Ce siècle est étrange : à l’exception de la « busherie » irakienne de 2003, et des drames de Syrie, on a l’impression que les guerres se font moins nombreuses et meurtrières qu’elles ne le furent au siècle passé : si, du cataclysme des deux guerres mondiales aux horreurs de la guerre du Vietnam, du Cambodge, du Biafra et du Rwanda en passant par celles du nazisme, du stalinisme et du maoïsme, le XXe siècle battit haut la main tous les siècles précédents en fait de tueries de masse, on ne trouve rien de cette dimension en ce XXIe siècle – qui, certes, n’a encore déroulé qu’un cinquième de son cours…
Et pourtant, notre époque n’a rien de paisible : de toutes parts sourdent les menaces, écologiques, financières, démographiques et migratoires, mais, si de sombres images nous viennent à l’esprit, elles ne renvoient qu’à des faits isolés, frappants mais circonscrits : le 11 septembre, la crise financière de 2008, et ces catastrophes « naturelles » que sont la grande tempête du Nouvel An 2000, les tsunamis très meurtriers de 2004 en Indonésie et de 2011 au Japon, suivi de l’accident nucléaire de Fukushima qui, lui, ne fit que peu de victimes… Ils annoncent des drames de nouveaux types, qui paraissent à première vue naturels mais qui ne le sont pas nécessairement…
Ainsi du néo-corona virus baptisé Covid-19 qui a surgi en Chine à la fin de l’année dernière et qui s’est répandu dans un grand nombre de pays du monde – moins universel qu’on ne le dit, il ne touche durement, à l’heure où ces lignes sont relues (20 avril) que dix nations, celles où le nombre de morts dépasse un habitant sur mille : les États-Unis et la Belgique (la plus touchée avec 480 morts/million d’h.), l’Italie, l’Espagne, La France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse et le Luxembourg ; le plus grave est l’effet de ricochet : le confinement pendant plusieurs semaines d’une partie de l’humanité (moins de la moitié, contrairement à ce qui se dit) a provoqué la mise à l’arrêt de l’économie mondiale, en tous les cas de l’Europe et des États-Unis. Cela ne s’est jamais vu. L’esprit s’obsède à décrire ce phénomène stupéfiant, à en trouver les causes et à en déduire les conséquences – ces dernières étant finalement plus faciles à percevoir que les premières, bien plus obscures.
Des causes obscures
Quelle que soit l’origine de la pandémie, une chose est sûre : cette origine est le fait de « nos amis Chinois », comme disent sans cesse nos ministres de la santé ; elle est même très localisée dans la ville de Wuhan, immense mégapole industrielle grouillante, nuit et jour, d’activités industrielles et commerciales, dans un paysage lunaire d’usines, de tours et de tubulures composant l’un des paysages les plus pollués et les plus laids qui se puisse imaginer. Mais où, à Wuhan ? L’hypothèse généralement retenue est celle d’un marché, où se vendent des animaux sauvages : deux sont spécialement incriminés, la chauve-souris et le pangolin, en ce qu’ils sont en contact avec des animaux plus sauvages encore, reclus dans des forêts où l’homme n’a jamais mis le pied, et qui n’auraient jamais dû entrer dans la chaîne alimentaire. Nous sommes là à la lisière de la cause naturelle, et de la responsabilité des hommes, lesquels, tout à l’appât du gain, refusent de penser, ou d’accepter l’altérité naturelle des espèces. Récemment, le directeur du Musée d’Histoire Naturelle s’inquiétait que les fameuses routes de la soie, que la Chine veut ouvrir à toute force pour atteindre le marché européen, provoquent d’immenses excavations, ouvrant la chasse à des espèces inconnues, vivant depuis des millénaires sans contact avec l’homme, ce qui ne peut aller sans conséquences : c’est en soi une déraison, imputable à l’esprit de conquête – non par la guerre, mais par le commerce, forme moderne et sournoise de la guerre de tous contre tous.
Une autre hypothèse a vu le jour : des scientifiques indiens, arguant de ce que le nouveau virus, croisement de plusieurs autres virus connus, ne pouvait pas être « naturel », ont incriminé un laboratoire de Wuhan, mis en place en coopération avec l’Inserm et l’Institut Mérieux, mais que nos services secrets ont depuis lors classé en « centre militaire » tant sont opaques les recherches que l’on y poursuit (1). Si opaques que, en 2018, l’ambassade des États-Unis à Pékin, alerté par son conseiller scientifique, avait demandé et obtenu l’envoi par Washington d’une équipe spécialisée dans la sécurisation de centres où la moindre erreur (une éprouvette échappée) peut avoir d’infinies conséquences. Inquiétude corroborée par le Pr. Montagnier, « découvreur » du virus du Sida (VIH) qui observe que le néo-corona contient des séquences dudit VIH et émet l’hypothèse que le néo-virus pourrait résulter d’une erreur de manipulation lors de la recherche, dans un laboratoire qui étudiait la famille des coronavirus, d’un vaccin anti-VIH.
