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Samaritanus bonus : une charge vigoureuse contre l’euthanasie

La Congrégation pour la Doctrine de la foi a rendu publique, fin septembre, la lettre Samaritanus bonus (le bon Samaritain) « sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie ». En notre époque sans repère qui voit l’euthanasie avancer à grands pas – elle est déjà légalisée dans plusieurs pays européens –, un tel texte est particulièrement bienvenu. Il l’est d’autant plus que Rome nous propose ici une réflexion remarquable de très haut vol (et de petite dimension, donc facile à lire) dont toute personne concernée par le sujet devrait prendre connaissance.

S’interroger sur les aspects moraux de la médecine est aujourd’hui d’une grande urgence, car celle-ci devient de plus en plus complexe et dominée par la technique, renvoyant la relation humaine au second plan et oubliant aussi parfois combien la condition humaine est « marquée par la finitude et la limite, qui est la vulnérabilité » : « La faiblesse, en effet, nous rappelle notre dépendance à l’égard de Dieu et nous invite à répondre avec le respect dû au prochain. De là naît la responsabilité morale, liée à la conscience de toute personne qui prend soin du malade (médecin, infirmier, membre de la famille, bénévole, pasteur) d’être en présence d’un bien fondamental et inaliénable – la personne humaine – qui impose de ne pas pouvoir dépasser la limite dans laquelle le respect de soi et des autres se situe, c’est-à-dire l’accueil, la protection et la promotion de la vie humaine jusqu’à la survenue naturelle de la mort. […] Assurément, la médecine doit accepter la limite de la mort comme faisant partie de la condition humaine. Il arrive un moment où il suffit de reconnaître l’impossibilité d’intervenir avec des thérapies spécifiques sur une maladie qui se présente comme mortelle à bref délai. C’est un fait dramatique, qui doit être communiqué au malade avec une grande humanité et aussi avec une ouverture confiante à la perspective surnaturelle, conscient de l’angoisse que la mort génère, surtout dans une culture qui la cache. En effet, on ne peut pas considérer la vie physique comme une chose à préserver à tout prix – ce qui est impossible –, mais comme une chose à vivre en parvenant à une libre acceptation du sens de l’existence corporelle. »

Aucune personne, si malade, handicapée ou dépendante soit-elle, ne doit être vue comme un « fardeau pour la société » : la dignité de la personne ne se mesure pas à une prétendue « qualité de vie », elle demeure liée à la personne elle-même, « créée à l’image de Dieu », toujours capable de donner et recevoir de l’amour, tout particulièrement l’Amour de Dieu qui ne fait jamais défaut. Il est vrai que la souffrance ne trouve son sens que dans la Croix du Christ où « sont concentrés et résumés tous les maux et souffrances du monde » : « En effet, la douleur n’est existentiellement supportable que là où il y a l’espérance. L’espérance que le Christ transmet aux souffrants et aux malades est celle de sa présence, de sa réelle proximité. L’espérance n’est pas seulement l’attente d’un avenir meilleur, c’est un regard sur le présent, qui le rend plein de sens. Dans la foi chrétienne, l’événement de la Résurrection non seulement dévoile la vie éternelle, mais rend manifeste que dans l’histoire, le mot ultime n’est jamais la mort, la douleur, la trahison, le mal. »

C’est pourquoi cette lettre condamne l’euthanasie, « acte intrinsèquement mauvais, quelles que soient l’occasion ou les circonstances », avec une rare fermeté : « Supprimer un malade qui demande l’euthanasie ne signifie pas du tout reconnaître son autonomie et la valoriser, mais signifie au contraire méconnaître la valeur de sa liberté, fortement conditionnée par la maladie et la douleur, et la valeur de sa vie, en lui refusant toute possibilité ultérieure de relation humaine, de sens de l’existence et de croissance dans la vie théologale. De plus, on décide du moment de la mort à la place de Dieu. Pour cette raison, “l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré […] corrompent la civilisation, déshonorent ceux qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l’honneur du Créateur”. » A ce niveau, le texte examine les facteurs qui obscurcissent la valeur sacrée de la vie : le faux concept de « mort digne » en lien avec celui de « qualité de vie », « une mauvaise compréhension de la “compassion” » et, enfin, « un individualisme croissant, qui conduit à considérer les autres comme une limite et une menace à sa propre liberté », lequel engendre surtout la solitude.

« La demande de mort, en fait, dans de nombreux cas, est un symptôme de la maladie elle-même, aggravé par l’isolement et le découragement », écrivent nos auteurs qui poursuivent : « D’un point de vue clinique, les facteurs qui déterminent en majorité la demande d’euthanasie et de suicide assisté sont : la douleur non traitée ; le manque d’espérance, humaine et théologale, que provoque notamment une assistance humaine, psychologique et spirituelle souvent inadaptée de la part de ceux qui prennent soin du malade. »

La lettre explique ensuite qu’il y a « l’obligation morale d’exclure l’acharnement thérapeutique », mais qu’on ne peut suspendre les soins élémentaires (comme la nourriture) à des personnes en condition critique, sans perspective d’amélioration mais que ne sont pas en fin de vie (cas de Vincent Lambert). Enfin, elle rappelle la nécessité pour les États de reconnaître l’objection de conscience dans le domaine médical, faute de quoi « on pourra en arriver à la situation de devoir désobéir à la loi, pour ne pas ajouter l’injustice à l’injustice, en conditionnant la conscience des personnes ».

Un texte fort qui montre que toutes ces questions ne trouvent fondamentalement leur sens que dans la foi en Dieu, dans la souffrance rédemptrice du Christ et qui appellent chacun à se souvenir que notre destinée est au-delà de la vie d’ici-bas.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°330 Novembre 2020