Peu de nos contemporains, y compris parmi les chrétiens, ont conscience que la morale catholique est fondamentalement une morale du bonheur, et non une morale de l’obligation ou des interdits. Dans un ouvrage de référence incontournable, Les sources de la morale chrétienne (1), le Père Servais-Theodor Pinckaers (1925-2008) le montre abondamment : il sera notre guide pour notre petite démonstration.
Si l’on demandait aux passants dans la rue ce qu’est la morale chrétienne, il y a fort à parier que beaucoup répondraient : une vision étriquée et restrictive de la sexualité, l’interdiction de l’avortement, l’illégitimité du « mariage » entre personnes de même sexe, le combat contre la PMA, la GPA, l’euthanasie, la théorie du genre, etc. Bref, cela se résumerait à une liste d’« interdits » pour conclure que l’Église est « contre » le bonheur des gens, puisqu’elle les empêche de suivre leurs désirs jugés légitimes et relevant de la seule responsabilité personnelle ; on l’accuserait vraisemblablement d’instituer partout des limites aux désirs et à la volonté des individus. Et il est vrai que dans le passé, certains théologiens moralistes, héritiers du nominalisme et, plus récemment, du jansénisme, ont contribué à donner une telle image de la morale chrétienne. Cette conception rigide de la morale basée sur les obligations ou le devoir, est en réalité relativement récente et est totalement étrangère aux Pères de l’Église ou à saint Thomas d’Aquin… et plus fondamentalement encore à l’Évangile lui-même.
La « morale chrétienne »
À l’origine, ce que l’on appelle la « morale chrétienne » trouve sa source dans le Sermon sur la Montagne, dans l’Évangile même donc : « Heureux êtes-vous… » (2). Le point de départ de la morale chrétienne est la question du bonheur, lequel réside dans la jouissance de Dieu. Cette morale vise certes d’abord le bonheur absolu et éternel de l’Au-delà, mais aussi, dès ici-bas, le bonheur humain, relatif et incertain : car vivre vertueusement rend l’homme heureux.
Cette source, aujourd’hui très largement oubliée, est cependant essentielle, car si l’on déconnecte la morale chrétienne de l’Évangile, on peut se demander alors ce qu’elle a de spécifique et si elle ne coïncide pas avec la morale naturelle, celle du Décalogue, si l’on met à part les trois premiers commandements relatifs à Dieu. De fait, beaucoup, pour mettre en lumière l’apport du christianisme à la morale, cherchent ce qui est original dans le Nouveau Testament, qui n’existait ni dans l’Ancien Testament ni dans les autres religions et dans les grandes philosophies. Les résultats obtenus par cette méthode sont maigres : il n’émerge guère que le précepte de l’amour fraternel de saint Jean (« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés »), l’amour des ennemis et la nécessité du pardon.
Cette méthode, cependant, souffre de deux graves défauts : d’abord, « la conception de la morale comme étant le domaine des obligations, des impératifs, des commandements, laquelle entraîne une séparation entre le dogme et la morale » (p. 120) est totalement étrangère aux Anciens. Pour ceux-ci, « la morale était dominée par la question du bonheur et du salut ; elle était occupée par l’enseignement sur les vertus, sur les qualités du “cœur” et de l’esprit qui conduisent à Dieu » (id.). Plutôt que de s’attarder aux interdits, elle s’attache à cultiver les vertus qui épanouissent l’homme conformément à sa nature (et l’aident dès lors à respecter les préceptes moraux).
Ensuite, plutôt que de découper les textes pour extraire ce qui est « original », il convient « de comparer la morale chrétienne avec les autres morales comme un ensemble organisé et structuré face à d’autres ensembles, de faire ainsi la distinction par la totalité de ses traits et non par le seul résidu éventuel » (p. 121). Face aux Juifs et aux païens, saint Paul affirme la foi en Jésus, crucifié et ressuscité, scandale pour les Juifs, folie pour les païens : ainsi saint Paul met au-dessus des vertus enseignées par les Grecs les trois vertus théologales – foi, espérance et charité –, dons de la grâce, qu’ignoraient les philosophes ; pour la conduite de notre vie, l’Apôtre accorde une place prépondérante à la grâce que Dieu ne manque jamais de nous donner et à l’action de l’Esprit Saint : ce qui change totalement la perspective de la morale.
