par exemple, être homo était alors une porte d’entrée au Monde des Livres ou à Libération. Une époque préparant la nôtre, « libérant » la diversité des sexualités avant celle des « identités », puis se « libérant » du mariage avant de le revendiquer, pour enfin imposer la PMA en attendant la future GPA.

Des élites indignes déconnectées
Et la pédophilie « acceptée », non par tout un chacun comme on peut le lire aujourd’hui dans les colonnes des journaux qui la défendaient alors, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Libération et ses petites annonces de pédophiles recrutant leurs victimes, où sa publication en 1979 de la tribune du pédophile Jacques Dugué, alors déjà condamné, puis encore condamné en 2002, cette fois à trente ans, comme violeur et animateur d’un vaste réseau de pédophiles, était déjà un crime qui dégoûtait le sens commun. Ce même Dugué en faveur duquel témoigna Matzneff. Proximités partout. Un exemple ? L’appel de Matzneff paru dans Le Monde en mai 1977 pour faciliter les relations sexuelles entre adultes et mineurs a été signé par bien des gens de gauche, dont Catherine Millet, auteur du peu ragoûtant La vie sexuelle de Catherine M. Défendre Matzneff était, est toujours, s’inscrire dans cette histoire-là, ces sales histoires-là, pas dans l’histoire de la littérature. L’écrivain a bénéficié de nombreux soutiens, parfois à droite, au nom de « l’anticonformisme » ou de « l’esthétisme païen », mais surtout à gauche, dans ce Paris né de l’ère Mitterrand, dont il était l’ami, ère dominée par les Deleuze, Jack Lang, Josyane Savigneau, patronne du Monde des Livres tricotant et détricotant les carrières littéraires, Philippe Sollers, Kouchner, Derrida ou Pierre Bergé. Un « milieu », au sens sale de ce mot. Un cloaque qui confondit plus tard plug anal et œuvre d’art place Vendôme. Ce Paris-là savait la pédophilie de Matzneff, la défendait et en admirait le style. Les adolescentes en masse dans son lit, les gamins de huit ans payés pour satisfaire son tourisme sexuel.

Le tout-Paris, une fête progressiste
Paris était une fête progressiste, c’est de cela dont « l’affaire Matzneff » est le nom. La gauche intellectuelle, qui défendait ses livres, dénonçait par ailleurs toute idée conservatrice, voyait des fascistes partout, censurait Peter Handke, s’indignant encore, il y a peu, quand l’écrivain autrichien reçut le prix Nobel de littérature, et faisait la morale depuis des appartements de fonction où les partouzes étaient une norme.
Ainsi Vanessa Springora aura osé l’écrire : Matzneff est un pédophile. Il eut été déjà possible de l’écrire naguère, sans la complicité idéologique ambiante. Elle qui fut cette enfant livrée par « tous les orifices » et par le tout-Paris des lettres à un homme ayant pignon sur rue littéraire. Dire de quoi Matzneff est le nom. Un écrivain, peut-être – une question d’opinion. Un pédophile et un criminel assurément : ses livres l’avouent. Peut-on alors débattre sur la séparation entre l’œuvre et l’homme, comme on le fait pour Céline ? Les cas sont différents et Vanessa Springora, dont Le Consentement demeurera comme le grand livre de la dénonciation des souffrances de l’enfance victime des pédophiles, le dit : ses actes ignominieux furent la matière de ses livres, pas le contraire. Avec la complicité de « progressistes » dont les héritiers occupent toujours le devant de la scène. Matzneff est maintenant le nom enfin avoué d’un crime, et ses amis ou soutiens devraient avoir la décence de se taire.

Matthieu Baumier

© LA NEF n°322 Février 2020