Trois jeunes gens catholiques, membres passés des cafés associatifs « Dorothy » et « Simone », publient à propos en ce début de campagne présidentielle des « carnets politiques » qui se veulent cependant antipolitiques, si l’on suit leur raisonnement (1). Nos trois perdreaux prétendent sauver le catholicisme (français, surtout) d’un péril imminent qui serait sa prise en otage par des privilégiés, héritiers d’un système de domination économique et spirituel – c’est-à-dire à peu près nous.
L’entame de leur démarche est pourtant juste et remarquable : rappeler combien Jésus n’est pas César, et combien son Royaume vide les autres de leur arkhè ; combien le christianisme pervertit tous les pouvoirs, celui du marché comme celui de l’État. Ces belles pages originelles posées, ils faussent cependant le sens de leur propre démarche en se laissant aller à des attaques, non contre le monde, mais contre leurs frères chrétiens, toujours suspects d’hypocrisie ou de bêtise : « Nous voudrions avoir réussi à faire une chose : manifester avec le plus de clarté possible à quel point certains discours sont faux. » Ces discours étant ceux des catholiques identitaires, forcément bourgeois, repliés, reclus et repus, donnant au grand jour à la quête mais fouettant leurs milliers d’esclaves en loucedé.
Contradictions infructueuses
Nos auteurs croient ainsi qu’il faudrait remplacer le politique par des « structures sociales » où « il soit plus facile d’être bon ». Ils ne savent sans doute pas que c’est la définition du politique. D’une page à l’autre, ce qu’ils veulent dialectique se fait contradiction infructueuse : d’abord le « local » est pétainiste (comprenez le local des méchants de droite), puis il est la condition nécessaire de l’enracinement (sans blague) qui, lui, est bon s’il est pratiqué par des gentils, comme eux au Dorothy et au Simone. « L’enracinement national est abstrait », écrivent-ils sans rougir, en prétendant qu’une ZAD – qui veut dire pourtant zone à défendre, donc zone belliqueuse et fermée à d’autres, entourée de murs et non de ponts – elle, serait concrète. Illustration est donnée quand ils vantent, à raison, la « paroisse » comme lieu hors du pouvoir temporel, mais qu’ils crachent sur le mouvement spontané de prière du troupeau français autour de Notre-Dame en feu. Ne leur vient jamais à l’esprit que Notre-Dame pût être cette paroisse de tous les Français et qu’en cela le sentiment de compassion orpheline qui anima alors la France était admirable, qu’on fût catholique ou non.
Dans cette guerre de catholiques contre catholiques, et dont ils sont les instigateurs, chacun choisira ses références et ses auteurs préférés, ses papes et le verset de l’Évangile qui lui convient : ceux-là ne se souviennent guère de Jean-Paul II (ce qui manifeste un oubli générationnel, voire une culture incertaine), ni de Péguy, ni de la Simone Weil de Thibon mais seulement de la Simone Weil de la colonne Durruti ; ni même de Bernanos ou de Chesterton.
Plus grave, nos auteurs ne donnent pas l’impression d’avoir compris ce qu’était un gouvernail, ni que Pierre allait vers les eaux profondes, où les écueils sont nombreux et jamais les mêmes : un jour, il faut déraciner les habitus mauvais et profonds des nations païennes ; l’autre, il faudra replanter ce qui a besoin de ressources terrestres pour ne pas se perdre dans la gnose. Et c’est dans ce dernier temps que nous sommes plongés pour lors, en Occident.
Critères socio-économiques
Dans leur inconsciente conscience marxiste, ils n’en viennent à juger du bien et du mal que selon des critères socio-économiques qu’ils rebaptisent, dans la tradition extrême gauchiste, « dispositifs » et « systèmes de domination ». Chez les catholiques, on parle généralement de structures de péché, c’est plus explicite mais surtout ça laisse plus de place à la liberté. Tout gauchiste finit dans l’apologie de la détermination, qui est finalement rassurante. Les seules vertus qu’ils reconnaissent à la Manif Pour Tous seraient que les mères de famille gazées par la police aient tout à coup eu un ressenti de « dominés » et qu’elles aient pu fraterniser avec des musulmans. La belle affaire.
On lit encore qu’« il est étrange de dénoncer “la culture de mort” à l’époque où le transhumanisme voudrait rendre la vie éternelle ». Il serait intéressant que nos auteurs ouvrent un truc qui s’appelle Evangelium vitae, pour y apprendre des choses comme ceci : « Ne manque pas non plus de peser une sorte d’attitude prométhéenne de l’homme qui croit pouvoir ainsi s’ériger en maître de la vie et de la mort, parce qu’il en décide, tandis qu’en réalité il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance », et que c’est ceci que le saint polonais appelait « culture de mort ».
On comprend bien que le ressentiment profond de nos auteurs soit la peur de Zemmour, et ils en ont le droit. Il faudrait cependant veiller à ne pas travestir la pensée catholique pour démontrer ce que l’on voulait démontrer. Nos auteurs prennent surtout l’immense risque, quand ils délégitiment toute structure, même l’Église catholique, de finir en vulgaires libéraux. Dieu les en garde, et l’on priera pour eux comme ils prient pour nous.
Jacques de Guillebon
(1) Paul Colrat, Foucauld Giuliani, Anne Waeles, La Communion qui vient. Carnets politiques d’une jeunesse catholique, Seuil, 2021, 222 pages, 20 €.
© LA NEF n°340 Octobre 2021