L’art français de la guerre civile fait, hélas, une nouvelle fois la preuve de son génie et de sa prospérité. Alors que l’été avait bien commencé, que les repas de famille s’apaisaient, voilà qu’Emmanuel Macron a remis le feu aux poudres en décidant unilatéralement, soudainement et violemment d’imposer le fameux « passe sanitaire » qu’il avait juré ses grands dieux durant les six mois précédents de ne jamais établir. Aussi, l’été aura été en pente bien raide.
Mais, les manières de tyranneau du président de la République étant généralement établies, reste malheureusement le fond de l’affaire, et là le débat se corse. Nul doute que nous risquions ici de déplaire à de nombreux lecteurs – qu’ils ne croient cependant pas qu’il s’agisse d’un exercice amusant, ou de raisonnements fournis de gaieté de cœur.
Chacun agite, à raison, l’idée de proportionnalité des moyens requis pour faire face à la situation. D’aucuns prétendent encore, même s’ils sont de moins en moins nombreux, que ne s’agissant que d’une banale grippe, la vie devrait continuer comme auparavant : mais l’expérience a montré que les hôpitaux étaient rapidement débordés par cette « grippe » et qu’en conséquence, il fallait adopter des moyens neufs pour éviter cette saturation. Certes, on eût pu, on eût dû, bâtir les infrastructures nécessaires depuis un an et demi – si toutefois nous ne sommes pas encore devenus des habitants du tiers-monde. Cela, que l’on sache, n’a pas été fait et c’est une pierre dans le jardin de M. Macron et de ses sbires qui se targuent pourtant toute la sainte journée d’être des experts, des technos, des gestionnaires. Eh bien, même pas.
D’autres encore tiennent que « des traitements existent » et qu’on ferait bien de les développer et de les appliquer, plutôt que de piquer tout le monde. Mais c’est, jusqu’à plus ample informé (cette chronique est écrite au milieu de l’été) prendre des vessies pour des lanternes, et se risquer à faire confiance à un médicament, l’ivermectine au hasard, que les pays qui l’avaient auparavant utilisé ont abandonné, et qui n’a fait ses preuves que sur dix-huit hamsters. Un peu léger.
Venons-en enfin au bâton merdeux, le vaccin. Comment expliquer qu’en 2019 déjà, selon une étude citée par la biologiste Françoise Salvadori et l’historien Laurent-Henri Vignaud (Antivax, la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Vendémiaire), les Français fussent les champions du monde de la méfiance devant les vaccins (près de 40 %), alors même que cet instrument merveilleux de la médecine moderne a non seulement été développé par l’un de leurs compatriotes mais qu’il a fait mille fois la preuve de son efficience – notamment pour la mortalité infantile ? Comment notre peuple, soi-disant si rationnel et en sus paradoxalement premier consommateur de médicaments au monde, a-t-il pu devenir superstitieux en de nombreuses matières, l’« on-nous-mentisme » courant de la terre plate à Bigpharma en passant par les illuminatis et QAnon ? Loin de nous l’idée de nous moquer ici de qui que ce soit. Mais bien plutôt de s’émouvoir de ce constat que notre peuple, ayant été abandonné par ses élites éducatives de tout ordre, prêtres, professeurs, intellectuels, scientifiques, politiques, a une fâcheuse tendance depuis quelques décennies à se jeter sur le premier charlatanisme venu pour essayer de retrouver un sens et un ordre à ce monde qui lui échappe.
Mais nous contournons décidément l’obstacle et ne répondons pas à la première question : instaurer un passe sanitaire, qui ou oblige de se faire vacciner ou force de se faire tester tous les quatre matins, était-ce la réponse appropriée au retour prédit de l’épidémie dans une « quatrième vague » ? En réalité, nous y avons un peu répondu : comment gouverner un peuple – et gouverner ici veut dire : protéger la vie de ses membres et au premier chef de ses membres les plus faibles, et ce n’est pas aux catholiques lecteurs de La Nef qui s’y connaissent en refus de l’avortement et de l’euthanasie, et en protection des handicapés que nous allons l’apprendre – comment donc gouverner un peuple rétif, qui se dit que décidément ces morts et ces malades ne le concernent pas ? Peut-être Monsieur Macron n’aura-t-il finalement pas eu le choix, en imposant cette restriction, provisoire nous le pensons, de certaines libertés individuelles dans une préservation du bien commun. C’est agaçant, mais c’est ainsi. Et il ne nous semble pas que les hypothèses échafaudées par certains selon lesquelles ce n’était qu’un premier pas vers une surveillance et un asservissement généraux puissent prévaloir sur les faits actuels – car elles ne demeurent que des hypothèses, et il serait toujours temps de combattre ces effets si par malheur ils advenaient.
En quelque sorte il nous apparaît que nombreux sont ceux qui se dissimulent les périls de la situation actuelle en évoquant ceux qui pourraient surgir dans l’avenir – comme des enfants qui arguent qu’il n’est pas grave qu’ils n’aient pas fait leurs devoirs puisque de toute façon ils mourront un jour ou la fin du monde aura bien lieu.
L’art du politique consiste d’abord de juger de la situation actuelle et d’y remédier. Et cet art ne peut s’exercer que dans une concorde civile : or, il nous semble que ce peuple est devenu trop individualiste, trop égoïste, trop borné, disons-le, pour qu’on se fie à ses réactions cutanées. D’ailleurs, nous n’avons jamais été démocrates au sens de l’imposition de la volonté du peuple – et chaque jour nous nous en félicitons.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°339 Septembre 2021