George Weigel © DR

Église et Occident : quel avenir ?

Jean-Paul II avait longuement réfléchi à l’avenir de l’Église et de la civilisation occidentale. George Weigel développe ici une puissante réflexion en analysant la situation avec les yeux de Jean-Paul II afin de dégager les grands axes de ce qu’il faudrait faire pour bâtir l’Église de la nouvelle évangélisation.

Nous avons célébré en 2020 le centenaire de la naissance de Karol Wojtyla, le pape Jean-Paul II. À cette occasion, beaucoup ont jeté un regard en arrière, ce qui est compréhensible. Mais je pense que saint Jean-Paul II aimerait que nous fassions autre chose. J’ai longtemps été préoccupé par le fait que l’on regarde beaucoup trop en arrière, par-dessus son épaule, et pas assez en avant, à travers les yeux de Jean-Paul II.
Je comprends les sentiments qui poussent tant de personnes à regarder Jean-Paul II avec tant d’affection et même de nostalgie. La place énorme qu’il occupe dans l’imagination catholique est tout à fait compréhensible. Et pourtant, je crois qu’il serait bien plus satisfait si nous regardions vers l’avenir, avec une vision façonnée par son exemple et son enseignement, et si nous envisagions nos responsabilités de cette manière.
Permettez-moi donc, à travers les yeux de Jean-Paul II, de regarder vers deux avenirs : l’avenir de l’Église catholique et l’avenir du projet de civilisation occidentale ou, plus précisément, l’avenir de la démocratie occidentale. Ces deux avenirs se croisent, comme je le suggérerai à la fin de cette chronique. Toutefois, permettez-moi pour l’instant de traiter séparément chacun de ces avenirs.

I – L’AVENIR DE L’ÉGLISE

Commençons par l’avenir de l’Église, vu à travers les yeux de Jean-Paul II. Comment voudrait-il que nous envisagions l’Église catholique des cent prochaines années ?
En fait, il nous a dit très clairement comment il nous ferait penser au catholicisme de l’avenir. Il nous l’a dit dans l’encyclique Redemptoris Missio de 1990 ; il nous l’a dit à nouveau tout au long du Grand Jubilé de 2000 ; et il nous l’a dit de manière très spécifique dans la lettre apostolique clôturant le Grand Jubilé, Novo Millennio Ineunte.
Dans Redemptoris Missio, tout au long du Grand Jubilé, et dans Novo Millennio Ineunte, Jean-Paul II a résumé l’enseignement de son pontificat et sa vision de l’avenir catholique : il l’a fait sous la rubrique « L’Église de la nouvelle évangélisation ». Comme j’ai essayé de le démontrer dans mon livre The irony of modern catholic history (2019), cette idée centrale de l’enseignement de Jean-Paul II est le point culminant d’une évolution complexe et souvent controversée qui a commencé avec le pape Léon XIII, qui a pris en 1878 la décision audacieuse et stratégique que l’Église catholique ne se contenterait plus de résister au monde moderne, mais qu’elle s’engagerait dans le monde moderne afin de convertir le monde moderne.
Les énergies créées par cette décision léonine se sont répercutées sur l’Église mondiale pendant quelque 80 ans, et c’est pour rassembler et concentrer ces énergies que le pape Jean XXIII a convoqué le concile Vatican II. Jean XXIII a convoqué Vatican II pour que l’Église catholique puisse faire une nouvelle expérience de la Pentecôte, une expérience de ce feu du Saint-Esprit qui a conduit l’Église primitive à aller convertir une si grande partie du monde méditerranéen. En tant que jeune évêque auxiliaire à Cracovie, puis en tant qu’archevêque de la ville, Karol Wojtyla a vécu le concile Vatican II comme ce que Jean XXIII voulait qu’il soit : un événement dans lequel l’Église catholique se rassemblait pour une nouvelle énergie évangélique et missionnaire, alors qu’elle entrait dans son vingt-et-unième siècle et son troisième millénaire.
En donnant au concile Vatican II une interprétation qui fait autorité – ce qui, à mon sens, est la principale réalisation du Magistère de Jean-Paul II – et en orientant cette interprétation vers l’Église de la nouvelle évangélisation, Jean-Paul II a réalisé pour Vatican II l’intention que Jean XXIII a exprimée dans son discours d’ouverture du concile. En même temps, Jean-Paul II a donné à tous les catholiques leurs ordres de marche : un ordre de marche pour l’avenir.

