Le coronavirus rouvre le débat sur l’avortement

En France comme aux États-Unis, l’épidémie de coronavirus oblige à hiérarchiser les opérations chirurgicales ou médicales en fonction de leur urgence et de leur importance. Cette situation a initié un débat des deux côtés de l’Atlantique : faut-il interdire, restreindre ou reporter les avortements ? Ou faut-il au contraire les maintenir coûte que coûte ?

« Cela pourrait sauver plus de vies que le Coronavirus n’en prendra » (Lila Rose). C’est ainsi que des personnalités pro-vie ont commenté la décision de l’Ohio et du Texas d’interdire aux établissements de santé de pratiquer des IVG, pendant la durée de l’épidémie de Covid-19. Sept autres États américains ont déjà suivi ce mouvement et près d’un quart de la population du pays vit aujourd’hui dans un État dit « abortion-free ». En réponse, des cliniques du Planning familial ont toutefois indiqué qu’elles continueraient à pratiquer illégalement des avortements.

Opérations « électives » et pénurie de masques

La question des équipements de protection individuelle (EPI), comme les masques ou les gants, est au cœur du débat aux États-Unis. En effet, les hôpitaux et cliniques sont en pénurie de ces équipements, indispensables contre la propagation des virus très contagieux comme le Covid-19. Ils manquent aussi de personnels médicaux et de capacités d’accueil pour les malades du coronavirus.

Il faut donc, dans le secteur de la santé comme pour les autres domaines de la vie, prioriser et hiérarchiser. Dans ce but, il est habituel de distinguer les opérations chirurgicales ou médicales « urgentes » de celles qui sont qualifiées d’« électives », du latin electivus, « qui marque le choix ». Ces dernières ne sont pas urgentes et peuvent être retardées ou annulées sans danger pour le patient. C’est pourquoi les États touchés par l’épidémie les ont interdites.

Les interruptions volontaires de grossesse (IVG) sont-elles des opérations « urgentes » ou « électives » ? L’État du Massachusetts a considéré qu’elles étaient « urgentes », contrairement à d’autres opérations « électives » suspendues comme les arthroplasties de la hanche ou du genou, les extractions dentaires ou encore les coloscopies. Au contraire, Abby Johnson, héroïne du film Unplanned, a affirmé que l’IVG est « toujours un choix, donc une opération élective » et que ceux qui s’appellent eux-mêmes « pro-choix » ne devraient pas le contredire.

« Procédé scandaleux » d’ultra-féministes en France

En France, le gouvernement a demandé aux établissements de santé de déprogrammer « toute activité chirurgicale ou médicale non urgente, et sans préjudice de perte de chance pour les patients ». Or, si l’IVG est bien « non urgente » pour la santé ou la vie d’une femme enceinte, son report peut être empêché par le délai légal de douze semaines de grossesse. Les femmes dont l’avortement serait déprogrammé subirait donc une « perte de chance » (notion juridique), ce qui justifierait donc le maintien des IVG.

La sénatrice socialiste Laurence Rossignol, qui avait déjà tenté en juin 2019 de faire voter un amendement allongeant le délai légal à quatorze semaines de grossesse, a profité du projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire pour réintroduire un amendement équivalent le 19 mars 2020. Les Associations Familiales Catholiques (AFC) ont dénoncé un « procédé scandaleux ». Le gouvernement a rejeté cet amendement, qui n’aide pas à « aborder sereinement la question prééminente de l’état d’urgence sanitaire ». (Olivier Véran, ministre de la Santé).

Le 23 mars, le collectif « Avortement en Europe », rassemblant diverses organisations telles que le Planning familial, les Verts (EELV), la CGT, ou encore les FEMEN a réclamé une mesure encore plus extrême : un allongement du délai « du nombre de semaines que durera le confinement ». Le Planning familial promeut par ailleurs la pratique de l’IMG (« interruption médicale de grossesse »), sans restriction de délai, « pour des raisons psychologiques, surtout dans ce contexte de pandémie ». Des avortements tardifs sont donc prévisibles.

Un attachement à la vie humaine à deux vitesses

Pour Émile Duport, fondateur des « Survivants », ces personnes « sont plus préoccupées par l’avortement que par de réelles urgences pour la vie de malades ; le fait d’avoir un enfant ne met pas en péril la vie des gens ». Odile Guinnepain, infirmière et responsable de l’antenne d’écoute « Nos mains ne tueront pas », a rappelé avec bon sens que la grossesse n’est pas une « pathologie » et que non seulement l’IVG n’est donc pas un soin « urgent » ou « essentiel », mais qu’il n’est même « pas du tout un soin ».

Un médecin réanimateur, Jean Louis Chauvet, a dénoncé le 25 mars un attachement à la vie humaine à deux vitesses. D’un côté la « liberté des soignants à ne pas vouloir donner la mort à un être humain » est régulièrement contestée, par exemple dans une décision très récente de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), de l’autre il leur est demandé en cette période de mener un « combat pour défendre la vie, la vie des malades ».

Ce médecin, au cœur de l’épidémie de par sa spécialité, nous fait part d’une espérance : « le coronavirus (…) nous rappelle que la vie humaine est sacrée. Il faudra nous en souvenir après cette crise sanitaire, pour que les lois en soient de fidèles témoins ».

Nicolas Bauer
Membre ECLJ (http://www.eclj.org)

© LA NEF le 31 mars 2020, exclusivité internet