Surveillance accrue due aux progrès techniques, police de la pensée qui s’étend sans cesse, nos libertés publiques sont-elles menacées ? La pandémie de Covid et les récents projets de loi gouvernementaux montrent que la question se pose sérieusement.
La menace de dissolution qui pèse sur Génération Identitaire au moment où nous écrivons cet article est paradigmatique de notre situation actuelle : les démocraties occidentales reposent censément sur la liberté individuelle, sur le droit et la propriété, c’est même leur seule définition politique, et concomitamment elles s’acharnent à se doter de moyens juridiques vicieux réprimant ces mêmes manifestations. Oh, la situation n’est pas neuve : il aura fallu plus de cent ans après la Révolution française pour que le droit d’association soit reconnu, ladite Révolution ayant infusé dans la République l’idée que si tout était accordé à l’individu, rien ne pouvait l’être à quelque communauté que ce soit. Habile procédure : je suis maître de moi-même, mais sinon voter, vendre ou consommer, je ne peux rien en faire. Tous les corps constitués en ont souffert, et dans leur chair : les Églises, les corporations puis les syndicats, les provinces puis les régions, les communes, les universités et les écoles elles-mêmes. Le XIXe siècle ne fut qu’une lutte pour recouvrer des droits et des libertés antérieurs. Après le tragique dénouement que fut 1905, l’immense majorité des Français qui s’appelaient les catholiques et l’État parvinrent, accouchés au forceps de 1914, à s’entendre à peu près. La République avait pris la meilleure part, mais l’Église conservait quelques libertés. De même, les assauts contre la liberté d’enseignement furent puissants et leur écho résonna jusqu’en 1984, avec la loi Savary.
Ce rapide tableau, très français, simplement pour dessiner la face cachée de nos régimes modernes : ils n’ont que le mot liberté à la bouche, et certes ils ont accordé des « libertés » au citoyen comme celle de voter, de commercer, de divorcer, de ne plus croire en rien ; mais ils ont en échange corseté l’âme, la pensée et parfois les corps. C’est mécanique et la fameuse formule de Clermont-Tonnerre sur les Juifs, « tout en tant qu’individus, rien en tant que peuple », si elle a pu délivrer certaines minorités de pesants carcans, a désarmé le reste de la société, qui peine à se reconnaître en tant que telle. C’est désormais le règne des coteries, qu’on appelle parfois lobbys, instances d’ailleurs consacrées auprès des autorités de l’Union européenne, dont rien ne dit jamais quelle est leur légitimité sinon d’avoir l’oreille du pouvoir ou d’exceller dans le grand art du XXe siècle, savoir la propagande.
Cette philosophie se développe et se reconnaît éminemment dans la loi dite d’abord de « lutte contre le séparatisme » puis de « renforcement des principes républicains », vaste intitulé que personne au gouvernement ne gagne à définir puisqu’ainsi il permet tout : contrôle des cultes, des associations, ou restriction de l’éducation à domicile. Une seule chose est claire dans cette histoire, c’est que les « principes républicains » n’ont rien à voir avec la liberté, tout avec le contrôle. L’incapacité de cette pensée à discriminer est flagrante : pour se prémunir à juste titre contre une religion et ses néfastes conséquences, l’islam, cette République française tire à boulets rouges sur tout ce qui lui semble relever de la liberté religieuse, de la liberté de conscience ou de la liberté éducative. Le politique, le temporel, s’imaginent depuis plus d’un siècle être le seul pouvoir, quand bien même ils se proclament en apparence libérateurs des consciences. Tout peut être pensé et dit, tant que cela demeure dans un « champ républicain » dont on se demande qui l’a mesuré et borné. Ainsi, nos promoteurs s’étonnent que de nombreux Français de confession musulmane croient que la « loi de Dieu » puisse être supérieure à la loi de la République. Il ferait beau voir que les fidèles crussent l’inverse. Si l’on sondait les catholiques, on devrait parvenir, espérons-le, à la même proportion. Cette loi de séparatisme, au milieu d’innombrables vexations, aggrave ainsi les peines encourues pour la célébration d’un mariage religieux avant celle du mariage républicain, quand bien même la République a accaparé ce mariage, à l’origine calqué sur celui de l’Église catholique, puis dénaturé.
Mais notre modernité républicaine a depuis longtemps donné des signes de sa répugnance à la liberté. La fameuse loi Pleven de 1972 n’en est pas des moindres qui punit désormais non plus une incitation à commettre un crime ou un délit, ni même une incitation à la haine ayant été suivie d’effet, mais l’intention seule – ce qui ramène la justice contemporaine à une sorte d’inquisition, dans le pire sens du terme. De même, on en sait les effets délétères par le droit accordé à toute association ad hoc de se porter partie civile, nourrissant ainsi une inflation nocive de procès portés par des groupements dont c’est devenu le seul but. Et, évidemment, la haine étant un sentiment extrêmement vaste, il est maintenant aisé pour la justice d’y faire entrer qui et ce qu’elle veut.
La loi Gayssot, si elle répondait à une vraie menace dans les années 80, celle du négationnisme, est venue parachever cet ouvrage : on ne discute plus, on condamne.
