rencontre Pétain-Hitler à Montoire le 24 octobre 1940 © Heinrich-Hoffman-Commons.wikimedia.org

Brasillach, ou la dérive d’un jeune intellectuel

Les éditions Pardès rééditent depuis quelques années l’œuvre de Robert Brasillach (1909-1945), œuvre diverse et foisonnante touchant à des genres multiples, malgré sa mort prématurée, fusillé pour collaboration avec l’ennemi le 6 février 1945. La dernière parution de Pardès est Notre avant-guerre (1), qui nous semble le livre le plus important de Brasillach (excepté ses Poèmes de Fresnes qui sont un réel chef-d’œuvre de haute spiritualité), qui a suivi celle, l’an dernier, du Journal d’un homme occupé (2), les deux formant ses « mémoires » qui couvrent les années 1925 à 1940 pour le premier volume, 1940 à 1944 pour le second.

Ces deux ouvrages, d’une belle qualité littéraire, forment un témoignage historique majeur, il est donc logique de les traiter ensemble.

Notre avant-guerre est d’une lecture passionnante, tant Brasillach sait rendre vivante et présente, dans une langue limpide, l’atmosphère du Paris des années 1920-1930. On suit l’auteur découvrant Paris à 16 ans, intégrant, muni d’une bourse, l’hypokhâgne de Louis-le-Grand préparant à l’École normale supérieure qu’il intègre en 1928. Brasillach évoque ses joies littéraires, les « classiques » Baudelaire, Proust ou Péguy, les contemporains, Barrès, Valéry, Giraudoux, Colette… Il se lie d’amitié avec Thierry Maulnier, Maurice Bardèche, Roger Vailland, Georges Blond… se passionne pour le théâtre (magnifiques pages sur les Pitoëff), la poésie, la musique et même le cinéma (il écrira avec Bardèche une Histoire du cinéma en 1935). Il s’éveille à la politique avec « pas mal de dégoût pour le monde moderne et quelques penchants fonciers pour l’anarchie », c’est néanmoins Charles Maurras et sa doctrine qui l’attire et le conforte dans son rejet radical de la démocratie – l’instabilité de la IIIe République n’étant pas de nature à le persuader du contraire.

Au moins jusqu’en 1933, la politique occupe une place secondaire dans ces Mémoires. Sans doute le 6 février 1934, la montée du nazisme et des nationalismes partout en Europe contribuent-ils à son attirance grandissante pour le « fascisme ». Déjà très investi dans la presse (il tient la rubrique littéraire de L’Action française), il s’engage dans un journalisme militant et devient même en 1937 rédacteur en chef de l’hebdomadaire Je suis partout, poste qu’il conservera jusqu’en 1943. Il communie alors à l’antisémitisme des nationalistes de tout bord : « Le Français est antisémite d’instinct, bien entendu », écrit-il.

Un long chapitre est consacré à « ce mal du siècle, le fascisme », où il raconte longuement son voyage au congrès de Nuremberg de 1937 avec une fascination qui met mal à l’aise, le lieu étant décrit comme une « enceinte magique » où se déroule « l’office hitlérien » : « Je ne crois pas avoir vu de ma vie spectacle plus prodigieux » ! Peut-être y a-t-il une certaine naïveté chez Brasillach qui appréhende la politique de façon fort romantique : « le fascisme, c’est un esprit. C’est un esprit anticonformiste d’abord, antibourgeois, et l’irrespect y avait sa part. C’est un esprit opposé aux préjugés, à ceux de la classe comme à tout autre. C’est l’esprit même de l’amitié, dont nous aurions voulu qu’il s’élevât jusqu’à l’amitié nationale. »

Le Journal d’un homme occupé prend la suite de Notre avant-guerre, au moment où Brasillach est sous les drapeaux, en juin 1940, dans l’Est de la France. Il s’agit d’une œuvre posthume qui rassemble différents textes et articles : il n’y a là ni la cohérence ni la force de Notre avant-guerre, mais ce second volume de Mémoires n’en offre pas moins un intérêt certain. Il explique comment son régiment, stationné en Lorraine, n’a pas eu à combattre et s’est retrouvé aux mains de l’ennemi, il livre de brefs regards sur le Paris d’avant la défaite et narre longuement sa captivité jusqu’en mars 1941 (ces Allemands si sympathiques qui les ont si bien traités !), alors libéré grâce à ses amitiés politiques.

La deuxième partie regroupe quatre textes de la période 1941-1943 d’où émerge un reportage sur le front de Russie avec un passage fort émouvant et instructif par Katyn. Il est cependant triste de constater que ce reportage relève de la pure propagande, l’auteur faisant passer les Allemands en Russie pour de bienfaisants libérateurs : « ce qui a frappé » l’auteur en Russie était « l’aspect colonial de cette occupation, un peu semblable à ce que nous avons fait au Maroc, c’est-à-dire le double aspect de la pacification militaire et de la reconstruction ». Aragon revenant de Moscou était tout autant aveuglé par l’idéologie. Puis, la troisième partie relate la Libération et la prison.

Ces écrits éclairent l’égarement d’une certaine jeunesse intellectuelle de l’entre-deux-guerres attirée par le fascisme au point de sombrer dans la collaboration. Les idées aussi tuent, et il est normal que les intellectuels assument leurs responsabilités. Brasillach, assurément, devait payer, mais il ne méritait pas de finir devant le peloton… à la différence d’autres bien plus coupables, comme Lucien Rebatet, son collègue de Je suis partout.

Christophe Geffroy

(1) Notre avant-guerre. Mémoires, préface de Peter Tame, notes, notices et iconographie par David Gattegno, Pardès, 2020, 460 pages, 26 €.
(2) Journal d’un homme occupé. Mémoires, préface de Cécile Dugas, Pardès, 2019, 330 pages, 24 €.

© LA NEF n°329 Octobre 2020