Le Sermon sur la Montagne délaissé
Pourquoi en est-on arrivé à délaisser le Sermon sur la Montagne comme la source de la morale chrétienne ? Parce que cet enseignement, vu sans la grâce, a paru inaccessible à l’homme ordinaire ; on a donc distingué la morale commune qui s’adresse à tous, exprimée par le Décalogue, et la morale réservée à une élite – les religieux notamment – à laquelle s’adresse plus particulièrement le Sermon sur la Montagne, qui serait donc pour tous de l’ordre des conseils et non des préceptes. Cette interprétation est devenue majoritaire dans l’Église à partir du nominalisme et chez les protestants. Elle s’oppose néanmoins à toute la tradition des Pères de l’Église jusqu’à saint Thomas d’Aquin et a conduit à élaborer la théologie morale autour des Dix Commandements en faisant du Sermon sur la Montagne un enseignement spirituel et non plus moral. Ajoutons que la distinction entre une morale « accessible » à tous et celle destinée à une élite seule appelée à la sainteté relève de la gnose et ne répond pas à la difficulté de pratiquer le Sermon. Être religieux ou religieuse soumis à une règle aide à vivre pour Dieu, mais cela ne suffit pas à donner la capacité de suivre le Sermon mieux que peut le faire un simple chrétien. Les éléments déterminants sont la foi et la grâce, qui, loin de séparer les religieux des chrétiens du rang, les unissent plus profondément.
Saint Augustin et saint Thomas
Saint Augustin avait fait du Sermon sur la Montagne le pilier de toute la morale chrétienne (2), puisque le Christ nous offre là le modèle parfait de la vie chrétienne. Augustin interprétait les Béatitudes « comme la description des sept degrés ou étapes qui conduisent le chrétien de l’humilité ou pauvreté en esprit à la sagesse et à la vision de Dieu » (p. 158). Pour lui, le « chemin des Béatitudes est également un chemin des vertus. Il met en œuvre une série de vertus qui seront caractéristiques de cette interprétation et qui diffèrent de la liste classique des vertus théologales et morales : humilité, docilité, pénitence, recherche de la justice, pureté de cœur, paix et sagesse. Cette série, moins systématique, s’accorde bien à la description du progrès spirituel chrétien » (p. 161).
On a parfois opposé saint Thomas d’Aquin à saint Augustin, pourtant, dans le domaine moral, le second s’inscrit dans la continuité du premier, il le reprend et le complète en associant notamment une béatitude à chaque vertu par l’intermédiaire du don du Saint-Esprit correspondant. Il est vrai que notre manie de moderne de tout séparer nous empêche d’envisager la Somme théologique comme un tout et de comprendre que pour le Docteur angélique le traité des Béatitudes domine l’édifice de la morale quand la plupart de ses commentateurs l’évacuent au prétexte qu’il s’agirait là de spiritualité. « Trois grands sommets dominent la morale de saint Thomas et lui font en quelque sorte toucher le ciel, écrit le Père Pinckaers : le cheminement vers la béatitude qui aboutit à la vision de Dieu, la voie des vertus théologales qui nous rendent Dieu présent, enfin la Loi évangélique qui est le point culminant ici-bas de toute la législation issue de la sagesse de Dieu et communiquée à l’homme » (p. 184). Saint Thomas explicite clairement ce qu’est la Loi évangélique : « Ce qui est principal dans la Loi du Nouveau Testament, ce en quoi réside toute sa force, c’est la grâce du Saint-Esprit donnée par la foi au Christ. Ainsi la Loi nouvelle consiste-t-elle principalement dans la grâce du Saint-Esprit donnée aux fidèles du Christ » (cité p. 186). On rejoint là saint Paul comme on l’a vu plus haut. Saint Thomas précise que la Loi nouvelle contient aussi des éléments qui disposent à recevoir la grâce de l’Esprit Saint : l’Écriture, les sacrements et « tout ce qui est institutionnel et visible dans l’Église » (p. 188). Or, ces « trois grands sommets » se placent précisément dans les traités de la Somme théologique qui sont écartés de la morale par les commentateurs modernes.
