Covid-19 : quelles leçons ?

ÉDITORIAL

Nous sommes heureux de vous retrouver, ami lecteur, après cette interruption imprévue en avril en raison du Coronavirus. Nous avons décidé, en effet, au début du confinement, de ne pas faire paraître le numéro d’avril, pour la bonne raison que notre imprimeur et notre routeur avaient dû cesser toute activité (1). Nous avons donc reporté à mai une grande partie du numéro d’avril, d’où ce numéro « double » que vous avez en mains (2).

Ce temps de confinement, qui n’est pas terminé à l’heure où je vous écris, est un moment d’épreuve. Épreuve due à la promiscuité et à la peur du lendemain, beaucoup craignant pour leur travail, tant l’inactivité forcée risque d’avoir de dramatiques conséquences. Épreuve spirituelle, aussi, de ne plus pouvoir recevoir les sacrements ni participer à la messe, sinon de façon virtuelle grâce à la télévision ou internet.

Une situation inédite

La situation que nous vivons est totalement inédite et sans doute y aurait-il beaucoup à dire sur la façon dont cette crise a été gérée par nos gouvernements, avec des résultats substantiellement différents d’un pays à l’autre – l’heure des comptes viendra un jour. Certes, bien que peu meurtrier en soi, le Covid-19 est dangereux en raison de sa très forte transmissibilité (3,8 contre 1 pour la grippe) et de ce qu’il exige une hospitalisation lourde pour une minorité non négligeable de cas, ce qui explique la nécessité de mesures sanitaires drastiques : soit de fortes protections (masque…) en lien avec des tests massifs et un isolement des contaminés ; soit, de façon plus archaïque quand la première option n’est pas réalisable, un confinement strict.

Dans ce contexte totalement inédit, on a reproché aux évêques français de s’être alignés un peu vite, voire d’avoir anticipé, les mesures de confinement promulguées par le gouvernement et mises en œuvre le 17 mars. À vrai dire, je ne vois pas très bien ce qu’ils pouvaient faire d’autre, il était de leur responsabilité de concourir au bien commun et leur exemple me semble avoir été salutaire. Le fait que le surnaturel soit d’une essence supérieure au naturel n’empêche pas ce dernier d’avoir ses propres lois auxquelles nous avons à nous soumettre – sauf à demander à Dieu d’agir directement en ayant recours au miracle, mais n’est-ce pas alors « tenter Dieu » (cf. Mt 4, 7) ? Saint Thomas d’Aquin exprime cela très clairement : « Ce droit divin qui vient de la grâce ne détruit pas le droit humain qui vient de la raison naturelle » (3).

La présence de l’Église

Dans cette affaire, si l’on peut toujours reprocher à certains clercs un discours par trop horizontal, pourquoi se focaliser sur ces cas-là au lieu de voir l’abondance de belles interventions, du pape, de nos évêques et de nos prêtres qui ont redoublé d’ingéniosité pour nous soutenir spirituellement (4) ? Qu’ils en soient vivement remerciés ! De même, que soient également remerciés nos évêques qui se battent légitimement pour que les messes dominicales soient rétablies dès la fin annoncée du confinement, le 11 mai, le peuple chrétien les soutenant unanimement – alors que nous « bouclons » ce numéro, nous ne savons toujours pas ce qu’il en sera !

Pour revenir aux belles choses vécues durant ce confinement, nous avons pu, par exemple, grâce à KTO, nous unir aux sobres mais belles cérémonies du Triduum pascal à Saint-Pierre de Rome avec le pape et à Saint-Germain l’Auxerrois avec Mgr Aupetit. Nous avons pu suivre la bénédiction de la ville de Paris par ce dernier – d’autres évêques ont consacré leur diocèse (5) –, le magnifique moment de vénération de la sainte couronne à Notre-Dame, sans oublier l’émouvante méditation de François, le vendredi 27 mars, priant Dieu de faire cesser ce fléau, suivie d’un moment d’adoration et d’une bénédiction Urbi et orbi exceptionnelle avec le Saint Sacrement et une indulgence plénière à la clé. La vision du pape seul, devant une place Saint-Pierre totalement déserte, au crépuscule et sous un ciel noir et pluvieux, avait quelque chose de grandiose et d’apocalyptique !

Dans ce beau texte, le pape, méditant sur l’Évangile du Christ qui dort durant la tempête (Mc 4, 35-41), s’est écrié : « La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. […] La tempête révèle toutes les intentions d’“emballer” et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment “salvatrices”, incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité. […] Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester toujours sains dans un monde malade. Maintenant, alors que nous sommes dans une mer agitée, nous t’implorons : “Réveille-toi Seigneur !” […] Le début de la foi, c’est de savoir qu’on a besoin de salut. Nous ne sommes pas autosuffisants ; seuls, nous faisons naufrage : nous avons besoin du Seigneur. […] Car voici la force de Dieu : orienter vers le bien tout ce qui nous arrive, même les choses tristes. »

« Châtiment de Dieu » ?

