L’élection présidentielle américaine est toujours un moment de très fortes tensions où tous les coups, y compris les plus bas, sont permis. L’élection de 2020 (prévue le 3 novembre) n’échappe pas à la règle.
Le décès de Ruth Bader Ginsburg, doyenne des juges de la Cour suprême des États-Unis, est venu renforcer l’ambiance délétère dans laquelle se déroule la campagne des présidentielles américaines. Elle oppose le président sortant, le clivant Donald Trump, avec un camp républicain qui n’est pas entièrement uni derrière lui, et Joe Biden, vice-président de 2009 à 2017, candidat démocrate par défaut, issu de primaires perturbées par le Covid-19. Depuis la France, il est très difficile de se faire une opinion sur la vie politique américaine. Dans leur immense majorité, les lieux de pouvoir politique, culturel et médiatique français sont fortement opposés aux candidats conservateurs, que l’on pense à la haine contre la famille Bush. Écouter ou lire les médias français donne une vision biaisée des États-Unis.
La haine atteint à son comble à l’encontre d’un Trump dont la personnalité, il est vrai originale et clivante, n’aide guère. Chacun peut apprécier ou non sa manière de gouverner, se reconnaître ou non dans les idées du parti républicain, ce n’est pas la question. Elle est dans la représentation que les médias français donnent des États-Unis : d’un côté, le « bien », démocrate, qui défend justement la même vision du monde que la majorité des médias français ; de l’autre, le « mal », républicain. En ce domaine, Trump est un excellent client.
Le parti démocrate est aussi clivant
Dès son élection, Trump a été contesté, accusé d’avoir truqué les élections. Une fois celles de mi-mandat passées, la remontée en force des démocrates a même conduit à une procédure d’impeachment visant à le déstabiliser ou le destituer. Tout est tombé à l’eau. Trump semblait même, une fois les primaires démocrates démarrées, en position d’être réélu, du fait d’un bilan économique globalement jugé positif aux États-Unis, ce qui peut être discuté, et largement passé sous silence en France. Sa réélection était d’autant plus possible que le camp démocrate était divisé, une division reflétant l’état d’un parti soumis à de très forts clivages internes entre socio-libéraux à l’ancienne, les successeurs des Clinton en somme, et courants beaucoup plus à gauche incarnés par Bernie Sanders ou l’étoile montante Alexandria Ocasio-Cortez (AOC). Cela amenait la presse américaine à s’interroger sur l’advenue d’un mouvement socialiste aux États-Unis. Être « socialiste » était même une mode dans la jeunesse démocrate de la côte Est fin 2019.
Un scrutin incertain et tendu
Ainsi, les élections sont à la fois incertaines et tendues. Incertaines : personne ne peut prédire qui sortira vainqueur d’un scrutin entre deux hommes traînant chacun de lourdes casseroles – Biden ayant multiplié les gaffes, y compris vis-à-vis de l’électorat noir et étant soupçonné de sexisme –, des hommes âgés, dans une société qui réclame un renouvellement des élites, plus de femmes et une meilleure représentation des supposées minorités. Tendues : elles se déroulent sur fond de catastrophe sanitaire – Biden gaffant de nouveau le 21 septembre en parlant de 200 millions d’Américains morts –, d’incendies monstrueux, d’émeutes urbaines, de tensions raciales, d’affrontements entre la police et des groupes politisés tels que Black Lives Matters…
Le décès de Ruth Bader Ginsburg est venu ajouter une tension supplémentaire et ce ne sera pas la dernière d’ici le 3 novembre, voire après car un résultat serré sera contesté. Le sujet de la Cour suprême est majeur aux États-Unis : c’est là que se joue, entre autres, l’épineuse question de l’avortement. Ruth Bader Ginsburg était une juge de gauche et même l’égérie de la gauche défendant le libéralisme sociétal dans tous les domaines de l’idéologie progressiste. Cette disparition relance la campagne de Donald Trump car les questions sociétales reviennent de fait sur le devant de la scène, le président nommant le nouveau juge, ensuite élu par le Sénat à majorité républicaine, la minorité démocrate n’ayant pas de moyen légal de s’opposer à une nomination. Elle relance aussi le champ de bataille électoral puisque ces mêmes questions sociétales, à commencer par l’avortement et les questions dites « de genre », redeviennent centrales au moindre changement de majorité à la Cour suprême. Cette Cour est un atout pour Donald Trump qui avait promis de nommer des juges conservateurs et républicains : une promesse tenue durant son mandat. Il peut maintenant évoquer un possible « miracle », attendu par nombre d’Américains : une majorité conservatrice à long terme à la Cour suprême pouvant mettre en cause certaines « avancées » progressistes. Ce serait un bouleversement à toutes les échelles de la société américaine, en particulier pour les chrétiens.
Matthieu Baumier
© LA NEF n°330 Octobre 2020