Une louable démarche de vérité

ÉDITORIAL

Le rapport Sauvé sur « les violences sexuelles dans l’Église catholique » en France (1950-2020), rendu public le 5 octobre dernier, a été un choc, notamment par l’ampleur des chiffres annoncés (216 000 victimes par des clercs, plus 114 000 par des laïcs). Ce rapport était néanmoins nécessaire, et il faut remercier les évêques d’avoir eu le courage de jouer la carte de la complète transparence, et ce d’autant plus que, dans le passé, leur atermoiement est largement responsable de l’étouffement des affaires et de l’impunité des agresseurs. Face à un tel fléau, la recherche de toute la vérité ne peut que libérer et ce rapport y contribue assurément, tout en faisant progresser la prise de conscience de ce drame. Mais plus encore, ce rapport était nécessaire pour les victimes, mises au cœur de la réflexion, et ayant eu là une possibilité de s’exprimer et de témoigner de leur souffrance : rien que pour elles, il aura été bienfaisant.

Certains pensent qu’une telle démarche de vérité accentue le discrédit porté à l’Église ; je ne le pense pas, car une institution se grandit toujours en affrontant sans biaiser ses propres erreurs. Le mal est bien réel et même si la plupart des cas répertoriés sont maintenant assez anciens, ils n’ont pas disparu pour autant, tout comme l’omerta censée éviter les scandales. La pédophilie touche toute la société, mais seule l’Église a eu jusqu’ici le courage et la volonté d’ouvrir le dossier sur la place publique et d’aller au fond des choses pour l’éradiquer définitivement. Beaucoup de non-croyants, voire des anticléricaux, lui reconnaissent ce courage et cette volonté.

S’incliner devant la souffrance des victimes

Ce rapport, pour nécessaire et salutaire qu’il soit, n’est cependant pas au-dessus de toute critique. Les méthodes de sondage pour obtenir les chiffres des victimes mériteraient sans doute d’être analysées par des spécialistes de ces disciplines. Mais ce n’est ni le lieu ni le moment ici, car même si ces chiffres étaient gonflés, l’ampleur du désastre est effroyable : que des hommes consacrés à Dieu aient à ce point trahi leur sacerdoce en abusant des plus faibles et des plus fragiles dépasse l’entendement et rend leur crime plus odieux encore. Au vu de méfaits aussi abjects, il n’y a qu’à s’incliner humblement devant la souffrance des victimes longtemps ignorée.

Que l’Église de France ait confié ce rapport à une commission indépendante était une démarche légitime et sans doute le seul moyen d’asseoir sa crédibilité. Un certain malaise vient cependant de la volumineuse annexe (près de 500 pages) réalisée par l’Inserm, l’IRIS et l’EHESS, intitulée « Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020) », idéologiquement très engagée et d’un militantisme non déguisé contre la structure même de l’Église, que les auteurs n’essaient nullement de comprendre. Un extrait de la conclusion donne le ton : « L’Église catholique apparaît ainsi comme un observatoire privilégié de la domination masculine, et plus précisément du fonctionnement d’un système patriarcal, puisque celle-ci s’exerce au nom d’une certaine paternité. Ses effets y apparaissent exacerbés, d’autant plus que l’interdit de la sexualité des prêtres fait écho à une forme de diabolisation de celle des femmes. L’institution ecclésiale revendique encore ouvertement la domination masculine et l’inscrit dans sa culture et dans ses structures. Tant qu’elle refusera de renoncer au monopole masculin du pouvoir et à sa métaphorisation paternelle qui, toute symbolique qu’elle soit, n’en a pas moins des effets réels, le risque de violence sexuelle au sein de l’Église catholique restera d’actualité » (p. 471).

Une certaine ignorance de l’Église

Si le rapport a cherché à lever tous les tabous, certains ont toutefois la vie dure. Si l’on peut se réjouir que la pédophilie soit aujourd’hui considérée comme un crime odieux, n’oublions pas que ce n’était pas le cas il y a encore peu, au point que des intellectuels de gauche en réclamaient la légalisation dans une tribune du Monde de janvier 1977. Autre tabou vite évacué dans le rapport qui aurait mérité davantage de développement : le fait que 80 % des victimes de prêtres soient des garçons quand la proportion est quasiment inversée dans la société civile. Et là, aucune « recommandation » de prudence concernant un certain type d’homosexualité (éphébophilie) !

Bref, la non-prise en compte de la spécificité de l’Église conduit à des « recommandations » qui sont pour beaucoup excellentes et nécessaires, mais d’autres inacceptables et de toute façon au-delà du pouvoir des évêques (secret de la confession, ordinations d’hommes mariés, etc.). Certains passages visent aussi à « désacraliser » le prêtre, ce qui est très ambigu : car s’il ne s’agit pas de le porter au pinacle, il convient cependant de bien comprendre que sa consécration le fait agir, à l’autel, in persona Christi, c’est-à-dire qu’il tient lieu du Christ lui-même quand il consacre le pain et le vin.

On attend maintenant des évêques qu’ils agissent : ils ont largement de quoi bien faire avec ce rapport, à condition qu’ils conservent un regard critique et distancié sur certains de ses aspects.

Enfin, un mot pour rendre hommage à l’immense majorité des prêtres fidèles à leur vocation et pour les remercier chaleureusement de leur dévouement exemplaire : nous, laïcs, leur renouvelons toute notre confiance et leur disons combien nous les aimons et les soutenons.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°341 Novembre 2021