Pour saint Thomas, le Sermon sur la Montagne appartient à la Loi évangélique et « contient toute la doctrine sur la vie chrétienne » (cit. p. 193). Saint Thomas est étranger à une vision de la morale consistant dans des obligations ou interdits déterminés par les préceptes bibliques ; pour lui, la morale se concentre dans les vertus qui règlent l’agir moral, d’où l’importance de leur acquisition, plus essentielle que les préceptes ou les obligations. Et c’est l’existence des vertus spécifiquement chrétiennes que sont les vertus théologales, qui orientent vers la béatitude – vers le bonheur éternel –, qui fait l’originalité de la morale chrétienne. « L’action de l’Esprit par les vertus crée en l’homme un mouvement spontané et personnel vers l’action bonne qui permet de réduire les préceptes au minimum pour ouvrir un plus large champ à l’initiative de la liberté » (p. 196) : la morale chrétienne est donc pour saint Thomas non seulement une morale du bonheur mais également une « morale de liberté ».
La révolution nominaliste
Le nominalisme, qui s’impose au XIVe siècle avec le franciscain Guillaume d’Ockham (1285-1347), va entraîner un bouleversement profond dans la pensée philosophique avec d’immenses répercussions dans la théologie et la morale. Le nominalisme rejette tout concept universel, comme homme ou chien : n’existent que tel homme ou tel chien, le concept universel n’étant qu’une simple appellation pratique mais sans réalité, n’ayant donc qu’une valeur nominale (d’où le « nominalisme »).
Pour la question morale qui nous occupe, la principale révolution nominaliste concerne la nouvelle conception de la liberté que le Père Pinckaers nomme la « liberté d’indifférence », par opposition à la « liberté de qualité ». Pour saint Thomas, la liberté s’appuie sur des dispositions naturelles, comme le sens du vrai et du bien, l’amour, le désir de la connaissance ou la recherche du bonheur. Ce sont ces dispositions qui fondent notre liberté et plus nous les développons plus nous sommes libres.
Pour Ockham, « la liberté est essentiellement le pouvoir de choisir entre des contraires, indépendamment de toute cause autre que la liberté ou la volonté même. La liberté se tient toute dans une indétermination foncière entre les contraires, entre le oui et le non, dans une indifférence originelle de la volonté qui lui permet de ne se déterminer dans le choix qu’à partir d’elle-même. D’où ce nom de liberté d’indifférence. […] C’est le noyau de l’âme humaine avec ses facultés qui se rompt à partir d’une conception nouvelle de la liberté, provoquant des éclatements successifs qui vont briser l’unité de la théologie et de la pensée occidentale. Avec Ockham, la liberté, par la revendication de l’autonomie radicale qui la définit, se sépare de tout ce qui n’est pas elle, de la raison et de la sensibilité, des inclinations naturelles et de tout facteur extérieur. Il s’ensuivra de multiples séparations : entre la liberté, d’un côté, la nature, la loi, la grâce, de l’autre, entre la morale et la mystique, la raison et la foi, l’individu et la société, etc. » (p. 252).
Plus de besoin d’éduquer à la liberté
On comprend pourquoi le besoin d’éducation à la liberté qui caractérise la « liberté de qualité » disparaît dans la « liberté d’indifférence ». Pour la première, la liberté est l’aboutissement d’une initiation, d’une sorte d’ascèse, alors que la seconde est donnée sans effort et partagée par tous ; pour la première, il n’y a pas de choix légitime entre le bien et le mal, seulement entre différents biens (certains réels, d’autres apparents), le choix du mal étant une déficience de la liberté, alors que pour la seconde le choix entre bien et mal relève de l’essence de la liberté.