Bien que le Pr. Montagnier soit doté d’un Prix Nobel, il est obligatoire de tenir cette hypothèse pour farfelue. Puisque ce monde ne reconnaît aucune autorité, pas même celles qu’il se fabrique lui-même à Stockholm, écartons-la, donc. Écartons de même une hypothèse avancée par certains experts militaires d’un « accident » voulu par le gouvernement chinois – lequel revient de plus en plus, depuis 2013, au modèle totalitaire maoïste et qui « armé de la vengeance des peuples », ne fut jamais pacifique. Hypothèse d’une guerre bactériologique – pas la première, car il y en eut beaucoup dans l’histoire, depuis les Perses experts en diffusion de bactéries dans les rangs ennemis. L’auteur de ces lignes, auquel une mauvaise santé valut d’effectuer son service militaire comme élève officier de réserve dans le Service de Santé des Armées, se souvient que ses professeurs tenaient pour acquis que les guerres du XXIe siècle seraient terroristes, chimiques ou bactériologiques – certes, toutes interdites par des traités… Ce qui pourrait bien expliquer que la guerre ne disparaît au XXIe siècle que dans ses formes conventionnelles, mais qu’elle se métamorphose en secret – et si secrètement que l’on n’en peut rien dire…
Taisons-nous donc. Mais, que le Covid soit d’origine animale ou humaine, la grande question est la même : il coûtera cher aux hommes d’oublier l’idée, pourtant simple, et surtout pieuse, que la nature (i.e. la création divine), comporte tant de mystères qu’il ne la pénétrera jamais et que, s’il s’y avance trop, sous prétexte de science (et parce que l’arbre de la connaissance, aux fruits pourtant défendus, l’attire plus que l’arbre de vie, qui cependant suffirait à ses joies), il pourrait se faire apprenti sorcier, et en payer cher les conséquences.
Conséquences géopolitiques
S’il est impossible de développer ici les innombrables effets géo-politiques de la pandémie, ce que sa durée nous donnera tout loisir de faire dans les prochains mois, énumérons-les au moins, comme en vrac : d’abord, un très brutal retour à la fragmentation du monde – autrement dit le début de la fin de la mondialisation, qu’attestent la résurrection universelle des frontières (même le Canada et les États-Unis ont fermé dès le 18 mars leurs frontières, ce qui ne s’était jamais vu), la décrépitude rapide, pour beaucoup irréversible, de compagnies aériennes, la redécouverte de l’autosuffisance stratégique ; et même de la souveraineté nationale, gros mot dont l’invocation valait voici deux mois brevet d’extrémisme mais qui est tout à coup autorisé (même Raphaël Glücksman s’est écrié : « En matière de santé, souveraineté d’abord ! »). Tant de signes montrent que le modèle national réputé « dépassé » a tout à coup un bel avenir.
Ajoutons la pulvérisation de l’Union européenne, dont l’idée est disqualifiée jusqu’en Italie, pays qui l’a pourtant tant aimée, et dont l’Allemagne, qui en a tiré tous les dividendes possibles depuis 1957, fait clairement savoir qu’elle n’est pas un espace de solidarité. Un affaiblissement brutal des économies des États-Unis et d’Europe – par-dessus tout de l’Europe du Sud, en particulier de l’Italie, premier pays à avoir conclu, en mars 2019, plusieurs accords avec le gouvernement Chinois dans le cadre des « routes de la soie », devenues « routes du virus » comme on dit à Milan. Un glissement des forces qui s’esquisse déjà par de nouveaux partenariats entre Moscou (pas fou) et Pékin, et de plus grandes facilités données à la volonté d’expansion chinoise, en Afrique (pratiquement intacte du virus) et en Europe, où tant d’entreprises en faillite s’offriront aux fonds souverains chinois qu’ils y feront leur marché comme on achète des chauves-souris sur le marché de Wuhan…
(À suivre)
Paul-Marie Coûteaux
(1) Voir « Après le SRAS, l’énigmatique laboratoire livré par la France à Wuhan », entretien accordé à Marianne le 30 janvier 2020 par Antoine Izambard, auteur de France-Chine, les Liaisons Dangereuses (Stock, 2019), un livre à lire en urgence.
© LA NEF n°324-325 Avril-Mai 2020