On connaît la pensée de Péguy : « Le moderne prépare sa retraite comme le chrétien son salut. » Le temps ne fait que vérifier cette terrible vérité. Fidèle à elle-même, la France contemporaine s’entre-tue depuis un mois sur le sort à réserver aux retraites, aux retraités et aux générations futures. Sujet dont on ne dira pas qu’il est entièrement inintéressant, si l’on pense entre autres aux travailleurs dont les tâches sont pénibles, et donc on aimerait qu’ils continuent d’être protégés – mais certainement pas les conducteurs de la RATP. Sujet essentiel même dans la conception française de l’État et des relations sociales, centralisées, où chacun est responsable du reste des habitants de sa nation.
Mais tout de même : durant que le reste du monde est en proie à des convulsions puissantes, que tout change, ici l’on combat encore pour défendre de vieilles lunes. Que l’on nous entende bien : la résistance de ce cher pays aux outrages libéraux est respectable, même admirable. Cependant, lorsque le Royaume-Uni vote pour la troisième fois pour son Brexit sous la houlette du fantasque et intrigant Boris Johnson, prenant sciemment, volontairement, définitivement le large vis-à-vis de cette fausse Europe angoissante ; quand partout ailleurs, en Pologne, en Hongrie, en Russie, aux États-Unis, au Brésil, les peuples et leur représentation tentent d’inventer de nouveaux modes de gouvernement et se posent des questions que l’on pourrait dire métaphysiques, sans souhaiter salir ce grand mot ; quand l’Afrique, la Chine, le monde arabe-musulman sont en train d’imposer leur présence, soit par la démographie, soit par la puissance, soit par les armes ; nous autres, grands et petits Français, débattons de points de retraite. Nous autres écopons du libéralisme de gauche (y en a-t-il un de droite ? la question reste posée) d’Emmanuel Macron et de son camarade Édouard Philippe qui vont nous apprendre, n’en doutons pas, l’ordre comptable, la restauration des comptes publics et la vertu budgétaire.
Revenir à l’essentiel !
Passionnant programme qui répondra certainement aux grandes questions de l’époque. Question identitaire, question religieuse, question civilisationnelle : c’est sans doute cela, ces questions-ci, que la France brûle de poser et de se poser mais sans oser le faire. Alors elle explose régulièrement et médiocrement en Gilets jaunes, en manifs syndicales, mais toujours le regard collé à son taux de croissance et à son barème de retraite. Nous sommes assez peu riche nous-même pour en parler sans qu’il y ait quelque mépris là-dedans : mais enfin, nous méritons, nous Français, nous humains, un peu plus de rêve que des sempiternels débats sur qu’est-ce qu’on va gagner à la fin du mois, et y aura-t-il de la dinde à Noël. Nous méritons peut-être autre chose que La République en marche qui promet de disrupter notre mode de vie et de nous changer tous en directeurs de startup. Peut-être méritons-nous de nous poser des questions théologiques, philosophiques, politiques, de réélaborer notre destinée, de savoir ce que France et chrétienté veulent encore dire aujourd’hui ; peut-être la France mériterait-elle d’avoir d’autres gouvernants, d’autres intellectuels, d’autres maîtres que ceux à qui nous avons laissé les rênes de nos destinées.
Peut-être pourrions-nous repenser notre vocation civilisatrice et d’abord celle de nos enfants eux-mêmes, peut-être devrions-nous refuser de nous laisser cantonner dans des ergotages lourds et stériles pour savoir qui va payer quoi, et imaginer à nouveau que nous avons été libérés, par le Christ et par l’Église, et que c’est une mission que de transmettre cette vérité.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°321 Janvier 2020