Le Palais Bourbon © Jebulon-Commons.wikimedia.org

Un régime en fin de vie

Le premier tour des élections régionales – le seul qui se soit déroulé au moment où nous devons rendre cet article – ce premier tour donc et son abstention colossale ont marqué d’un sceau consternant la consternante République française, dont le régime démocratique fait chaque jour la preuve de son absurdité, de son inutilité et de sa nocivité.
Absurde d’abord parce qu’il est de plus en plus visible que les Français dans leur ensemble ne sont pas représentés, notamment à cause de la forme majoritaire du scrutin législatif, mais aussi parce que les campagnes se sont vidées et que cette France rurale, à quoi on peut ajouter sa cousine périphérique, compte de moins en moins, tant pour le nombre que pour la symbolique. Sinon, de petits maires actifs, personne ne se soucie de son sort.
Inutile ensuite, parce que le droit européen prévaut de plus en plus sur le droit national et que l’impression qu’a le Français d’avoir été dépouillé de sa souveraineté est de moins en moins fausse ; parce que ses souhaits les plus pressants, telle la limitation de l’immigration, le besoin de sécurité ou la réforme de l’éducation sont les moins exaucés par les gouvernements qui se succèdent qui, par là, soit révèlent leur impuissance congénitale, soit leur dédain pour des causes qui leur semblent déplacées, et même choquantes. De temps en temps, ces maigres énarques qui président à nos destinées nous accordent quelques miettes – aujourd’hui un Darmanin qui simule le gros bras face aux étrangers illégaux – pour acheter une paix provisoire ou se faire réélire.
Nocif surtout parce que tout le monde étant requis de donner son avis sur tout, l’intelligence se perd et le débat se fait cacophonique. Ce que prouve particulièrement cette désertion actuelle des urnes, c’est que le contemporain croit que commenter une vidéo Youtube est le principal exercice de ses droits civiques ; que c’est sur le plateau d’Hanouna ou de Zemmour que se joue l’avenir de la France, voire du monde. Quand il s’agit, au pire, de clowneries sans nom chez le premier ; de dissertations éditoriales chez le second, qui ne changent guère la face du monde, parce que ce n’est pas leur rôle.

Le peuple, voix de la sagesse ?
Mais alors, que faire ? On a longtemps critiqué le régime des experts, et c’était une des revendications des Gilets jaunes que de redonner la parole à un peuple qu’on estimait muselé quand il aurait été en réalité la voix de la sagesse. Plus d’un an de virus, de rumeurs, de mensonges en tout genre qui finissent en croyances superstitieuses aura au moins prouvé que le peuple, en tant que tas, en tant que foule grommelante et commentante, n’était pas le réceptacle du savoir et de la finesse politique. Mais évidemment, on ne va pas changer le peuple.
Pourtant, il faudra bien réorganiser son gouvernement, son mode de fonctionnement, ce qui suppose de battre en brèche le mythe hérité de la Révolution française de sa souveraineté absolue en toute matière. Ce peuple, si on l’interroge demain sur l’euthanasie, mal renseigné qu’il sera ou trop plein de bons sentiments inappropriés, votera évidemment son autorisation, au motif que certaines vies ne valent plus d’être vécues, ou qu’il s’agit d’apaiser toute souffrance. De même que ce peuple aurait voté pour l’avortement, pour le mariage pour les homosexuels, ou la PMA et demain pour la GPA.
Ce ne sont ici que des exemples partiels. Mais alors même qu’on le somme de choisir qui le gouvernera en ses régions, ce peuple ne se déplace pas et toute honte bue, refuse délibérément de participer à ce qu’il croit n’être qu’un jeu vain – ce qu’il est peut-être. Pourtant demain ce même peuple énervé, à raison, sortira les fourches et beuglera une nouvelle fois contre un pouvoir ennemi.
Ces élections sont donc une preuve nouvelle que ce régime est en fin de vie et que les Français attendent un ordre nouveau. Avec le risque immense qu’il soit pire que le précédent et que s’ensuivent des troubles tragiques.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°338 Juillet-Août 2021