Une messe sur la France

Qu’y a-t-il de plus urgent que la messe ? Rien, bien entendu, et ce n’est pas aux lecteurs de La Nef qu’on l’apprendra. Mais le merveilleux abbé de Tanoüarn vient nous le rappeler à propos, dans un petit ouvrage (1) – rédigé dit-il durant le premier confinement, justement l’époque où nous autres fidèles étions privés du saint sacrifice, situation inique qui a heureusement depuis été abolie –, où pas à pas, dans de courts chapitres qui furent originellement des « posts de blog », il guide son lecteur au sein du sublime labyrinthe de la sainte liturgie (envisagée sous la forme extraordinaire du rite romain). Lecture historique, exégétique, mystique tout à la fois, qui éclaire d’un jour neuf cette messe que toujours l’on croit connaître, et dont toujours la richesse infinie nous apparaît neuve.
Au-delà de passages magnifiques, notamment sur le sacrifice humain et divin lu à travers saint Thomas d’Aquin, un point particulier peut nous frapper et faire l’objet de quelques humbles réflexions ici. Ce point est l’Ite missa est dont l’abbé de Tanoüarn constate que l’origine demeure mystérieuse, le terme missa étant un hapax, c’est-à-dire qu’on ne le trouve jamais employé ainsi en latin, sinon chez les chrétiens. Se demandant avec certains auteurs si on pourrait le rapprocher de l’hébreu missah qui désigne précisément le sacrifice, il insiste surtout, avec Florus de Lyon, « diacre savant du IXe siècle », sur le sens d’envoi que ce mot peut revêtir, envoi en mission précisément. Bien évidemment, ce sens est classique et connu : mais le prend-on réellement au sérieux ? Aujourd’hui, en tout cas, dans la France contemporaine, combien de catholiques sont-ils vraiment en mission quand ils sortent de la messe ?
Cette question aux apparences naïves, ne l’est pas tant que ça, croyons-nous : bien entendu, les frontières de l’Église qui sont celles de l’amour, ne dépendent pas de nous, en tout qu’elle est divine et que nous sommes les serviteurs inutiles de Dieu. Mais justement, nous sommes tout de même des serviteurs, sinon à qui irions-nous et à quoi servirions-nous ? Et il importe immensément pour le salut des âmes et aussi pour le salut du monde que nous déployions tous nos efforts à la mission, c’est-à-dire à la conversion, c’est-à-dire à la messe, c’est-à-dire au seul et unique sacrifice. Et si nous regardons autour de nous, sans que ce soit la faute de personne en particulier, sauf notre paresse et notre indolence, le « Français périphérique », bref le pauvre, l’abandonné de nos banlieues et de nos campagnes, qui parfois vit encore en face d’un étrange monument de vieilles pierres surmonté d’une tour et d’une croix, sait-il encore que ça s’appelle une église et à quoi ça sert ?
Sait-il encore qui est tout simplement Jésus, qu’au mieux il doit prendre pour un prophète comme un autre, ou confondre avec Bouddha ? Ce Français dont tout autour de lui, jusqu’à son nom de famille, jusqu’au nom de la rivière voisine ou du rond-point devant la grande surface où il va faire ses courses, dont tout, donc, ne parle que de saints catholiques, que de la Vierge Marie, que du Christ sauveur, a par notre négligence tout oublié. Et avec son âme se délitent sa famille, son pays, puis l’humanité entière. Parce que nous autres les « missionnés » sommes confits dans nos petits intérieurs, souvent bourgeois, dans notre transmission qui se limite trop souvent à notre milieu social ; parce que nous sommes, sans le vouloir explicitement bien sûr, devenus une sorte d’Église des purs, des lettrés, une Église d’entre-soi. Plus que jamais, on demande des saint Martin, des saint Vincent de Paul, des saint Dominique, des curés d’Ars.

Jacques de Guillebon

(1) Guillaume de Tanoüarn, Méditations sur la messe, Via Romana, 2021, 330 pages, 12 €.

© LA NEF n°336 Mai 2021