Ockham a par ailleurs une vision absolue de la liberté toute-puissante de Dieu, qui n’est tenu ni par sa création ni même par la cohérence, sa volonté étant absolument libre, au point que s’il commandait de le haïr, il serait méritoire de le suivre : Ockham « ne reconnaît pas dans la nature humaine, d’ordre ou de loi quelconque qui puisse déterminer la liberté et la toute-puissance divines » (p. 256). « Ainsi la loi et l’obligation prennent-elles place au centre de la morale d’Ockham ; elles en deviennent le nœud et le foyer. L’obligation va former pour lui l’élément constitutif et l’essence même de la moralité » (p. 257). Cette morale de l’obligation crée une scission entre le bien et le désir de bonheur. Pour lui, la charité elle-même est soumise à l’obligation. « Ainsi le domaine de la morale va-t-il être désormais circonscrit par les obligations morales. Il s’étendra aussi loin que les obligations, mais il s’arrêtera également avec leurs limites : ce qui échappe à l’obligation ou la dépasse, comme l’élan de la charité vers la perfection, n’appartiendra plus à la morale proprement dite. […] Dès lors, la loi va exercer une fonction de plus en plus prépondérante en morale. Le domaine de la morale coïncidera avec celui des lois et se divisera bientôt non plus selon les vertus, mais d’après les différentes lois et, plus précisément, d’après les commandements de la principale loi morale, le Décalogue » (p. 258).
Primauté de la volonté
Alors que saint Thomas expliquait la liberté comme procédant de l’intelligence et de la volonté, donc en l’enracinant dans les inclinations à la vérité et au bien, le nominalisme donne la primauté à la seule volonté déconnectée de toute contrainte. La volonté n’est plus mue par l’amour et la recherche du bien, mais par la relation du commandement et de l’obéissance. Il n’y a donc plus de conformité à la nature ni de question de la « vie bonne » ou du bonheur de l’homme et des voies pour l’atteindre.
Saint Thomas avait élaboré sa morale sur la base des sept grandes vertus, théologales et cardinales, lesquelles développent les inclinations naturelles et les conduisent à leur perfection par les habitus (dispositions stables). Pour le nominalisme, ceux-ci réduisent le champ de la liberté, aussi les écarte-t-il, conséquence logique après avoir rejeté les inclinations naturelles au sein de la liberté humaine. Il en va de même des passions qui sont regardées comme un obstacle au champ de la liberté ouvert à toute l’étendue des choix contraires possibles (notamment entre bien et mal), alors que saint Thomas avait montré que les passions, bien maîtrisées, pouvaient être bonnes et acquérir une valeur morale positive.
Autre conséquence de la « liberté d’indifférence » qui est faculté de choix sans relation au bien : elle tend de ce fait à l’indépendance ou à l’autonomie de la personne « comprise comme refus de toute dépendance, de toute norme ou loi qui ne vienne pas de soi » (p. 346).
Ce qui précède permet de mesurer l’influence du nominalisme sur toute la pensée moderne, notamment le grand mouvement d’« émancipation » qui a progressivement conduit à rejeter toute limite s’imposant de l’extérieur à la volonté de l’homme : Dieu d’abord, la nature ensuite (loi naturelle), la culture enfin (théorie du genre). Avec le nominalisme la morale de l’obligation va rapidement éclipser la morale du bonheur et des vertus qui prévalait jusque-là. Même les critiques du nominalisme mettront l’obligation au centre de la morale (qui s’occupe des préceptes), désormais séparée de la mystique (qui s’intéresse aux conseils évangéliques) ou recherche de la perfection réservée aux « saints ».
Où en est-on ?
La morale va désormais se concentrer sur quatre piliers : l’acte humain, la loi, la conscience et les péchés, les Commandements traçant le cadre des obligations. Tel est le contenu des manuels de morale qui se développent alors. Le triomphe de la « liberté d’indifférence » explique le volontarisme de la morale et la marginalisation des inclinations naturelles ou acquises si chères à saint Thomas. On glisse ainsi vers une problématique du permis et du défendu, la question étant de bien cerner ce qui est obligatoire ou interdit et ce qui est libre, avec une forte propension à étudier les « cas de conscience » (développement de la casuistique et apparition du probabilisme). Kant, avec sa morale du devoir, est également un héritier de cette lignée issue du nominalisme.