L’Église de la nouvelle évangélisation
Quelle est cette Église de la nouvelle évangélisation, telle que Jean-Paul II l’a comprise ?
Premièrement, l’Église de la nouvelle évangélisation est une Église dans laquelle chaque catholique se comprend comme un disciple missionnaire. Dans le catholicisme de la Contre-Réforme dans lequel j’ai grandi, le modèle du missionnaire était saint François Xavier – quelqu’un qui était allé dans une partie exotique du monde, jusqu’alors inexplorée, et peut-être même dangereuse, pour apporter l’Évangile à un endroit où il n’avait jamais été proclamé. L’Église a encore besoin de ce type de missionnaire aujourd’hui.
Toutefois, Jean-Paul II a demandé à tous les catholiques de se considérer comme des disciples missionnaires. Il a demandé à chaque catholique de comprendre que le jour de son baptême, il recevait la grande commission de Matthieu : « Allez et faites de toutes les nations des disciples » (Mt 28, 19). Ainsi Jean-Paul II a proposé que chaque catholique mesure sa qualité de disciple par son efficacité en tant que missionnaire : en tant que personne qui offre aux autres le don de la foi et de l’amitié avec le Fils de Dieu, tel qu’il a été donné aux catholiques.
Deuxièmement, l’Église de la nouvelle évangélisation est une Église qui considère qu’il y a partout un « territoire de mission ». Les catholiques ne doivent plus considérer les territoires de mission comme des lieux exotiques et lointains. Le territoire de mission est tout autour de nous, notamment dans le monde occidental. Il n’est pas exagéré de dire que les Pays-Bas sont un territoire de mission. Il n’est pas exagéré de dire que la France est aujourd’hui un territoire de mission. La Suisse est un territoire de mission. L’Allemagne est très certainement un territoire de mission. Les États-Unis sont un territoire de mission.
Dans la vision de l’Église de la nouvelle évangélisation telle qu’exprimée par Jean-Paul II, le « territoire de mission » est la maison et le quartier de chaque catholique. Le territoire de mission est le lieu de travail de chaque catholique. Le territoire de mission est le lieu où l’on vit, et le territoire de mission est celui de la vie de chaque catholique en tant que citoyen. Tout cela, c’est le territoire de mission.
Cette vision profonde et stimulante d’un avenir catholique dans lequel chaque catholique est un missionnaire et chaque lieu est un territoire de mission exige un certain temps pour que les catholiques la saisissent, en particulier dans les sociétés et les cultures qui ont été confortablement catholiques pendant des siècles. Et pourtant, les catholiques doivent comprendre que nous vivons à une époque apostolique, et non plus à l’époque de la chrétienté. La chrétienté en Occident est terminée. Dans vingt ans, il ne sera plus possible à quiconque aux États-Unis de répondre à la question « Pourquoi êtes-vous catholique ? » en disant : « Je suis catholique parce que mon arrière-grand-mère est venue d’Irlande (ou du Mexique, ou de Bavière, ou d’Italie, ou de Lituanie, ou d’Ukraine, ou de Pologne, ou de Vendée). » Cette réponse ne va pas suffire, car le catholicisme en tant qu’héritage ethnique ne peut plus s’épanouir aux États-Unis. La culture tout simplement ne le permettra pas.
Et cette situation n’est pas unique aux États-Unis.
Comme tous les parents et grands-parents le savent, la culture qui nous entoure en Occident aujourd’hui ne contribue pas à transmettre la foi catholique ; pire, elle est souvent activement hostile à la foi.
L’ère de la transmission nationale de la foi catholique – l’ère du catholicisme transmis par une sorte d’héritage – est révolue partout dans le monde occidental. Chaque catholique en Occident doit le reconnaître. Jean-Paul II l’a certainement reconnu, et c’est pourquoi il a appelé l’Église à se réapproprier son identité première en tant qu’entreprise missionnaire.

