Le Père Abbé émérite de Fontgombaut, Dom Antoine Forgeot, a été rappelé à Dieu le 15 août dernier à l’âge de 87 ans. Nous aurions dû lui rendre l’hommage qu’il mérite dans le précédent numéro, mais celui-ci fut exceptionnellement « bouclé » très tôt, nous n’avons donc pu le faire. Il n’est cependant pas trop tard pour évoquer cette belle figure de moine qui représente pour moi l’exemple même de ce que j’appellerais l’esprit romain, esprit qui peut se caractériser par une indéfectible piété filiale envers Rome et le pape, avec un sens de l’équilibre et de la nuance permettant de poser des choix les plus justes en des périodes de crise où beaucoup se sont égarés dans des excès, dans un sens ou dans l’autre. Ainsi, la « ligne de Fontgombault » fut pour nous, à La Nef, depuis notre création, un repère indispensable digne de toute confiance.
On sait qu’après le concile Vatican II, l’Église traversa une période tourmentée, secouée par un vent de folie voulant tout balayer d’un passé jugé « obscurantiste ». C’est dans ce contexte que Mgr Lefebvre créa en 1970 la Fraternité Saint-Pie X. Dom Jean Roy, Abbé de Fontgombault de 1962 à 1977, tout en résistant aux bouleversements en cours, liturgiques notamment, comprit très tôt que Mgr Lefebvre s’engageait dans une voie de désobéissance qui le conduirait à la rupture avec Rome. Il essaya de l’en dissuader. En vain. L’Abbaye adopta le nouveau Missel célébré en latin avec le chant grégorien. Dom Forgeot fut Père Abbé de 1977 à 2011 : il maintint les positions de son prédécesseur et profita dès 1984 du premier indult en faveur de la forme extraordinaire, sans jamais bannir la forme ordinaire de son abbaye. Ainsi, sur cette question liturgique, Fontgombault devint le symbole d’une ligne ecclésiale qui me semble toujours la plus juste.
À titre plus personnel, je ne peux oublier le soutien jamais démenti que Dom Forgeot apporta à La Nef : en 1990, il s’enthousiasma pour ce projet de revue et y intervint dès les n°4 et n°8. Bien plus, il contacta le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, pour m’obtenir un rendez-vous personnel afin de lui présenter La Nef : c’est ainsi que nous rencontrâmes le Cardinal, mon premier collaborateur et moi-même, seuls, une bonne heure en juillet 1991. C’est encore lui qui me proposa d’aller chercher le même cardinal Ratzinger à l’aéroport de Roissy pour le conduire à Fontgombault aux Journées liturgiques de juillet 2001. Quatre heures de voyage aller puis retour à discuter avec le futur pape – quelle grâce ! –, avec aussi Mgr Clemens et Mgr Perl qui étaient avec le Cardinal, et Loïc Mérian et Philippe Maxence qui nous accompagnaient.
La dernière fois que Dom Forgeot est intervenu dans La Nef, c’était pour les vingt ans de la revue, dans le n°221 de décembre 2010, peu avant qu’il renonce à son Abbatiat : ce texte magnifique qu’il nous avait donné résume à lui seul la complicité religieuse qui nous unissait. Il est maintenant dans la gloire de Dieu. Deo gratias !
Christophe Geffroy
© LA NEF n°3289 Octobre 2020