Anne Coffinier

Anne Coffinier : L’école face à l’islamisme

Les assauts livrés par l’islamisme contre l’école en France ont longtemps été minimisés, voire passés sous silence. L’école publique et laïque tenait bon, tel était le discours officiel. Et l’État n’avait-il pas sévi en interdisant le port du voile en 2004 ? Bien sûr il y avait la fuite de l’école publique par les élèves juifs de banlieue, et les exigences islamistes d’avoir des menus halal à la cantine, des cours de natation non mixtes, des sorties scolaires accompagnées par des femmes voilées, des cours qui n’abordent pas la Shoah, ni le corps humain, ni l’égale condition des femmes, ni la guerre d’Algérie, ni le Coran ou l’islam dans une perspective strictement historique… mais il y avait un consensus pour en parler le moins possible, « pour ne pas stigmatiser les musulmans ».
Il y avait bien eu les Territoires perdus de la République (ouvrage collectif publié par des enseignants et chefs d’établissements en 2002) et, en 2004, le rapport de l’Inspecteur général de l’Éducation nationale Obin, mais ces cris d’alarme avaient été étouffés. Depuis les attentats de 2015, les informations sur les « atteintes à la laïcité » (sic) sont rapportées en haut lieu de manière plus conséquente. Ainsi, l’an dernier, 935 cas d’atteinte à la laïcité ont été signalés à l’échelle de la France dans les écoles publiques. À partir de la rentrée 2017, un vademecum de la laïcité à l’école a été mis à disposition du personnel de l’Éducation nationale et des référents laïcité ont été instaurés pour l’aider à réagir aux situations concrètes. Pour autant, le drame de l’assassinat de Samuel Paty montre que l’institution scolaire n’apporte pas un soutien assez déterminé aux professeurs confrontés aux contestations de leurs cours par les parents ou élèves musulmans. Dans le projet de loi sur le séparatisme présenté par le président Macron, on peine pour l’instant à trouver ne serait-ce qu’une mesure concrète pour desserrer l’étau islamiste étouffant l’école publique. Il faut dire que l’institution, comme le montre J.-P. Obin dans Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école (Hermann, 2020), tend à voir les élèves musulmans avant tout comme des victimes et se comporte en conséquence.

Colloque à l’Institut de France
Mais si le président Macron et son gouvernement ne voient manifestement pas quoi faire de plus pour sauver l’école publique, ils ne semblent pas à court d’idées pour étouffer la liberté d’enseignement sous prétexte de faire barrage au péril islamiste ! C’est en grande partie sur ce paradoxe qu’ont porté les débats lors du colloque organisé à l’Institut de France, le 14 octobre dernier, par la toute jeune Fondation Kairos, sur le thème : « Une école ambitieuse, meilleur antidote au séparatisme ? » Si les diagnostics étaient fermes et convaincants, les moyens préconisés par les responsables politiques présents à l’estrade ou dans l’assistance avaient de quoi nous rendre perplexes.
Après avoir affirmé leur attachement viscéral à l’« école de la République » (périphrase qui exclut scandaleusement les élèves de l’école libre de la République !), ils approuvèrent le projet gouvernemental d’interdire l’école à la maison et de restreindre encore l’école libre hors contrat, tout en reconnaissant dans un même mouvement que cela se traduirait hélas inévitablement par une explosion du nombre d’écoles musulmanes clandestines (lesquelles ne sont soumises à aucun contrôle organisé). La logique semble faire défaut à de tels raisonnements. Pourquoi réduire des libertés fondamentales qui bénéficient à tous pour lutter contre des comportements ultraminoritaires de gens qui précisément déploient leurs activités dans les interstices des lois ou le mépris des lois. Tant les musulmans paisibles que les autres personnes recourant à la liberté d’enseignement ne peuvent qu’avoir l’impression d’être les boucs émissaires d’une République essoufflée qui n’a pas le courage de s’en prendre résolument à ses ennemis réels ! S’il n’est pas contré efficacement, ce projet de loi inique conduira à la défiance à l’égard de l’État des gens qui jusque-là utilisaient le plus bonnement du monde leurs libertés éducatives.
La décapitation monstrueuse d’un professeur de l’Éducation nationale au sortir de son collège public manifeste à quel point il serait grotesque et déplacé d’accorder la priorité à la lutte contre un phénomène qui touche au maximum 1 % des élèves de France (à savoir l’école à la maison et les écoles privées hors contrat) alors que le destin de 99 % des élèves et de leurs professeurs dépend bien plutôt de l’état de l’école publique.
Avec Matthieu Bock-Côté, intervenant au colloque, rappelons-nous que « vu les circonstances historiques particulières et l’époque troublée qui sont les nôtres », « qui en vient à douter de la légitimité de cette civilisation qui nous a pourtant faits », il devient nécessaire de « défendre ces oasis de culture » que sont l’école à la maison ou les écoles entièrement libres, et qui sont finalement « des institutions où la tradition occidentale est préservée jusqu’à ce qu’elle puisse se redéployer au cœur même de nos institutions communes ».

Anne Coffinier

Anne Coffinier, fondatrice de la Fondation Kairos et présidente de l’association Créer son école-Educ’France : www.fondationkairoseducation.org

© LA NEF n°330 Novembre 2020