Pascal-Raphaël Ambrogi © Thierry des Ouches

Dictionnaire culturel du christianisme

Pascal-Raphaël Ambrogi, haut-fonctionnaire, écrivain, terminologue, est engagé dans la défense du patrimoine linguistique français. Il nous présente son dernier ouvrage, un imposant Dictionnaire culturel du Christianisme.

La Nef – Le Dictionnaire culturel du christianisme que vous publiez est un immense travail sur « le sens chrétien des mots » : qu’est-ce que ce « sens chrétien » et pourquoi a-t-il une telle importance ?
Pascal-Raphaël Ambrogi – Le christianisme est un langage qui échappe à notre monde sécularisé. Pourtant, fondement de la civilisation européenne, la religion chrétienne a forgé un vocabulaire et des concepts indispensables tant à sa compréhension qu’à notre existence et à notre culture. C’est ce qu’il importe de préserver pour le transmettre et d’expliquer pour le vivifier. Dieu aime les mots, nous dit Mgr Wintzer. Les mots sont des indices de Dieu, nécessaires et indispensables, sur le chemin qui mène à Lui.
L’usage, la reconnaissance et la mémoire de ces termes entretiennent les Français dans la fidélité à l’action de Dieu, hier et aujourd’hui. Tel est aussi le but de ce dictionnaire : entendre en parcourant ce vocabulaire l’écho du divin ! Le vocabulaire de la chrétienté a modelé nos usages et notre langue. Il doit demeurer à la portée du plus grand nombre. Lui seul nous permet de lire les cathédrales et de diffuser la Parole.

La perte de ce sens chrétien des mots n’est-elle pas en lien avec la sécularisation grandissante et le recul concomitant du christianisme : n’est-elle pas dès lors inéluctable et que faire pour en préserver la connaissance et l’usage ?
Pour faire Église, les chrétiens ont emprunté aux mots leur vigueur et leur sens. Les cultures et les sociétés humaines furent formées à la lumière de l’Évangile, guide du génie humain épanoui au cœur des arts et des lettres. Le christianisme qui a modelé la France irrigue sa mémoire. Pourtant, en ce XXIe siècle, hommes, cultures et Évangile cohabitent et s’opposent. Dans ce gouffre vit l’homme égocentrique, esclave consentant de ses désirs et de leur assouvissement, de l’hédonisme et de l’indifférence au beau, au bien et à l’autre. La sécularisation, a écrit le pape Benoît XVI, se présente comme une organisation du monde sans référence à la Transcendance, a forgé une mentalité où Dieu est absent de l’existence et de la conscience humaine. Cette sécularisation a dénaturé la vie des croyants, dès lors seuls au monde, conditionnés par la culture de l’image et des réseaux qui imposent leurs modèles mercantiles et esclavagistes, et leurs sollicitations contradictoires, dans la négation de Dieu et de la personne humaine. Le lexique chrétien redécouvert permet d’ouvrir à nouveau la voie qui mène à la Parole.
Que représente le lexique chrétien dans la langue française et plus généralement dans notre culture ?
La foi, créatrice de culture, se dit en des mots, des expressions forgés au long des siècles. Le message de la Révélation se présente revêtu d’une enveloppe culturelle dont il est indissociable. Les mots de la foi forment l’abécédaire de la spiritualité, de l’histoire et de l’actualité chrétiennes. Retournons aux sources toujours vivantes de notre civilisation, car en perdant le sens des mots, on perd progressivement le sens de la vie. Les mots sont au service des esprits libres : la richesse du vocabulaire est gage de cette liberté, et tout particulièrement celui de la chrétienté. Il illustre plus que jamais la force d’un héritage considérable. La France pense en chrétienne : les sources chrétiennes ont contribué à fonder sa civilisation. La langue, la littérature lui empruntent leurs origines. Les connaître, c’est mieux nous connaître nous-mêmes : on devient Français en étant imprégné par le christianisme, on le demeure sans doute en ne le reniant pas ; on renoue avec notre héritage culturel et linguistique en le reconnaissant.

Voyez-vous un lien entre l’affadissement du sens des mots et la crise de la foi que nous vivons en Occident ?
Les langues, les cultures et les religions sont inséparables, or elles sont menacées par l’émergence d’une langue anglo-américaine, approximative et déformée, en rupture avec toute culture. Cette redoutable évolution peut cependant représenter une chance pour le français et la foi. Une langue communément compréhensible est un facteur indispensable d’harmonie sociale, culturelle et spirituelle.
C’est par la fréquentation des grands textes, à la lumière de la foi, que l’on pourra éclairer l’avenir de notre langue. Cette dernière joue un rôle primordial dans nos parcours de formation. Elle favorise notre inscription dans la communauté nationale et dans l’Église.
La langue s’appauvrit du fait des erreurs de ceux qui la malmènent. C’est ainsi que la pensée perd de sa force, délayée dans l’imparfait, les substitutions à notre vocabulaire de vocables inutiles et les altérations irrémédiables de la syntaxe. Extirpons de l’âme collective le désir d’une langue et de la perception de la Parole. Des enseignements furent oubliés, des vocables sont morts de n’être plus employés : notre avenir est pourtant dans les mots. On retrouvera le chemin de la foi en retrouvant celui du français.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Pascal-Raphaël Ambrogi, Dictionnaire culturel du christianisme. Le sens chrétien des mots, Honoré Champion, 2021, 1040 pages, 40 €

© LA NEF n°336 Mai 2021