La Résurrection selon Giotto © Wikipedia

Pâques, victoire de l’amour sur la mort

« L’amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l’abîme. Ses flammes sont des flammes brûlantes, c’est un feu divin ! Les torrents ne peuvent éteindre l’amour, les fleuves ne l’emporteront pas. » (Cant. 8, 6-7). Si la bien-aimée du Cantique des cantiques affirme que l’amour est fort comme la mort, il faut ajouter qu’en son mystère pascal l’amour du Christ, lui, est plus fort que la mort.

La mort est le salaire du péché parce que, comme absence de communication et comme rupture de relation, elle est l’ultime conséquence du vivre pour soi, l’aboutissement logique de l’égocentrisme, la réalisation de la loi inexorable selon laquelle « celui qui aime sa vie la perd » (Jn 12, 25). Le tombeau n’est certes pas un lieu de sociabilité ! La mort sanctionne le repliement sur soi : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il reste seul » (Jn 12, 25), étant entendu que la solitude du solipsisme n’est pas une alternative à la mort mais en réalise toute l’essence.

Telle ne fut cependant pas la mort de Jésus. Jésus n’a jamais été un moi refermé sur lui-même. La personne du Christ est ontologiquement ouverte à sa relation avec le Père dont il se reçoit éternellement et, en tant qu’il remet sa vie à son Père, sa mort par obéissance constitue l’acte filial par excellence. Toute sa vie et sa mort sont résumées dans le mot « pour ». Son existence est une « existence pour » qui le fait se tenir hors de soi. Sa « mort pour » [la multitude] n’entre donc pas dans le genre de mort qui dérive du péché originel, résultat de la prétention de vouloir être « comme » Dieu, d’une hybris démesurée, mais elle est le fait d’un amour incommensurable où Dieu tel le serviteur souffrant descend vers l’homme jusqu’à choir dans les enfers de l’abîme du cœur humain.

Lors de la Cène, Jésus, anticipant sa mort par le don souverainement libre qu’il fit de lui-même, transforma un acte de violence inouïe en acte d’amour suprême. À partir de Jn 10, 18 : « Ma vie, nul ne le prend mais c’est moi qui la donne ; j’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre », Benoît XVI écrira : « Dans l’acte de donner sa vie, la résurrection est incluse. » En d’autres termes, la mort par amour de Jésus contient en elle-même le principe de sa propre résurrection, laquelle ne doit pas être comprise comme relevant d’une action extrinsèque au Christ, sauf à l’Esprit-Saint qui justement meut Jésus du dedans.

La mort de Jésus au lieu d’être une simple nécessité de la nature d’un composé qui se dissout, ou un châtiment pour le péché, ouvre par elle-même à la dimension de la résurrection. C’est en effet comme à partir de l’intérieur même de sa mort/amour que Jésus ressuscite et vainc effectivement la mort. O mort, je serai ta mort. Entre la mort et la résurrection de Jésus, il n’y a pas une succession chronologique d’états mais le dynamisme d’un amour qui s’achève dans l’implosion de la finitude de l’homme. On peut encore parler d’une « explosion d’amour », similaire au big-bang initial, qui recrée à partir de ce qui a été défait. Benoît XVI, dans son encyclique sur la charité, avait déjà expliqué que l’amour est un exode qui va constamment du « je » enfermé en lui-même vers sa libération dans le don de soi à l’autre ».

La possibilité par la mort à nous-mêmes, c’est-à-dire par le renoncement à notre ego, de participer d’ores et déjà à la résurrection de Jésus nous est offerte à condition ne pas entendre de façon rhétorique Gal 2, 20 : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » L’Apôtre s’exprime avec une précision millimétrique : « Le moi lui-même, l’identité essentielle de l’homme – de cet homme Paul – a été changée. Il existe encore et il n’existe plus. Il a traversé une négation et il se trouve continuellement dans cette négation : c’est moi, mais ce n’est plus moi. […] Mon propre moi m’est enlevé et il s’incorpore à un sujet nouveau, plus grand. Alors mon moi existe de nouveau, mais précisément transformé, renouvelé, ouvert par l’incorporation dans l’autre, dans lequel il acquiert un nouvel espace d’existence » (Benoît XVI). Il ne s’agit pas moins que de substituer à notre je celui du Christ pour qu’il devienne, lui, le Vivant, le sujet de notre existence. Et de vivre : « pour moi, vivre, c’est le Christ » (Ph 1, 21). On est loin ici d’un christianisme économique des « valeurs ».

C’est l’amour jusqu’à la mort qui fait que l’amour est plus fort que la mort et la vainc à l’intérieur d’elle-même.

Abbé Christian Gouyaud
(d’après Benoît XVI)

© LA NEF n°258 Avril 2014, mis en ligne le 9 avril 2020