Renouvellement et réforme
Pour être l’Église de la nouvelle évangélisation, le catholicisme doit se renouveler et se réformer. Permettez-moi d’indiquer très brièvement deux de ces lignes de réforme qui me semblent particulièrement urgentes.
Pour être l’Église de la nouvelle évangélisation, il faut une réforme profonde des séminaires et de l’enseignement théologique. Dans tout l’Occident, les prêtres de l’avenir devront tous être des missionnaires, qu’il s’agisse de prêtres vivant et travaillant dans des communautés religieuses, ou de prêtres vivant et travaillant comme clergé diocésain dans des paroisses. Tout homme qui s’imagine avoir une vocation sacerdotale dans le monde occidental du XXIe siècle doit comprendre qu’il va, par nécessité, vivre une vocation missionnaire. Cela signifie que la formation sacerdotale dans les séminaires diocésains et les maisons religieuses doit être une formation à la mission. La notion de sacerdoce comme carrière privilégiée de prestation de services sacramentels ne peut plus être la notion dominante du sacerdoce en Occident ; elle ne peut pas être l’image motrice du sacerdoce de l’avenir. Les prêtres du XXIe siècle qui pensent que leur tâche première est de maintenir la vie institutionnelle de l’Église – des prêtres qui ne se considèrent pas comme des apôtres missionnaires – finiront par se retrouver gardiens de musée.
Deuxièmement, cette Église de la nouvelle évangélisation doit être une Église publique, mais pas une Église sectaire. Cela correspond à un catholicisme pleinement engagé dans la culture et dans la société, acceptant de discuter publiquement des vérités que cette Église est chargée de porter. Mais l’Église catholique de l’avenir ne peut être une Église sectaire, identifiée à un parti politique, à une faction politique, à une tendance politique ou à une philosophie politique particulière. Chaque fois que l’Église a agi de la sorte dans l’histoire moderne, il s’en est suivi de sérieux problèmes pour la mission évangélique première de l’Église.
Il s’agit d’une question complexe, car il est évident que certains partis politiques, certaines tendances politiques et certaines philosophies politiques sont plus adéquats que d’autres pour refléter la compréhension catholique de la personne humaine et les vérités morales que l’Église considère comme essentielles pour une vie juste, tant au niveau individuel qu’au niveau de la société. Néanmoins, la tentation d’aligner l’Église sur le pouvoir politique provient d’une source qui est celle de toute tentation, comme le Christ lui-même l’a clairement indiqué dans Matthieu 4, 8-10. Et donc, la tentation d’identifier l’Église catholique à un parti politique particulier, à un moment particulier de l’histoire, est une tentation à laquelle il faut résister, si l’on veut que l’Église de la nouvelle évangélisation soit celle que Jean-Paul II a envisagée. La seule puissance qui convertira le monde moderne et post-moderne est la puissance de l’Évangile.

