Anne Coffinier

Écoles privées et mixité sociale

Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation Nationale, a demandé à l’enseignement privé sous contrat de participer à l’effort de mixité sociale. Explication et présentation des enjeux d’un nouvel accord avec les écoles privées sur la mixité sociale.

Pap Ndiaye a souhaité impliquer l’Enseignement catholique dans la politique de renforcement de la mixité sociale à l’école qu’il déclare être prioritaire pour lui. Ce n’était pas prévu dans le programme du président Macron. À l’origine, le ministre de l’Éducation nationale avait pensé concentrer son action sur la réduction des disparités d’origine sociale entre écoles publiques. Mais la publication en octobre dernier de l’indice de positionnement social des établissements scolaires a changé la donne. Ces statistiques ont démontré une vérité bien connue mais hypocritement occultée jusque-là : l’école privée sous contrat concentre les élèves les plus riches et participe moins que l’école publique à la scolarisation des élèves d’origine sociale modeste. Et de fait, l’existence d’une offre privée attractive contribue à la ségrégation de la population scolaire.
Pour le ministre qui avait été pris en « flagrant délit » de scolariser ses enfants à l’École alsacienne, il devenait nécessaire d’inclure l’enseignement privé dans le périmètre de son action et de donner ainsi des gages à la gauche anti-école libre. Quant à l’Enseignement catholique, supposé donner, à la suite du Christ, la priorité aux pauvres et aux déshérités, il lui était difficile d’expliquer qu’il ne voulait pas participer aux efforts de mixité. Il aurait été conspué s’il avait répondu « j’ai déjà mes pauvres », en faisant allusion aux réductions tarifaires que nombre de ses établissements octroient déjà.

L’enseignement privé piégé

Le Secrétariat de l’Enseignement catholique n’a donc pas eu d’autres choix que se prêter au jeu. À court terme, il a gagné puisque le protocole d’accord Ndiaye/Delorme n’oblige pas les établissements privés sous contrat à un quota chiffré annuel d’élèves d’origine sociale défavorisée ou en difficulté scolaire. Il gagne aussi en ayant réussi à conditionner les efforts de mixité sociale à la perception par les écoles privées sous contrat du même montant d’aides sociales (notamment pour la cantine) de la part les collectivités locales que ce que reçoivent les écoles publiques. Mais à moyen terme, rien n’est garanti, surtout que l’Enseignement catholique a accepté de publier désormais les tarifs et la politique sociale pratiqués par chaque établissement sous contrat. Il est plus que probable que l’État, sur la base de ces données, imposera bientôt des quotas contraignants par école et restreindra drastiquement la liberté de recrutement des élèves.
À droite, nombreux sont ceux qui ont accusé le gouvernement de prendre la responsabilité de « rouvrir la guerre scolaire » en voulant amputer la liberté de recrutement des élèves par les écoles privées sous contrat. Mais il faut bien reconnaître que l’armistice n’a jamais eu lieu dans cette fameuse guerre qui remonte à la Révolution française : il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la suppression à l’été 2021 de l’école à la maison ou de l’enchaînement de lois depuis 2018 pour restreindre les libertés des écoles privées indépendantes. Dans cette guerre, l’Enseignement catholique s’est bien moins mobilisé pour défendre la liberté d’enseignement et les libertés éducatives des familles qu’il ne l’a fait pour conquérir des avantages financiers au profit des écoles sous contrat.

Les parents veulent la liberté de choix

Aujourd’hui, et c’est assez peu souligné, les motifs justifiant politiquement le financement de l’école privée par l’État ne sont plus évidents. La loi Debré de 1959 prévoyait un secteur privé subventionné par l’État pour assurer la liberté de religion et permettre aux Français qui le désiraient de choisir « l’école avec Dieu » quand l’État proposait « l’école sans Dieu », comme le chantait Michel Sardou. Aujourd’hui, ce n’est pas pour la religion mais pour le niveau scolaire et la sérénité qu’elle offre que l’école privée est recherchée par les parents. Si l’État doit la financer, c’est désormais davantage au nom du droit au choix de l’école et à la liberté éducative qu’en raison de la liberté religieuse. En conséquence, deux réalités deviennent difficilement compréhensibles – et donc difficilement admissibles : la première est que l’État ne laisse pas plus de 20 % des élèves rejoindre les écoles privées sous contrat, alors que 60 % des Français le désireraient et que c’est un droit démocratique pour eux de pouvoir le faire. La seconde est les discriminations financières que fait peser l’État sur les familles qui choisissent une école privée. Rien ne permet de justifier le caractère payant des écoles privées sous contrat, puisque le principe du libre choix de l’école est reconnu et que l’enjeu n’est plus supposé être d’arracher à l’Église un maximum d’enfants pour enraciner la République.
Un sondage du 22 mai 2023, réalisé par l’IFOP (1), vient de montrer que les Français sont conscients du caractère très inégalitaire de notre système et qu’ils sont prêts à des changements importants. Pour augmenter l’égalité des chances, près de 6 Français sur 10 réclament une intervention de l’État en faveur du libre choix de l’école publique comme privée, c’est-à-dire la suppression de la carte scolaire régissant les affectations d’élèves entre les écoles publiques, et la prise en charge des frais de scolarité qui sont jusqu’à présent à la charge des parents choisissant une école privée. Cette enquête d’opinion est très encourageante et montre les progrès de la confiance en la liberté d’enseignement dans l’opinion publique. Pouvoir choisir son école publique ou privée au regard des besoins concrets de chaque enfant apparaît comme une évidence de plus en plus largement reconnue. Mais les Français veulent que ce choix se marie à la possibilité de côtoyer des enfants de tous horizons pour que l’école reste le creuset de la nation. En attendant que l’État subventionne le privé autant que le public, il faut instaurer des bourses sociales pour permettre aux enfants méritants d’origine humble d’intégrer les écoles privées. C’est justement ce que font les bourses d’accessibilité délivrées par la Fondation Kairos pour l’innovation éducative.

Anne Coffinier,
Présidente de Créer son école

(1) Sondage commandé par la Fondation Kairos pour l’innovation éducative-Institut de France : www.fondationkairoseducation.org

© LA NEF n° 359 Juin 2023