Dans son dernier livre (1), Pierre-André Taguieff démonte à merveille l’imposture décoloniale. Explications.
Philosophe, historien des idées, auteur d’essais brillants et très souvent précurseurs, Pierre-André Taguieff montre avec son plus récent ouvrage, L’imposture décoloniale. Science imaginaire et pseudo-antiracisme (1), combien un certain nombre de théories venues des campus universitaires américains, qui se développent en France comme partout en Occident, sont porteuses de sombres lendemains, à l’image des théories marxistes de funeste mémoire. Du moins, si l’on ne prend pas le temps de les analyser sérieusement, de bien saisir les enjeux et les dangers que ces théories impliquent.
Les théories dites post-coloniales ou décoloniales, la plupart du temps associées aux radicalismes de la théorie du genre et des nouveaux féminismes, ces derniers étant eux aussi souvent « racisés », c’est-à-dire exclusifs des femmes blanches, considérées comme inaptes à parler au nom des femmes, n’étant pas réellement opprimées puisque blanches, forment selon Taguieff, et son travail est pour le moins convaincant, une ancienne nébuleuse sectaire tendant à s’élargir et à investir progressivement l’ensemble du champ culturel, politique, intellectuel et social. Or, ces courants qui essentialisent les identités minoritaires, des « Noirs » aux LGBT en passant par des musulmans, impossibles à critiquer sous peine d’accusation d’islamophobie, radicalisent toutes les questions sociales et politiques, développent des conceptions communautaristes tournées contre « la blanchité », les « blancs » en général qui seraient « par nature » des oppresseurs, opposent maintenant les citoyens Français entre eux, accusant la « République blanche » d’être le lieu d’un racisme structurel et systémique : ainsi, la colonisation, nous la vivrions toujours, ici et maintenant, en France.
Pierre-André Taguieff fait un tour d’horizon des multiples problèmes induits, à toutes les échelles de la société française, par le décolonialisme, un anti-racisme qui est de fait un racisme refusant de dire son nom. Un racisme « anti-blancs », ce que l’auteur démontre avec pertinence, si bien qu’il est difficile de traduire la qualité de la recherche menée, fondée sur de nombreuses sources. Cet ouvrage est le produit d’un énorme travail. À plusieurs reprises, Taguieff pose clairement les choses, comme dans ce passage : « Résumons-nous. Il n’y a pas de “pensée postcoloniale” ni de “pensée décoloniale”, il n’existe pas non plus des approches scientifiques se fondant sur un corps de concepts, de modèles d’intelligibilité et d’hypothèses qui constituerait la “théorie postcoloniale” ou la “théorie décoloniale”. Il n’y a que des écrivains et des universitaires politiquement engagés dans la critique plus ou moins radicale, de l’histoire et de la pensée européennes avec des outils intellectuels empruntés aux penseurs européens », ce qui est en effet l’un des nombreux paradoxes.
Pierre-André Taguieff le montre : la France est menacée par une vaste supercherie, un ensemble de théories imaginaires qui visent à mettre en œuvre un faux monde. Cela ne peut que rappeler les heures terribles du communisme du siècle passé. C’est le même mode de pensée et de fonctionnement. Il reprend, pour la dénoncer avec humour, la manière de faire des idéologues postcoloniaux, écrivant par exemple que « le postcolonialisme militant constitue une sorte de spécialité médicale dont le diagnostic est simple et les prescriptions thérapeutiques invariables. Les médecins postcoloniaux postulent que le racisme colonial est une maladie héréditaire et contagieuse affectant les descendants des esclavagistes et des colonialistes, qui vivent dans des sociétés néo-esclavagistes et néo-colonialistes “blanches” où les “dominés” sont nécessairement “racisés”. Le racisme colonial est donc une maladie qui s’hérite et s’attrape par simple contact. Face à la supposée persistance, voire à l’extension indéfinie du racisme colonial à de nouveaux groupes issus de l’immigration et formant de nouvelles “minorités racisées”, un unique remède est prescrit : la dénonciation litanique du racisme colonial ». Une délation dont l’objet est l’intimidation, la réduction de la pensée d’autrui au Mal et finalement le refus de la liberté d’expression autant que de la démocratie.
L’une des grandes forces de ce travail de Taguieff est ainsi de montrer que, derrière des mouvances que l’on aurait tort de penser minoritaires, bien au contraire, tant elles gangrènent les universités et les lycées, séduisant de nombreux jeunes en quête de combats apparemment « justes », c’est toute une vision d’un universalisme humain qui est mise à mal. Et toute l’histoire de l’Occident, à commencer par celles de l’Europe et de la France. Si Pierre-André Taguieff est si lucide, c’est qu’il fut le premier à démontrer le devenir raciste de l’anti-racisme de la gauche radicale. L’un des penseurs contemporains que l’on ne peut plus éviter de lire.
Matthieu Baumier
(1) Pierre-André Taguieff, L’imposture décoloniale. Science imaginaire et pseudo-antiracisme, Éditions de L’Observatoire, 2020, 346 pages, 21 €.
Signalons que Pierre-André Taguieff a également publié un « Que sais-je ? » sur L’eugénisme (2020, 128 pages, 9 €).
© LA NEF n°332 Janvier 2020