II – L’AVENIR DE LA DÉMOCRATIE OCCIDENTALE

Examinons maintenant l’avenir du projet de civilisation occidentale, ou de la démocratie occidentale, à travers les yeux de Jean-Paul II.
À travers ces yeux, nous pouvons voir que ce projet civilisationnel – ce projet démocratique – est en crise. C’est une crise d’incohérence, et si nous lisons attentivement la plus grande encyclique sociale de Jean-Paul II, Centesimus annus (1991), et sa lettre apostolique de 2003, Ecclesia in Europa, les racines de cette incohérence apparaissent clairement. Permettez-moi de décrire cette crise d’incohérence à travers l’image d’un trépied, un petit meuble sur lequel on peut s’asseoir.
Imaginons donc la civilisation occidentale comme un trépied. L’un de ces pieds porte le nom de « Jérusalem », le deuxième porte le nom d’« Athènes » et le troisième porte le nom de « Rome ». Ensemble, ces trois pieds soutiennent ce que nous connaissons sous le nom de « l’Occident ». Qu’ont enseigné « Jérusalem », « Athènes » et « Rome » à l’Occident ?
« Jérusalem », ou la religion biblique, a enseigné à l’Occident que l’histoire va quelque part, que l’histoire de l’humanité est linéaire. Ce qui veut dire que l’histoire n’est ni cyclique, ni répétitive, ni simplement aléatoire – une chose se produisant après l’autre sans aucun but discernable et sans aucun schéma discernable. Non. Le message biblique est que l’histoire a une direction. Et la racine de cette idée si fondamentale pour la culture de l’Occident – que l’humanité va quelque part, que la vie est un voyage, une aventure, un pèlerinage – est l’expérience et l’histoire de l’Exode : l’image fondatrice de la libération dans le monde occidental.
L’idée que l’histoire est utile, que l’histoire a une direction, un Telos, a été absolument cruciale pour la civilisation occidentale. Et c’est la religion biblique qui a enseigné cette leçon fondamentale et a créé ce « soutien » culturel fondamental : d’abord, par l’autorévélation de Dieu au peuple d’Israël et, définitivement, dans l’autorévélation de Dieu par la deuxième personne de la Sainte Trinité, née dans l’histoire par Marie de Nazareth.
Et « Athènes » ? La philosophie classique, qui a commencé avec les présocratiques au VIIe siècle avant Jésus-Christ, a enseigné à l’Occident qu’il y a des vérités (y compris des vérités morales) construites dans le monde et en nous ; que nous pouvons connaître ces vérités par les arts de la raison ; et que, connaissant ces vérités, nous apprenons nos devoirs et obligations en tant qu’individus et citoyens.
En mars 2000, Jean-Paul II a réfléchi à cela quand son pèlerinage biblique lors du grand jubilé de l’an 2000 l’a conduit sur le mont Sinaï, où Moïse a reçu les Dix Commandements. Là, le pape a dit que la loi morale – la loi qui conduit l’humanité à une vie juste, au bonheur et finalement à la béatitude – était inscrite sur le cœur humain avant d’être inscrite sur des tablettes de pierre. Les fondements de la loi morale que nous connaissons grâce à la révélation, sont également accessibles à la raison. Ce n’est pas une loi morale qui serait « vraie pour les seuls croyants ». C’est une loi morale qui est vraie pour tous, parce qu’elle est inscrite dans la réalité.
« Athènes » a donné à l’Occident la confiance dans la capacité de la raison à atteindre la vérité des choses – et pas seulement la vérité morale des choses, mais la vérité scientifique des choses et la vérité philosophique des choses. Cette conviction que les êtres humains ont la capacité de saisir la vérité des choses a été cruciale pour la civilisation de l’Occident. Sans elle, il n’y aurait eu aucun développement de l’éthique, aucun développement de la science, aucun développement de la technologie et aucun développement d’une politique humaine.
Et « Rome » ? La République romaine a donné au projet civilisationnel occidental l’idée cruciale que l’État de droit est supérieur à la simple force brute pour ordonner la vie publique. Pensez à Cicéron, qui était à la fois un philosophe politique sérieux et un homme politique en exercice – sans doute un plus grand philosophe qu’un homme politique prospère. Quoi qu’il en soit, Cicéron symbolise la plus importante contribution romaine au projet de civilisation occidentale : l’idée que l’État de droit est supérieur à la coercition, de telle sorte que les êtres humains soient capables de structurer leur vie commune dans la société.
Ainsi, le projet de civilisation occidentale et son expression politique moderne, que nous appelons démocratie, est construit sur ces trois pieds, ces trois fondations : 1/ la religion biblique – la vie est un voyage, une aventure et un pèlerinage parce que l’histoire va quelque part ; 2/ la philosophie grecque – il y a des vérités ancrées dans le monde et en nous et nous pouvons les connaître ; et 3/ le droit romain – l’État de droit est supérieur à la coercition dans les affaires humaines.