On perçoit à quel point l’horizon s’est rétréci, par contraste « avec la largeur des vues sur l’agir de l’homme et sur Dieu que l’on rencontre chez les Pères et les grands scolastiques » (p. 285). Il faut néanmoins reconnaître à la morale des manuels d’avoir répondu au rôle qui leur était assigné : « mettre à la portée des prêtres et des chrétiens l’essentiel de la morale chrétienne dans une systématisation adaptée aux besoins et aux idées de l’époque moderne » (p. 286). Saint Alphonse de Liguori représente le meilleur de l’ère des manuels, tandis qu’un saint François de Sales montrait un esprit étonnamment novateur en prônant à nouveau la sainteté pour tous.
Il y a bien eu ensuite un renouveau thomiste qui s’est opéré sous l’impulsion de Léon XIII à la fin du XIXe siècle. Il a produit un brillant mouvement intellectuel d’où émergent les noms de Jacques Maritain et Étienne Gilson qui ont beaucoup fait pour remettre saint Thomas à l’honneur, mais ils l’ont fait en philosophes bien plus qu’en théologiens et moralistes. Et si ce renouveau a contribué à un certain retour au traité des vertus et des dons du Saint-Esprit de saint Thomas, il n’est pas allé jusqu’à remettre au goût du jour la morale du bonheur qui était celle du Docteur angélique et des Pères de l’Église.
Plus près de nous, le concile Vatican II a contribué à opérer un changement salutaire dans les mentalités en rappelant l’appel universel à la sainteté, des laïcs notamment. La crise post-conciliaire et l’esprit soixante-huitard ont cependant fortement ébranlé une morale chrétienne déjà minée par l’horizontalisme de l’époque, l’individualisme et l’humanisme anthropocentrique. Cela a au moins permis d’éliminer certaines rigidités du passé héritées de l’imprégnation janséniste et d’ouvrir des perspectives intéressantes permettant peut-être de revenir à une morale du bonheur… pour tous.
Que faire ?
Les morales de l’obligation ou du devoir axées sur le péché ne sont certes pas illégitimes, mais elles ne sont pas les seules possibles – et certainement pas les plus attractives pour l’homme actuel. Il faudrait donc réaffirmer qu’à l’origine de la morale se pose la question du bonheur et non celle de l’obligation, faute de quoi il est impossible d’intégrer le Sermon sur la Montagne comme base de la morale (avant même le Décalogue ou la loi naturelle), cet enseignement étant trop intime et personnel pour être vécu comme un ensemble d’impératifs stricts. Faire du bonheur la question centrale de la morale, où la notion d’obligation sera subordonnée à celle de vertu, conduit à une morale de l’attrait qui aspire à la vérité et au bien en consonance avec les promesses des Béatitudes, en sachant que ce chemin exigeant ne peut se suivre sans le don de la grâce divine, selon la parole du Christ : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible » (Mt 19, 26).
Rompre avec les morales de l’obligation et avec la « liberté d’indifférence » qui leur est consubstantielle permettrait également de revenir à une vision harmonieuse entre la nature et la liberté : comprendre qu’il existe une nature humaine qui a une dimension spirituelle intégrant des inclinations à la vérité, au bien, à l’amour, etc., qui non seulement ne s’opposent pas à la liberté mais en sont au contraire les fondements qui lui permettent de s’épanouir pleinement. Alors, le concept si fondamental de loi naturelle pourra retrouver sa cohérence et donc sa fonction nécessaire en morale et assurer dans la Cité la base d’entente indispensable entre des hommes qui ne partagent pas la même foi.
Christophe Geffroy
(1) Servais (Th.) Pinckaers, Les sources de la morale chrétienne. Sa méthode, son contenu, son histoire, Academic Press/Cerf, rééd. 2012 [1985]. Sauf mention contraire, toutes les citations proviennent de cet ouvrage, la référence de page étant signalée entre parenthèses.
(2) Le Sermon sur la Montagne ne s’arrête pas aux seules Béatitudes, mais à tout l’enseignement qui suit et couvre les chapitres 5 à 7 de saint Matthieu (Mt 5, 1 à 7, 29).
(3) Cf. Saint Augustin explique le Sermon sur la Montagne, DDB, coll. « Les Pères dans la foi », 1978.
© LA NEF n°331 Décembre 2020