C’est peu dire que les élections des 20 et 27 juin prochains passionnent peu les foules. Le désamour entre les politiques et les Français atteint des sommets, symptôme évident d’un trouble profond qui va bien au-delà d’une crise de régime. Nombre de nos concitoyens ne se sentent plus représentés par leurs élus et affichent un mépris certain pour les combinaisons d’appareils qui apparaissent trop visiblement comme des moyens de préserver des rentes de situation. Ce désintérêt a assurément des causes multiples, je voudrais m’arrêter ici sur quelques points essentiels.
Des obstacles insurmontables ?
D’abord, les difficultés de toutes sortes ont atteint une ampleur telle qu’elles apparaissent, à vue humaine, insurmontables. L’immigration massive a installé en France des populations impossibles à assimiler en raison de leur éloignement culturel (beaucoup issues de l’islam) et de leur nombre, mais aussi parce qu’une part importante vit dans un communautarisme fermé sans aucun désir d’intégration – au point qu’il existe de plus en plus de zones de non-droit où la police même intervient avec peine. Et, alors que la « France périphérique », déclassée et menacée d’« insécurité culturelle », est marginalisée au point que certains Français s’estiment comme exclus de leur propre pays, nos élites hors sol, toutes ouïes aux absurdes revendications du gauchisme progressiste, glosent sur le « racisme systémique » des Blancs, crachent sur le passé de la France qui n’aurait été qu’une suite de crimes abjects ou s’ingénient à effacer toute distinction entre les sexes et à permettre la venue de bébés sans père ou sans mère.
Ajoutons que dans l’ordre économique, l’avenir n’est pas plus dégagé, la logique purement financière l’emportant partout et la désindustrialisation avancée de la France étant un handicap majeur : bref, après les confinements successifs qui ont tué une partie des petites entreprises, le chômage, déjà très élevé, ne risque pas de baisser de sitôt.
Face à d’aussi gigantesques défis, la classe politique n’apparaît pas à la hauteur – elle en est toujours à minimiser les problèmes ou même à refuser de les voir et donc de les nommer. Il est vrai qu’elle est largement responsable de l’évolution qui a conduit à la situation actuelle. Depuis Giscard, nos présidents ne croient plus en la France, ils ont mis leur espoir dans l’Europe qui, loin de nous protéger et de nous sauver, a progressivement confisqué le pouvoir réel, contre toute logique démocratique, aggravant le déclin de la nation. Alors que l’Europe est une belle idée, son idéologie mondialiste conjuguant bureaucratie et libéralisme conduit le vieux continent hors de l’histoire.
L’incapacité à se remettre en cause
Dans ce contexte, ce qui exaspère sans doute le plus les Français et les éloigne de la chose publique est l’incapacité de la classe dirigeante à se remettre en cause et à s’interroger sur les fondamentaux du système. Ils ne font qu’ânonner les mêmes rengaines sur la sacro-sainte « République » et ses « valeurs », sans que l’on sache précisément ce qu’elles recouvrent, comme si la France s’identifiait à la République. Généralement, lorsque l’on creuse un peu, on trouve derrière ces « valeurs » les « droits de l’homme » et la « laïcité ». Les droits de l’homme sont devenus un épouvantable fourre-tout, avec une extension illimitée de « droits » subjectifs et individuels qui consacrent une vision fausse et dangereuse de la « liberté » menant à une « guerre de tous contre tous par avocats interposés » (1) en donnant aux juges un pouvoir politique exorbitant. Quoi qu’il en soit, les droits de l’homme ne déterminent en rien une appartenance nationale, ils sont communs à toutes les nations qui les reconnaissent. Quant à la laïcité fièrement revendiquée, elle recouvre des réalités tellement diverses qu’il est difficile de savoir à quoi précisément elle fait référence. La laïcité selon Pie XII qui distingue les pouvoirs temporel et spirituel en appelant à une juste coopération entre eux ? La laïcité selon Vincent Peillon qui prétend formater les enfants arrachés à l’emprise de leurs parents ?
Ces obsessions idéologiques associées au caractère très français de se croire toujours plus intelligents que les autres empêchent de poser les bonnes questions ; par exemple : comment sortir d’un système étatique qui conjugue le pire du libéralisme (financiarisation et ubérisation de la société, logique du marché et de l’argent partout…) et du socialisme (dirigisme, étatisme et prélèvements obligatoires records…) ?
On sous-estime généralement les capacités de redressement d’un peuple, alors que notre histoire devrait nous avoir appris que rien n’est perdu tant que demeure la volonté de combattre. Il existe en France des esprits clairvoyants, y compris dans les partis politiques, qui posent les bons diagnostics. Quand les écoutera-t-on pour que renaisse notre chère patrie ?
Christophe Geffroy
(1) Cf. Jean-Claude Michéa, cité dans l’excellent article de Jacques Julliard, « Les droits de l’homme contre la démocratie », Le Figaro du 6 avril 2021.
© LA NEF n°337 Juin 2021