Les fondements ne tiennent plus
Mais que voyons-nous aujourd’hui ? Ces fondements tiennent-ils toujours ? Je ne le pense pas.
Au XIXe siècle, la culture européenne dans son expression la plus intense, telle qu’incarnée par les personnages de Comte, Feuerbach, Marx et Nietzsche, disait : « Non ». Nous n’avons pas besoin du pied « Jérusalem » dans le trépied de la civilisation, car le Dieu de la Bible est l’ennemi de la maturation et de la libération de l’homme. Cette idée fausse (que l’ami de Jean-Paul II, le Père Henri de Lubac, a analysée dans un important livre intitulé Le drame de l’humanisme athée) a éjecté le Dieu de la Bible de l’histoire de la civilisation occidentale et donc de la culture publique de l’Occident. Ainsi, avec le pied « Jérusalem » éjecté, il ne restait plus que deux pieds sur le trépied, qui, sans surprise, est devenu instable.
Que s’est-il passé ensuite ? Eh bien, il semble que lorsque vous retirez le Dieu de la Bible, la raison commence à douter d’elle-même. En effet, si vous supprimez la notion (présente dans la Genèse et dans l’Évangile de saint Jean) selon laquelle Dieu le Créateur a imprimé des vérités dans le monde et dans sa création humaine – que Dieu a imprimé la rationalité divine, si vous voulez, dans le monde et en nous – vous commencez à perdre la conviction qu’il y a une rationalité dans l’ordre créé ; qu’il y a des vérités et des modèles de vérités à découvrir dans le monde ; et que la raison peut saisir ces vérités et ces modèles. Lorsque l’idée d’un Créateur rationnel est perdue, il semble qu’il s’ensuivra une perte de la confiance dans la capacité de l’homme à atteindre la vérité des choses. Et cela explique en partie la triste situation d’une grande partie de la culture occidentale actuelle : une culture dans laquelle on dit souvent qu’il n’existe plus de « vérité » – il n’y a que « ta vérité » et « ma vérité ».
Cette perte d’« Athènes », due en partie à la perte de « Jérusalem », a de graves conséquences pour « Rome ».
En effet, comme Joseph Ratzinger l’a prophétiquement noté en avril 2005, le scepticisme à l’égard de la « Vérité » est une prescription pour la disparition de l’État de droit. Car s’il n’y a que « ta vérité » et « ma vérité », et qu’aucun de nous ne peut faire appel à la Vérité pour régler ses différends, alors l’une des deux choses suivantes se produira : tu m’imposeras ton pouvoir, ou je t’imposerai mon pouvoir. C’est ce que Ratzinger entendait par cette expression frappante, la « dictature du relativisme » – l’utilisation du pouvoir coercitif de l’État pour imposer une éthique publique relativiste à l’ensemble de la société. Ce danger se retrouve aujourd’hui partout en Occident. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles le projet démocratique occidental est dans un tel état d’agitation.
Ce bouleversement reflète le fait que les fondements culturels de la démocratie, et en réalité de tout le projet occidental, ont sombré dans l’incohérence. L’Occident est dans la tourmente parce qu’il a perdu en grande partie « Jérusalem » et qu’il est en train de perdre rapidement « Athènes ». Et à cause de ces érosions et de ces pertes, l’Occident est en grave danger de perdre « Rome » – l’idée que l’État de droit, obtenu par un débat rationnel conduisant à un consensus reflétant le jugement de citoyens autonomes, est supérieur à la coercition pour ordonner notre vie commune.

