Quelle transition écologique ?

Économiste, Philippe Murer a publié avec Jacques Sapir la note de la fondation Res Publica sur les scénarios de sortie de l’euro, il est aussi l’auteur de La transition écologi­que : une énergie moins chère, un million d’emplois créés (Fayard, 2014).

La Nef – Qu’entendez-vous par « transition écologique » et comment la rendre réalisable ?
Philippe Murer
– Le mot « transition écologique » renvoie aux actions pour protéger, préserver notre milieu de vie, notre habitat sans rupture violente ni destruction de notre société. Changer notre société ne peut se faire par une stratégie de communication hypocrite ou par un appel à sauter dans le vide.
En travaillant sur le sujet, il apparaît que certaines parties ambitieuses de la transition sont réalisables aujourd’hui (agriculture 100 % biologique, énergie sans aucune émission de CO2) quand d’autres parties n’offrent que des solutions incomplètes (économie circulaire…).
L’écologie, projet collectif, nécessite qu’un rôle soit donné à l’État et la fin de la croyance dans le « tout marché ».
L’écologie planétaire est une utopie dangereuse, un vecteur d’immobilisme puisque les pays ont des niveaux de développement et des cultures radicalement différents. Nous devons avoir l’humilité de réaliser ce projet à l’échelle d’une nation sortie du libre-échange absolu et de son corollaire, le dumping environnemental.

Vous préconisez 100 % d’agriculture biologique dans un avenir proche : comment y parvenir ?
Nos sols sont de moins en moins fertiles, les animaux disparaissent (abeilles, insectes, oiseaux…), notre santé est parfois menacée, les eaux sont polluées et les paysans sont en passe d’être ruinés. On ne peut pas faire pire.
Des pionniers ont démontré que l’agriculture biologique est possible. À nous d’étendre puis d’en généraliser les méthodes afin de préserver le milieu de vie.
L’agriculture biologique occupe 7,5 % des terres cultivées en France et progresse de 20 % par an. Diverses mesures permettant de conserver ce rythme élevé doivent être prises pour atteindre un quart des cultures en 2027. La phase de généralisation nécessite un vote des citoyens par référendum car ce choix est structurant. Les classes populaires et moyennes ayant des budgets très contraints, le prix des produits biologiques doit être équivalent au prix des aliments conventionnels ce qui représente un effort de 24 milliards d’euros. 1 % de notre richesse nationale pour sauver la nature et notre agriculture, tel est l’enjeu.

L’épuisement des énergies fossiles n’est pas un problème, dites-vous : comment en sortir concrètement sans sacrifier la croissance ?
L’objectif de la transition énergétique est de se passer des énergies fossiles. L’électricité représente la moitié de notre consommation d’énergie ; l’électricité française est décarbonée à 90 %. Le sujet est donc de trouver une énergie propre pour remplacer le carburant fossile des transports et de l’industrie. C’est l’hydrogène, l’essence de demain. Nous sommes capables dès aujourd’hui d’en produire de grandes quantités à un prix équivalent à l’essence à partir d’électricité nucléaire et renouvelable. Les voitures à hydrogène existent, le seul obstacle est le prix. J’explique les mesures que nous pouvons prendre pour réaliser cette grande transformation. Cela passe par un nouveau commissariat au Plan, une banque de France qui aide au financement d’un projet de taille sur 20 ans, un État stratège pour faire rapidement baisser le prix des piles à combustible en coopération avec les constructeurs automobiles.
J’explique pourquoi nous échouons dans l’isolation des logements et comment y parvenir.

Pourquoi la « transition énergétique » a-t-elle échoué jusqu’à maintenant ?
Depuis la signature du protocole de Kyoto en 1997, il est partout répété qu’il faut agir mondialement, tous ensemble et en même temps. Avons-nous les moyens d’enjoindre la Chine, l’Inde, les États-Unis à réaliser leur transition énergétique aujourd’hui ? À l’évidence non. Alors « nous attendons Godot » avec le bon prétexte qu’il faut « agir tous ensemble ». Le rêve de l’écologie planétaire se transforme en cauchemar et en crise d’hystérie (Greta Thunberg). La transition énergétique sera faite par les nations ou ne se fera pas.

La croissance étant synonyme d’énergie, certains estiment que seule la décroissance permettra de maîtriser le réchauffement : qu’en pensez-vous ?
En termes d’énergie, il y a de multiples sources d’énergie très importantes : énergies renouvelables, nucléaire, thorium et à 50 ans, la promesse d’une énergie presque infinie, la fusion nucléaire, l’énergie du soleil.
D’autres ressources s’épuiseront bien avant (métaux, sable, écosystèmes…).
La décroissance des ressources matérielles est possible sans décroissance réelle par différentes méthodes.
La décroissance réelle signifie en finir complètement avec l’économie de marché. Pour quel modèle ? Nous devons réfléchir pour trouver un autre modèle et non sauter dans le vide.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Philippe Murer, Comment réaliser la transition écologique. Un défi passionnant, Jean-Cyrille Godefroy, 2020, 250 pages, 20 €.

© LA NEF n°326 Juin 2020