L'Assemblée nationale © Richard Ying et Tangui Morlier-Commons.wikimedia.org

De la lâcheté

L’humain nous étonne longtemps, jusqu’à ce que sa mécanique nous apparaisse en pleine lumière, comme si l’ayant passé aux rayons X se découpait sa carcasse interne. Et c’est rarement beau. C’est répétitif, sans ressort, allant à l’intérêt par le chemin le plus court possible, appâté par deux ou trois passions, guère plus. Enfin, Balzac a montré tout cela de manière merveilleuse. Mais parmi toute cette banalité, ce qui étonne le plus longtemps, c’est sans doute la lâcheté de l’être humain. Répandue un peu partout, elle n’est pourtant nulle part plus visible que dans la matière politique, étrangement si l’on considère que celle-ci serait un prolongement de la guerre et requerrait en conséquence quelque courage. Mais non, c’est tout à l’inverse. Vous qui entrez en politique, abandonnez tout courage et tout honneur.
Une nouvelle preuve nous en est administrée à l’occasion des futures municipales : des candidats figurant sur des listes du parti macroniste ou apparenté et venus, bizarrement, des Républicains sont sommés, après être traqués et dénoncés par un compte twitter (anonyme, bien sûr), de renier leur engagement jadis en faveur de La Manif pour tous. Le comité de salut public n’est pas loin : on fait des listes et on affiche en place publique les pécheurs passés. Que pensez-vous qu’il arrive dans ces circonstances ? Lesdits candidats font tous amende déshonorable et jurent leurs grands dieux, soit qu’on les y avait forcés, soit qu’ils n’avaient pas saisi les enjeux naguère, soit qu’ils ont guéri depuis de leur méchante homophobie.
Cet exemple, pris au milieu de mille autres, a au moins le mérite de rappeler crûment combien la politique, sous sa forme démocratique libérale, produit l’inverse de ce qu’elle souhaitait : non pas porter au pouvoir les meilleurs d’entre nous, ou les plus dévoués à la chose publique (quoique cela arrive tout de même incidemment, Dieu merci), mais favoriser la reproduction de la médiocrité en toute chose, et d’abord dans la vertu. Maurras l’avait dit en une phrase : « La République est le régime qui réclame le plus de vertu, et celui qui y pousse le moins. » On peut certes arguer de ce que ce phénomène est vieux comme le monde, et que le marigot politique a toujours drainé concussionnaires, pervers, menteurs et autres affabulateurs. Néanmoins, l’histoire prouve aussi qu’évidemment l’accroissement de la médiocrité dans le personnel politique induit la chute rapide du régime politique.

Où est l’élite politique nouvelle ?
La France est arrivée, on ne peut que le constater et non pas pour dire forcément que c’était mieux avant, à un moment de son histoire où non seulement les politiques font chaque jour la preuve de leur faiblesse, mais où encore on ne voit guère ce qui pourrait la sauver d’eux et d’où viendrait l’élite politique nouvelle. Non pas que le pays soit dépourvu entièrement de talents, mais qu’ils soient attirés généralement ailleurs que vers le service du bien commun. Soit vers les « affaires », soit vers le spectacle, soit encore vers la haute administration qui recèle en son sein de grands personnages, heureusement, mais que le jeu politique du charisme à tout prix exclut systématiquement de son paysage.
Que l’homme aille vers ce qu’il croit être son intérêt, cela encore n’est pas neuf, hélas ! Mais il est arrivé dans des temps antérieurs qu’on leur ait, par l’éducation, aussi appris le dévouement, le sacrifice de soi, enfin l’appétit de l’idéal. Où trouve-t-on aujourd’hui la promotion de la vertu ? Presque nulle part. Et ce n’est plus qu’à un jeu atroce de concurrence dans l’abjection que l’on a affaire. Ceux qui nous gouvernent en sont les témoins directs : Emmanuel Macron est certainement un esprit délié, et quoique l’on ne partage absolument pas sa vision de la France et du monde en général, rien ne permet d’affirmer qu’il n’ait pas en ligne de mire l’intérêt général. Mais autour de lui ? C’est un système solaire cerné d’astres morts. Nulle grande figure qui émerge, nulle pensée profonde, nul enthousiasme, nul génie.
Il est temps d’éduquer nos enfants, non seulement à la science et à la culture générale, mais aussi et surtout à la vertu, à l’héroïsme, à la grandeur.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°322 Février 2020