Conclusion
Permettez-moi maintenant de réunir ces deux « futurs », vus à travers les yeux de Jean-Paul II.
Si la racine de l’incohérence culturelle de l’Occident est une perte de foi dans le Dieu de la Bible (le fondement « Jérusalem » du projet civilisationnel occidental), alors l’Église de la nouvelle évangélisation – l’Église du futur, selon Jean-Paul II – est d’une importance capitale pour le sauvetage du projet civilisationnel occidental. Car c’est l’Église de la nouvelle évangélisation, dans son travail de proclamation de l’Évangile et dans son témoignage public, qui aidera la civilisation occidentale à récupérer « Jérusalem », et donc à retrouver « Athènes » et la confiance culturelle que la raison peut saisir la vérité des choses – ce qui est essentiel pour défendre l’État de droit contre la coercition au nom du scepticisme et du relativisme.
En étant une Église qui convertit le monde aux vérités de la foi biblique, l’Église catholique reconvertit également le monde à la raison et à la capacité de la raison d’ordonner les affaires humaines. Les deux vont de pair. En étant une Église en mission permanente – l’Église que Jean-Paul II a envisagée lors du grand jubilé de 2000, l’Église qu’il a décrite dans Redemptoris Missio et Novo Millennio Ineunte – le catholicisme remplira sa grande mission et offrira à la civilisation occidentale un chemin au-delà de cette crise d’incohérence.
Si nous regardons le présent et l’avenir avec les yeux de Jean-Paul II, nous voyons un grand défi. Mais si nous regardons le présent et l’avenir à travers le prisme de son enseignement et de sa pensée, nous voyons aussi un modèle de renouveau ecclésial et de réforme civique qui nous donne l’espoir de concrétiser la grande vision qu’il a proposée aux Nations unies il y a vingt-cinq ans : la vision d’un nouveau « printemps de l’esprit humain ».

George Weigel
Traduit de l’américain par Jean-Louis Allez

George Weigel est Distinguished Senior Fellow du Centre d’Éthique et de Politique Publique à Washington, où il est titulaire de la chaire William E. Simon d’Études Catholiques. Il a publié vingt-sept ouvrages, dont la biographie de référence en deux volumes du pape Jean-Paul II, Witness to Hope (traduit en français sous le titre Jean-Paul II. Témoin de l’espérance, JC Lattès, 1999) et The End and the Beginning, ainsi que le mémoire Lessons in Hope : My Unexpected Life with St. John Paul II.

Un agenda pour l’avenir


Le livre de George Weigel The Next Pope (1) est un agenda pour l’avenir, et non pas un ouvrage sur les personnages clés de l’Église. En s’appuyant notamment sur ses expériences personnelles pendant les trois derniers pontificats, l’auteur y évoque la manière dont le prochain pape pourrait faire avancer ce que François a appelé une « Église en mission permanente ».
L’auteur analyse les défis associés à la transition de l’Église vers la nouvelle évangélisation, et les turbulences qui en sont la conséquence.
Le défi fondamental pour l’Église en Occident est de comprendre que nous ne vivons plus à « l’époque de la chrétienté » – une époque où la culture aide à transmettre la foi – mais à une époque apostolique : une époque où l’Évangile doit être activement proclamé et proposé.
Selon George Weigel, le débat le plus important dans l’Église aujourd’hui est de savoir si Vatican II est ou non « en continuité avec la Révélation et la Tradition » ou s’il est un « concile de rupture et de discontinuité ».
Le prochain pape devrait aborder ce débat en rappelant d’abord l’intention de Jean XXIII pour ce concile, qui était de transmettre l’ensemble de la révélation divine d’une manière compréhensible, afin que les gens puissent se convertir au Christ ; ainsi les documents de Vatican II ne peuvent-ils être correctement compris et interprétés que dans l’horizon de la tradition établie de l’Église.
En second lieu, le prochain pape devrait redire avec force que le catholicisme ne fait pas de « changements de paradigme », parce que Jésus-Christ, « le même hier, aujourd’hui et toujours » est le centre de l’Église.
En réalité, ce qu’a écrit George Weigel, ce pourrait être un Instrumentum laboris pour le prochain conclave, et un agenda renouvelé pour l’Église s’appuyant sur un sens revitalisé de la mission.

Jean-Louis Allez


(1) George Weigel, Le prochain pape. La charge pétrinienne et une Église en mission, Parole et Silence, 2021, 140 pages, 17 €.

© LA NEF n°333 Février 2021