Vincent Coussedière © DR

L’assimilation encore possible ?

Vincent Coussedière a eu l’audace de publier Éloge de l’assimilation (1) totalement à contre-courant de l’idéologie multiculturaliste qui prévaut aujourd’hui partout en Occident. Présentation de ce livre courageux et discussion de ses thèses, au moment où cette notion politique est remise à l’honneur (2).

Le concept d’assimilation est aujourd’hui non seulement largement rejeté, mais plus encore « diabolisé », étant identifié à une forme de racisme ou de xénophobie, M. Erdogan y voyant même un « crime contre l’humanité ». L’intérêt majeur de l’ouvrage de Vincent Coussedière, Éloge de l’assimilation, est double : d’une part il établit la généalogie de l’idéologie multiculturaliste qui a détruit le modèle assimilationniste français, d’autre part il cherche à montrer que l’assimilation n’est pas une option politique mais une nécessité pour maintenir, dans le cadre de la nation, le seul possible, une démocratie viable.
Pour V. Coussedière l’idéologie multiculturaliste trouve son origine en Jean-Paul Sartre. Ce dernier, n’ayant pas brillé par sa résistance au nazisme, a cherché dès après la guerre à jeter l’opprobre sur la France pour lui faire honte de son attitude durant le conflit afin de « l’entraîner vers un programme révolutionnaire post-national » (p. 31). Sartre combat le principe de l’assimilation des étrangers pour défendre celui du maintien de leur identité, le citoyen ne devant pas d’abord être reconnu en tant que Français, mais en tant que « Juif », « Noir », « femme »… Déjà, donc, il ne se limite pas à prendre le parti du prolétaire, mais de tous les « opprimés », dont l’étranger – et son génie aura été d’ancrer sa dialectique dans la question juive, afin de stigmatiser ses contradicteurs sous l’accusation infamante d’antisémitisme.
Il faudra cependant attendre Mai 68 et le déclin du communisme pour voir le multiculturalisme s’imposer dans les années 1980 et la figure de l’opprimé passer du prolétaire à l’immigré, avant, nouvelle étape, d’être élargie à toutes les « minorités » victimisées : femmes, homosexuels, musulmans, « racisés », etc. « Ainsi Sartre a posé les bases du triple verrou de l’idéologie migratoire qui empêchera de poser politiquement et sereinement la question de l’immigration : verrou affectif qui déplace sur la figure de l’immigré la honte du sort fait aux Juifs, aux Noirs, aux colonies, verrou théorique du “libéralisme concret” qui remplace l’utopie de la société sans classes par celle de la démocratie des individus reconnaissant l’identité de chacun, verrou militant de “l’engagement” qui investit les médias et le droit pour cadenasser la représentation victimaire de l’immigré » (p. 87).

De l’assimilation à l’intégration
Un double tournant s’opère : d’abord avec la disparition du général de Gaulle qui avait maintenu la fierté d’une France résistante ; en 1972 paraît La France de Vichy de Paxton qui prend le contre-pied de cette vision : la France, désormais, est regardée comme majoritairement collaborationniste et ne peut qu’avoir honte d’elle-même et de son passé. Ensuite les socialistes, parvenus au pouvoir en 1981, vont jouer la carte multiculturaliste pour faire oublier leur tournant « libéral » de 1983, en créant notamment SOS Racisme en 1984. C’est l’époque aussi de L’idéologie française (1981) de Bernard-Henri Lévy ou de « la France moisie » de Philippe Sollers, bref, de la reductio ad Hitlerum visant tout particulièrement le FN qui émerge, repoussoir providentiel pour discréditer les opposants au multiculturalisme.
L’assimilation étant attaquée de toutes parts, les défenseurs « républicains » de la nation se sont repliés sur le concept d’intégration, « sorte de compromis entre l’idéologie migratoire et l’exigence unitaire de la République » (p. 109). Le principal reproche fait à l’assimilation était de détruire les cultures d’origine des immigrés. L’assimilation n’était cependant exigée que pour les étrangers désireux de devenir Français. Certes, elle supposait un sacrifice réel, une transformation pour se mouler dans la culture française, mais sans forcément abandonner et détruire la culture d’origine : on en a des exemples probants avec les Juifs ou les Arméniens.
Avec l’intégration, on ouvre la porte au multiculturalisme, puisque l’on n’assume plus la nécessité d’une certaine homogénéité culturelle nationale, en se plaçant non plus prioritairement du côté du bien commun, mais de celui du respect de l’identité de l’immigré. Ainsi « l’intégration républicaine » est-elle « la recherche d’un compromis entre l’appartenance nationale et la nécessaire préservation de l’identité de l’individu », ce compromis s’opérant par « la distinction entre la sphère privée et la sphère publique » (p. 113). Avec l’intégration, l’étranger peut devenir Français indépendamment de ses mœurs, de ses valeurs, de sa culture – il est juste censé observer les « droits de l’homme » – du moment qu’il adhère au respect et à l’élaboration des lois et qu’il leur obéit. Cette conception de l’intégration, particulièrement développée par Habermas, correspond à une vision purement procédurale de la démocratie où toute notion de bien et de bien commun a été évacuée, la « volonté commune » se manifestant par la participation aux procédures délibératives démocratiques.
Ajoutons que l’on peut se demander, en suivant ce schéma, à quoi « s’intègre » l’immigré en devenant Français ? Non pas à la nation France englobant toute son histoire, mais à la République et à ses fameuses « valeurs » dont les principales sont les droits de l’homme qui n’ont rien de spécifiquement français et la laïcité dont la définition est fort élastique.

