Manifestation « Marchons enfants ! » du 19 janvier 2020 © Michel Pourny

Pourquoi manifester ?

ÉDITORIAL

Le 19 janvier, une immense foule battait le pavé parisien. Composée pour l’essentiel de familles avec de très nombreux jeunes, cette foule bon enfant manifestait contre la loi bioéthique actuellement en discussion au Sénat, loi qui prévoit notamment la légalisation de la « PMA pour toutes » et une fragilisation accrue du statut de l’embryon rabaissé au rang de vulgaire objet de recherche. Nulle revendication personnelle ou défense d’intérêts catégoriels chez ces manifestants pacifiques, seulement le souci d’autrui – l’enfant –, de sa dignité et du bien commun, notion qui semble de plus en plus étrangère à la majorité de nos contemporains. Nulle violence également, pas d’accrochage avec la police, pas de vitrine brisée ni aucune volonté de paralyser le pays pour obtenir satisfaction.

Résultat ? Les politiques et les médias n’y attachent guère d’attention bien qu’il s’agisse d’une manifestation parmi les plus importantes de ces dix dernières années – ce n’est quand même pas anodin ! Même Le Figaro, qui devrait être plus sensible que d’autres quotidiens à ces enjeux, n’a consacré qu’un article insipide en page dix de son édition du lendemain !

Maintenir ces manifestations ?

Pourquoi, dès lors, maintenir de tels rassemblements qui semblent sans aucun effet concret – il y a d’autres choses plus agréables à faire le dimanche ?

Avant de répondre, je dirais que si certains ont des idées sur une façon plus efficace de contrer la « culture de mort » qui s’étend toujours plus, qu’ils n’hésitent pas à nous éclairer… En attendant, face à des projets de loi aussi contraire à la dignité de la personne et au bien commun, face à l’aveuglement ou l’indifférence qui règne sur ces sujets, c’est un devoir de conscience de faire entendre publiquement son opposition ; ne serait-ce que pour cette seule raison, il est légitime de témoigner par une présence aussi massive que possible dans la rue.

Ensuite, comment affirmer péremptoirement que ce combat ne sert à rien, qu’il ne porte pas de fruit ? Si l’on observe toutes les initiatives nées de La Manif pour tous depuis 2013, le moins que l’on puisse dire est que des actions nouvelles intéressantes se sont développées, qu’une prise de conscience s’est opérée chez beaucoup et qu’une dynamique est née. Ce n’est pas rien !

Certes, je l’ai déjà écrit (1), il est bien dommage que les organisateurs de « Marchons Enfants ! » ne réussissent pas à rassembler largement au-delà du monde catholique conservateur, notamment en touchant la « France périphérique » des Gilets jaunes, dont certains ne sont pas fermés aux thématiques sociétales. Alors que des personnalités importantes de gauche ont exprimé leur opposition à la « PMA pour toutes » (Sylviane Agacinski, José Bové, Dominique Bourg, Jacques Testart…), pourquoi aucune d’entre elles ne soutient cette manifestation ? De même, pourquoi n’y a-t-il pas de forts contingents de musulmans parmi les manifestants, pourquoi leurs dirigeants n’appellent-ils pas leurs coreligionnaires à les rejoindre ?… Si tel était le cas, inutile de dire que le gouvernement serait moins arrogant à l’égard de cette France qui défile paisiblement et commencerait à tenir compte de ce large mouvement de protestation.

Une apathie effrayante

L’apathie de la grande majorité face à ces sujets qui relèvent de l’éthique est assez effrayante, comme si ces évolutions étaient jugées inéluctables, moralement neutre (c’est la victoire du relativisme) et finalement sans grande influence sur la marche de la société – après tout, personne n’est obligé de recourir à une PMA, ça ne nous concerne pas, et pourquoi l’interdire à ceux qui veulent un enfant ! Mais, outre l’apathie ou l’indifférence, il y a aussi la peur entretenue par la tyrannie de la pensée unique progressiste. Non seulement elle ignore toutes les objections qui ont été faites à la loi bioéthique, escamote ou étouffe tout débat de fond, mais n’hésite pas à recourir à l’intimidation et à la violence contre ses opposants : on ne compte plus les conférences annulées dans les universités en raison de pressions de gauchistes particulièrement sectaires et intolérants (Alain Finkielkraut, Sylviane Agancinski, Geoffroy Lejeune et Charles Consigny… en ont été victimes).

Nos apprentis sorciers pensent agir dans le sens du progrès en manipulant l’humain pour satisfaire un désir d’enfant en soi légitime, mais en se focalisant sur ce désir sans vouloir examiner sérieusement le bien de l’enfant. Dans les années 70-80, les progressistes militaient pour la légalisation de la pédophilie sans se soucier des conséquences pour les malheureuses victimes mineures. Aujourd’hui, tout le monde l’exècre unanimement. En ira-t-il de même pour la PMA et la GPA ? Mais faudra-t-il attendre quarante ou cinquante ans pour que l’opinion se retourne et compren­ne enfin le crime abominable commis contre des enfants innocents, et avec quels dégâts à la clé ?

Christophe Geffroy

(1) Cf. « Manif du 6 octobre : beau succès, et après ? », La Nef n°319 Novembre 2019, p. 11.

© LA NEF n°322 Février 2020