Mgr Bernard Ginoux © DR

Mgr Ginoux : réaction à l’assassinat de Samuel Paty

Mgr Bernard Ginoux est évêque de Montauban. Il réagit à l’abject assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine.

La Nef – Quelle réaction avez-vous eue après l’assassinat de Samuel Paty ?
Mgr Bernard Ginoux
– Évidemment j’ai pensé à lui et à sa famille. La mort subite est toujours un appel à la miséricorde divine : « Seigneur, prends pitié de lui. » Je confie aussi au Seigneur ceux qui souffrent de cette mort. Mais vous voulez sans doute connaître la réaction humaine et les pensées qui m’ont habité. Je suis profondément ulcéré de toutes ces tragédies causées par l’islamisme. Montauban (et Toulouse !) a connu au mois de mars 2012 la tuerie accomplie par Mohamed Merah. Voir ces crimes se poursuivre (267 morts dans les attentats perpétrés depuis et des centaines de blessés) est révoltant. Notre pays est victime d’une guerre sans merci qui ne touche plus d’abord ni les personnalités, ni les politiques mais les gens « ordinaires ». Et c’est parfois au hasard. Il s’agit de règlements de comptes terroristes contre notre civilisation. Devant ce phénomène nous constatons l’impuissance de l’État qui paraît désarmé et embarrassé dans des idéologies dépassées, dans les revendications de l’islamo-gauchisme et de l’islamophobie qui cultivent la victimisation.

L’État, cependant, se veut cette fois intraitable : qu’en pensez-vous ?
Il y a sans doute de bonnes intentions mais, en même temps, beaucoup d’incohérence et de refus du réel. Ce refus du réel s’inscrit dans l’idée que toutes les religions se valent et que seule la laïcité peut assurer la paix sociale, la laïcité étant entendue comme l’irréligion ou, du moins, le rejet de la religion dans la sphère privée. Or l’islamisme confond religion et idéologie. Il peut, en vérité, s’appuyer sur le Coran et divers récits de la vie de Mahomet où il lira : « préparez pour lutter contre les incrédules tout ce que vous trouverez » (8, 22). Bien sûr, nos voisins musulmans tant qu’ils partagent notre vie et notre culture ne vont pas appliquer ces principes mais ces principes sont inscrits dans la charia. Nos gouvernements pensent que la République est au-dessus de la religion (ce qu’aucun musulman fidèle ne peut approuver) et que tous les citoyens doivent admettre ce principe. Je précise, que comme disciple du Christ, je ne peux l’admettre si ma conscience chrétienne me rappelle que je dois « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29). Par exemple je ne peux accepter ce qui serait offense à Dieu et au prochain. Il y aurait donc pour les politiques à reconsidérer cette posture de base.

Par cette analyse vous semblez dire que le fanatisme islamiste n’est pas contraire à l’islam mais qu’il en est une conséquence malheureuse ?
Selon ce que je viens de dire, et que tout le monde peut constater, la lecture fondamentaliste du Coran conduit au radicalisme. Des sourates invitent à la violence envers tous les ennemis d’Allah et de Mahomet pour faire prévaloir l’islam. Pris à la lettre le texte justifie les combattants fanatiques. Même lorsque le porte-parole d’un courant ou d’une mosquée n’est pas dans cette logique il ne peut cependant pas s’opposer à ce qui est écrit. Ainsi le 20 octobre le grand imam sunnite d’El-Azhar, cheikh Ahmed El-Tayeb, avec qui le pape François a signé à Abou Dhabi un document sur la fraternité humaine (en 2019), s’il condamne avec force la décapitation de Samuel Paty, disant que l’islam et son prophète « n’ont rien à voir avec cet acte criminel odieux » ajoute cependant qu’« insulter les religions et attaquer leurs symboles sacrés est un appel à la haine » (Le Figaro, 20 octobre 2020).
J’en conclus que le respect des religions doit être un souci de l’État laïque et non la volonté de les soumettre à la République. L’État a pour mission de veiller au bien commun et à la paix civile. Il doit sanctionner ce qui trouble ces objectifs mais sauvegarder la liberté d’expression. Cette liberté ne se traduit pas par des caricatures mais par la recherche commune du bien de l’homme. La religion qui exprime la transcendance y participe. L’homme en a besoin.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

© LA NEF n°330 Novembre 2020