Le cardinal Gerhard Ludwig Muller © AdobeStock

Cardinal Müller, l’ami de la vérité

Ce n’est certainement pas le sujet du moment ; mais finalement rien n’est le sujet du moment. Aussi nous pardonnera-t-on peut-être si l’on parle du cardinal Müller, du pape, de l’accès aux sacrements des divorcés remariés et plus généralement du régime de vérité dans l’Église catholique, plutôt que de l’épidémie et de ses conséquences.
Mgr Müller, qui fut préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi jusqu’en 2017, et réputé pour être un fidèle disciple du pape émérite Benoît XVI, a recueilli dans un livre inopinément paru en cette étrange période plusieurs textes et articles où il traite avec profondeur et autorité d’événements récents ayant pu désarçonner les fidèles, le plus notable d’entre eux étant la publication de l’exhortation apostolique Amoris laetitia, traitant comme son titre l’indique de l’amour du couple et, partant, comme l’attendait le monde, de la situation faite aux divorcés remariés devant l’accès aux sacrements. Texte particulièrement complexe où se mêlaient à de justes et belles réaffirmations de la doctrine générale catholique sur l’amour entre les conjoints et l’indissolubilité de leur union devant Dieu certaines possibilités d’exception, dont l’occasion et la formulation restaient assez peu compréhensibles, voire obscures. Mais à la faveur d’une note de bas de page aux deux tiers du texte, une partie de l’Église, poussant pour un assouplissement de la discipline en matière de « remariage », avait pu déduire qu’il était laissé libre cours au curé de la paroisse d’administrer les sacrements – les plus notoirement concernés étant la pénitence et l’accès à l’Eucharistie – aux personnes mariées à l’Église, divorcées puis remariées ou vivant maritalement, s’il jugeait que leur foi, leur mode de vie et leur piété le valaient.

Un cours magistral
Mgr Müller sonne la charge contre ces interprétations de ce texte, rappelant que rien de ce qui touche l’économie sacramentelle ne peut faire l’objet de modification, même des plus hauts degrés du Magistère. Il en profite surtout pour rappeler, comme son rôle précédent de préfet l’y inclinait, que le statut de la vérité dans l’Église demeure objectif parce que révélé divinement et que nul « changement de paradigme » appelé par l’époque ne peut s’y opposer. C’est un cours magistral sur ce régime de vérité qu’il déploie ici, en s’appuyant fortement sur les lumières du cardinal Newman, notamment lorsque celui-ci distingue d’un principe « libéral » le principe « dogmatique » d’interprétation de la Révélation, le second ayant évidemment ses faveurs. Et de citer notamment cette formule ironique du cardinal anglais sur ce qu’est l’Église aux yeux du monde : « L’Église véritable est une communion religieuse qui se réclame d’une mission divine et tient les autres mouvements religieux qui l’entourent pour hérétiques ou infidèles ; c’est un corps bien organisé et bien discipliné. […] Elle est l’ennemie naturelle des gouvernements qui lui sont extérieurs, intolérante et prosélyte, portée à vouloir remodeler la société. Elle enfreint les lois et divise les familles. Elle relève d’une superstition grossière, on la charge des crimes les plus odieux et elle est méprisée par l’intelligentsia du moment » (Essai sur le développement de la doctrine chrétienne).
Il est entendu, bien sûr, que pour Mgr Müller l’Église dit demeurer dans cette situation de skandalon pour le monde. Mais plus loin, le cardinal se permet d’en remontrer à demi-mot au pape lui-même, invoquant pour sa cause l’épisode des Actes des Apôtres où Paul et Jacques se soucient de remettre Pierre, fondation de l’Église, sur le droit chemin. Ainsi, lâche le cardinal, « il est important de rappeler que le pape, en tant que personne privée ou que “frère entre les frères”, ne peut en aucun cas se permettre d’imposer à toute l’Église sa propre théologie, son propre mode de vie ou la forme de spiritualité qui caractérise l’ordre religieux dont il est issu ». Le cardinal Müller conclut que nulle morale de rapprochement avec le monde ne peut prévaloir contre la vérité telle qu’elle a été révélée et confirmée au cours des siècles par l’Église. Un discours dur mais juste qui rappelle Aristote disant qu’il est l’ami de Platon mais plus encore l’ami de la vérité.

Jacques de Guillebon

Cardinal Gerhard Müller, La Force de la vérité, Artège, 2020, 180 pages, 16,90 €.

© LA NEF n°324-325 Avril-Mai 2020