De l’intégration à l’inclusion
L’intégration, néanmoins, a été jugée encore trop contraignante pour les immigrés et on en est arrivé, sous la présidence Hollande, à officialiser le concept d’inclusion : « la société inclusive qu’on nous propose est en réalité une société multiculturelle où la nation cesse d’être une entité englobante et où ce qui doit prévaloir, c’est le respect, le respect de l’autre à qui l’on ne demande qu’une chose : être ce qu’il est » (3). Autrement dit, explique V. Coussedière, l’inclusion est « la soumission et le renoncement à être soi pour prendre le parti de l’autre. La société d’accueil renonce à elle-même et à ses modèles pour laisser l’étranger être chez lui alors qu’il est chez les autres. Elle demande aux hôtes de s’effacer et d’effacer ce qui est trop saillant dans leurs modèles pour qu’ils n’apparaissent pas contradictoires avec les modèles importés par l’étranger » (p. 146). Une telle conception ne peut conduire qu’au communautarisme, surtout avec une religion comme l’islam très soucieux d’exercer sa mainmise sur l’Oumma, et finalement à l’éclatement de la nation.
Le communautarisme, nous y sommes depuis un bon moment, le célèbre livre Les territoires perdus de la République dirigé par E. Brenner ayant déjà près de vingt ans (2002). Dans la dernière partie de son essai, V. Coussedière s’attache néanmoins à réhabiliter l’assimilation, processus imitatif aujourd’hui en crise car les élites n’incarnent plus les modèles auxquels le peuple aspire – et on ne voit pas la société française actuelle très attractive pour les nouveaux venus. L’assimilation, plaide l’auteur, est toutefois une nécessité politique car la vie en commun au sein de la Cité exige une certaine homogénéité.
Cette partie contient des réflexions bienvenues, mais on peine quelque peu à comprendre comment, dans le contexte actuel, on pourrait revenir à l’assimilation, la démonstration est ici trop théorique (avec de brefs passages sur la laïcité ou la religion discutables). Certes, l’auteur a raison quand il explique que les droits de l’homme ont consacré la primauté du droit de l’individu isolé sur le citoyen, quand il critique le contractualisme en cherchant à réhabiliter Aristote et sa vision politique de la Cité, affirmant à juste titre que « la cohésion interne des sociétés nationales est l’impensé de la philosophie politique et de la sociologie » (p. 203).
On partage son souhait de revenir à l’assimilation et il est juste d’en poser les bases doctrinales, mais comment faire, concrètement, face à une immigration aussi massive, d’origine culturelle et religieuse souvent très éloignée de la nôtre (ce qui n’était pas le cas des immigrés européens du début du XXe siècle), qui a déjà généré un communautarisme sécessionniste avec des zones entières où la loi française ne s’applique plus ? Et si l’on peut assimiler des individus ou des familles désireux de répondre à cet appel, est-ce possible pour des communautés entières réfractaires à cette idée, surtout lors­qu’elles sont très majoritaires en certains lieux et que ce sont les Français qui sont en voie d’assimilation à la culture étrangère ? Ces questions, V. Coussedière les évoque à peine, elles sont pourtant le problème majeur et le plus urgent en la matière.

Christophe Geffroy


(1) Vincent Coussedière, Éloge de l’assimilation. Critique de l’idéologie migratoire, Éditions du Rocher, 2021, 242 pages, 18 €.
(2) Cf. aussi Raphaël Doan, Le rêve de l’assimilation. De la Grèce antique à nos jours, Passés composés, 2021, 346 pages, 22 € (lire la recension de M. Toda p. 38).
(3) Alain Finkielkraut, « On se rend incapable de voir nos ennemis », entretien dans La Nef n°278 Février 2016.

© LA NEF n°336 Mai 2021