Face à une telle catastrophe, il y a inévitablement ceux qui, d’un côté, se demandent comment Dieu peut laisser se dérouler un tel malheur sans l’arrêter et, de l’autre, ceux qui jugent que cette tragédie est un « châtiment de Dieu » pour nos infidélités et nos péchés. Face au mystère du mal – car, fondamentalement, cela demeure un mystère –, certains se détournent de Dieu, ne pouvant comprendre comment le Créateur, censé être bon et tout-puissant, n’empêche pas de tels maux. Or, la conjonction de ces deux attributs divins n’a rien de contradictoire dans une approche de foi, si l’on comprend que la Croix donne dé­sormais un sens à la souffrance humaine et si l’on accepte la part de mystère qui fait notamment que Dieu, dit saint Augustin, « ne permettrait jamais à un mal quelconque d’exister dans ses œuvres, s’il n’était assez puissant et assez bon pour faire sortir le bien du mal lui-même » (6).

Néanmoins, expliquent les théologiens, Dieu n’est jamais l’auteur du mal, il le permet certes, car c’est notamment la rançon d’un monde où existe la liberté, mais il ne le provoque en aucune façon. L’idée d’un « châtiment de Dieu » est certes présente dans l’Ancien Testament (7), mais elle s’exprime dans le cadre de la première Alliance et donc d’une approche imparfaite de Dieu qui ne trouve son achèvement que dans la nouvelle Alliance en Jésus-Christ. C’est pourquoi cette image est impropre, car elle laisse croire que c’est Dieu qui est à l’origine de l’épidémie de Covid-19, ce qui est absurde (curieux que ceux qui cherchent absolument un responsable attribuent ce mal à Dieu plutôt qu’au diable !). Face à cette vision archaïque d’un Dieu vengeur, le pape François a demandé au prédicateur capucin de la Maison pontifical, le Père Cantalamessa, de prêcher sur ce thème pour l’office du Vendredi Saint : « Dieu est notre allié, pas celui du virus ! […] Si ces fléaux étaient des châtiments de Dieu, il ne serait pas expliqué pourquoi ils frappent également justes et pécheurs, et pourquoi les pauvres sont ceux qui en supportent les pires conséquences. »

Saurons-nous tirer les leçons ?

Si la notion de « châtiment de Dieu » est ici incorrecte, il est vrai, en revanche, que nous avons à voir ces événements dans un regard de foi en scrutant « les signes des temps » (Mt 16, 3), comme le Seigneur lui-même nous y invite. Qu’un minuscule virus mette à ce point en péril notre civilisation technicienne si sûre d’elle-même a le mérite de nous remettre à notre place, de rabattre notre orgueil et nos prétentions. Il nous rappelle combien nous sommes fragiles et dépendants, combien la mort demeure une réalité que l’on ne peut évacuer. Si cette pandémie pouvait provoquer un examen de conscience, à la fois individuel et collectif, et pousser nos contemporains à s’interroger plus avant sur la question de Dieu, ces derniers étant pour la plupart bien plus dans l’ignorance ou l’indifférence envers Dieu que dans une hostilité délibérée, alors quelque chose de meilleur pourrait sortir de ce drame planétaire. Mais cela ne suppose-t-il pas que, nous chrétiens, montrions l’exemple, car, ainsi que le rappelait le cardinal Ratzinger évoquant les temps antiques, la conversion des païens ne s’est réalisée que « par la communauté croyante en tant que telle : son existence est une réalité qui attire les hommes ou tout au moins leur pose une question. Le premier pas pour devenir chrétien ne consistait guère, en général, à demander un programme, mais se réalisait par la sympathie à l’égard de l’image de communauté représentée par l’Église, sympathie qui souvent prenait sa source dans l’amitié personnelle immédiate avec des chrétiens » (8). Nos communautés chrétiennes sont-elles ainsi attrayantes ?

Il serait bon que la remise en cause affecte également notre façon de vivre et nos analyses politiques. Comment ne pas tirer les leçons de l’échec patent de l’européisme, du mondialisme et de notre bureaucratie imprévoyante ? Saura-t-on revenir aux frontières, renoncer au « bougisme », favoriser les circuits courts, le local, redonner vie à nos campagnes… ? Saurons-nous sortir de notre hubris techniciste qui atteint l’homme lui-même dans sa dignité et retrouver un peu d’humilité ?

C’est sans doute beaucoup espérer, mais n’avons-nous pas affaire à l’un de ces moments clé de l’histoire où tout semble possible ?

Christophe Geffroy

(1) Nos abonnés dont nous avions l’adresse électronique ont pu être prévenus de ce report et tenus informés. Si cela n’a pas été votre cas, n’hésitez pas à nous communiquer votre courriel pour que, à l’avenir, vous puissiez être contactés en cas de besoin.
(2) N°324-325 daté d’avril-mai 2020 passé de 48 à 72 pages.
(3) Somme théologique, II-II, Q. 10, a. 10, Cerf, Tome 3, 1985 (p. 85).
(4) Nos chers abbés Gouyaud et Spriet ont régulièrement proposé des vidéos spirituelles systématiquement reprises sur le site de La Nef.
(5) Des laïcs ont lancé un appel pour la consécration de la France aux Cœurs de Jésus et de Marie : www.consecrationdelafrance.fr
(6) Cité par le cardinal Charles Journet, Le Mal. Essai théologique, Éditions Saint-Augustin, rééd. 1988, p. 88.
(7) Le cas le plus emblématique est le Déluge, mais même dans cet exemple extrême, Dieu épargne les derniers justes avec Noé et les siens, comme il épargnera Lot et sa famille de la destruction de Sodome.
(8) Les principes de la théologie catholique, Téqui, 1982, p. 140.

© LA NEF n°324-325 Avril-Mai 2020