Un autre exemple frappant de ce qui nous est advenu au cours des cinquante dernières années est bien la question de l’avortement : alors que la loi Veil originelle, dite de dépénalisation, et quoi qu’on lui reproche par ailleurs, stipulait qu’il était interdit d’encourager un avortement ou d’en faire quelque publicité que ce soit ; au contraire, aujourd’hui, à force de détricotages et de modification, c’est un droit à l’avortement qui a été consacré en France, et toute incitation à y renoncer a été iniquement considérée comme une entrave qui relève de la justice.
La conscience, notamment à cause de la disparition de cet autre pouvoir qu’on appelait spirituel, n’est plus jamais prise en compte, sauf bien sûr quand elle va dans le sens du pouvoir politique, ce qui est une absurdité et une aporie. Oh ! l’histoire est faite de rébellions nées d’une prise de conscience et qui nécessitent des actes courageux : mais notre paradoxe est que ce régime se croit le promoteur de la liberté quand il fait tout pour l’entraver. Certes, il ne s’agit pas de raisonner comme un vulgaire libertaire qui croit qu’il est interdit d’interdire. Il est bon parfois d’interdire, mais encore faut-il savoir pourquoi et dans quel but. Encore faut-il que cela relève d’une vision du monde et de l’homme cohérente. On ne peut pas parler de dignité humaine toute la journée et refuser de voir qu’on extermine de façon cachée des embryons et des fœtus quand cela nous arrange ; plus encore : des handicapés jusqu’à neuf mois de grossesse, parce que sans doute ils ne méritent pas de vivre, quoiqu’ils soient humains.
Rôle des puissants médias
Ici, il faut noter que ces atteintes à la liberté de conscience et d’expression ne sont pas le seul fait des États, mais aussi de ces grosses machineries parfois aussi puissantes que lesdits États que sont les organes de presse concentrés et les réseaux sociaux, caisses de résonance monstrueuses des dérives contemporaines. Le bannissement de M. Trump hors de Twitter étant la plus évidente de ces censures. Bien sûr, il faut remarquer que Twitter étant une entreprise privée, elle est fondée à choisir librement qui et quels propos elle veut accueillir. Mais il faut noter aussi en retour qu’elle fonctionne comme un trust, et presque comme un organisme de service public. Nul n’est obligé de s’y rendre, certes, et n’importe qui peut lancer son réseau social concurrent s’il n’est pas d’accord. Mais les faits pour le moment sont là : Twitter, Facebook, Instagram et compagnie drainent l’immense majorité de nos contemporains, au moins en Occident. Et on ne peut que constater qu’idéologiquement ils sont tout sauf neutres, acquis aux nouvelles idoles de la pensée « intersectionnelle », évidemment de gauche et soi-disant « progressiste ». Aussi la bataille pour la vérité est-elle inégale – quoi que le calamiteux Donald Trump méritât par ailleurs.
Pour les médias, la ficelle est la même : on tombe à bras raccourcis sur CNews, propriété de M. Bolloré qui, d’un autre côté, produit des gauchistes comme Cyril Hanouna, simplement parce qu’Éric Zemmour y a table ouverte. Et il n’est jusqu’à un député qui tente d’introduire subrepticement un amendement dit « Zemmour » dans la loi sur les principes républicains pour essayer d’interdire d’antenne le chroniqueur. Quand bien même les autres médias de grande audience communient tous à la même idéologie « républicaine ».
Les autres instances du pouvoir contemporain ne sont pas en reste et toute décision politique soupçonnée d’aller contre les vents dominants, par exemple en matière de limitation de l’immigration, devrait aujourd’hui en passer par les multiples étages de la fusée du pseudo « État de droit » que sont la Cour de cassation, le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, la Cour de Justice de l’Union européenne ou la Cour européenne des droits de l’homme, qui tous s’entendent généralement pour casser ou déclarer hors-la-loi les choix courageux des politiques français ou européens. Le Premier ministre hongrois Orban en a fait les frais en 2017 lorsqu’il a décidé l’expulsion de deux immigrés sans papiers, et quand bien aujourd’hui même Angela Merkel regrette sa décision de faire entrer tous les « migrants » en Europe en 2015, c’est toujours Orban qui est décrit comme un apprenti dictateur.
La République donc, qui a abdiqué une grande part de sa souveraineté vis-à-vis de l’extérieur, se défend en revanche très bien contre ses propres citoyens, qu’elle malmène à son gré, généralement au nom de la liberté. Ce peut être aussi au nom de la santé comme l’année écoulée l’a démontré : non que des circonstances sanitaires exceptionnelles ne puissent requérir un dispositif provisoire de restriction de certaines libertés au nom du bien commun, mais la gestion désastreuse de cette crise par un gouvernement inapte a donné aux Français l’idée qu’on se moquait d’eux et qu’on en profitait en sus pour les dépouiller de ce qui leur restait de droits.
La grande promesse de liberté de l’Occident moderne a été gâchée par la disparition de toute foi, de toute éducation, de toute philosophie. Ce n’est pas 1984, mais ça y ressemble par plusieurs aspects : à défaut d’élever les peuples, on contrôle, on réprime, on tape. Comme savait Bernanos, « enlevez un curé, vous aurez cent flics ». On y est.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°334 Mars 2021