Pascal Ide © DR

Les quatre sens de la nature

Le Père Pascal ide, médecin, est prêtre du diocèse de Paris, membre de la Communauté de l’Emmanuel et docteur en philosophie et en théologie. Il nous parle de son dernier livre.

La Nef – Vous présentez une analogie entre la nature et les Écritures : comment le comprendre ?
Père Pascal Ide – Sans entrer dans le détail, les Pères de l’Église et les docteurs médiévaux ont pratiqué une riche lecture des Saintes Écritures que nous avons malheureusement largement oubliée, mais que nous commençons à retrouver aujourd’hui, notamment sous l’impulsion du cardinal Henri de Lubac et du pape Benoît XVI. Sans entrer dans le détail, l’idée est double. D’abord, la Bible est le seul livre fondateur de religions qui soit en majorité constitué de récits et qui s’inscrive dans une histoire. Ensuite, comme cette histoire est conduite par Dieu, des événements passés préfigurent et annoncent des événements à venir. Par exemple, le passage de la mer Rouge est la préfiguration de la mort et de la résurrection du Christ. Dès lors, un même passage de la Bible présente plusieurs sens, ici, un sens littéral, qui est la sortie d’Égypte, et un sens allégorique, qui est l’annonce du Christ.
Eh bien, puisque la nature s’inscrit dans une histoire, que la nature est, pour un chrétien, la création voulue par Dieu, il est aussi possible d’y discerner une orientation. Par exemple, j’ose affirmer que la nature attendait l’homme. Il est donc aussi nécessaire de distinguer plusieurs sens dans la nature. Si l’analogie entre la nature et l’Écriture n’est pas nouvelle, celle entre les différents sens est inédite. Parce que comprendre la nature comme un grand récit, ainsi que l’affirme Michel Serres, est très récent.

Qu’apporte cette vision historique ?
Ce livre est aussi né d’un constat. Nous nous décourageons parce que nous avons l’impression soit que l’histoire se répète, soit que notre action est dérisoire face à l’ampleur de la tâche. Pour remédier à ce découragement qui peut affecter même notre espérance théologale, il est d’abord bon de voir que notre vie, notre histoire sainte s’inscrit dans une grande Histoire, celle du salut, que l’on ne nous raconte pas assez (le faisons-nous dans nos homélies, nous les prêtres ?). Ensuite, loin d’être répétitive, cette histoire est fléchée : à notre insu, elle avance. Enfin, Dieu veut l’unité de l’homme, de son œuvre (la technique) et de la nature. Donc, non pas l’homme sans la nature, comme le veut le paradigme technocratique, ni la nature sans l’homme comme le veut le paradigme biocentrique qui, au fond, veut se venger de l’homme réduit à n’être qu’un prédateur. Au terme de l’Apocalypse, la Jérusalem céleste est une ville, mais qui inclut arbres et fleuve.

Vous insistez sur le « Tout est lié » de Laudato si’ : comment comprendre cette expression ?
Dans l’encyclique du pape François, l’expression « tout est lié » est répétée pas moins de neuf fois et, plus encore, si on prend les formules équivalentes. Tout d’abord, elle propose un critère très précieux pour asseoir la responsabilité écologique. Tant que je vois la nature comme extérieure à moi, il y a peu de chances que je me mobilise. Inversement, le jour où je prends conscience, plus encore, où j’expérimente cette connexion, tout change. Par exemple, nous ingérons quinze fois plus d’allergènes aujourd’hui qu’il y a vingt ans. D’où l’explosion des allergies. Ainsi le déséquilibre écologique retentit en déséquilibre corporel.
Ensuite, le « tout est connecté » (l’italien dit : « tutto è connesso ») doit être pris dans toute l’ampleur que lui donne le pape, qui intègre une quadruple relation : certes à ma maison commune (l’environnement), mais aussi aux autres, à moi-même et à Dieu.
Enfin, l’insistance sur la relation ne doit pas effacer les individus naturels et les personnes en relation. La nature ne fait pas que fabriquer du lien, par exemple, entre les arbres, elle invente aussi ces merveilles individuées que sont les arbres eux-mêmes, dans leurs formes si variées, ainsi que le montre Francis Hallé.

Qu’entendez-vous par « écologisme » et quels sont ses travers ?
En parlant d’écologie avec des chrétiens, je me suis rendu compte combien ceux-ci en avaient parfois assez. Non pas parce qu’ils ne se sentaient pas responsables de leur environnement, mais parce qu’ils se sentaient culpabilisés par l’inflation de ce discours ou impuissants face aux moyens à prendre. Mon intention n’est pas de proposer des moyens (il y a de bons livres qui le font), mais de sortir de ce moralisme que j’appelle écologisme. Et, pour cela, de réenraciner notre responsabilité dans un double sentiment : de gratitude émerveillée (pas seulement pour la nature, mais aussi pour l’homme) et de compassion pour la nature qui souffre (et l’homme, par voie de conséquence). Cette compassion est un des aspects méconnus de Laudato si’.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Pascal Ide, Les 4 sens de la nature, Éditions Emmanuel, 2020, 316 pages, 19 €.

© LA NEF n°334 mars 2021