Le Père Michaël Bretéché est curé de campagne dans le diocèse de Nantes et a déjà publié L’enfance retrouvée ou la liberté de la gloire (Artège).
La Nef – Votre analyse qui puise beaucoup à des auteurs comme Guardini, Bernanos, Pourrat ou Chesterton (qui n’étaient pas « décroissantistes » au sens où on l’entend aujourd’hui) apparaît surtout comme une critique de certains aspects de la modernité : n’est-ce donc pas un « bréviaire de l’antimodernité » que vous avez écrit plus qu’un « bréviaire de la décroissance » ? Pourquoi dès lors employer ce terme controversé ?
Père Michaël Bretéché – Ces auteurs sont des antimodernes trop oubliés : ils ont prophétisé notre temps. Le terme de décroissance s’oppose à la démesure (l’excroissance), que la modernité idéologique ou factuelle ne peut que produire. Il est illusoire de tenir la Tradition et la modernité. Ces auteurs l’ont assez clamé et l’histoire leur donne raison. Il ne suffit pas d’être antimoderne : il faut retrouver le principe évangélique d’une croissance sans démesure, tenant ensemble l’ordre créé et celui du Salut. Ces auteurs ont donné un début de réponse positive. Chesterton (le distributisme), Bernanos (la sainteté), Guardini (la vertu). La décroissance au sens catholique du terme (non idéologique), est une refondation, ce qui est de la vie et de la vérité, sans quoi elles se figent ou se renient. Refonder nécessite de renaître à partir de notre principe fondateur. Le terme de décroissance, pour être nouveau, est un germe de la grâce du Christ. Seul ce terme (provocateur) convient donc, comme l’ouvrage le manifeste.
En quoi votre conception de la décroissance, qui est bien plus spirituelle qu’économique, est-elle différente de celle des penseurs actuels de ce concept comme Serge Latouche ou Vincent Cheynet ?
Il faut qu’Il croisse et que moi je diminue : la décroissance est spirituelle, mais s’enracine dans l’ordre même des choses. Aux « décroissants économiques », manque la Sagesse de la création et de la Croix (scandale pour les juifs, folie pour les païens) sur laquelle s’est fondée notre civilisation chrétienne jusqu’au XIIIe siècle. L’art mécanique y était compris comme adultérin et nécessitait une sagesse modératrice. Les modernes parlent de décroissance tout en restant dans la logique excroissante. Si nous sommes de fait tous des modernes (Péguy), la question est donc de savoir comment sortir de cette impasse. Vincent Cheynet a cependant reconnu que cet ouvrage était la meilleure justification de la décroissance… Les hommes de bonne volonté se reconnaissent à ce qu’ils ne sont pas des idéologues.
Quel lien établissez-vous entre Dieu et la décroissance ? En quoi ce concept, ignoré jusque-là, serait-il nécessaire pour être en phase avec l’enseignement de l’Évangile sur l’abaissement ou pour comprendre la nécessité des limites ?
Il faut un levier, celui de la Croix. L’Évangile est un incessant paradoxe, tout comme notre condition humaine : si une logique pouvait la contenir, nous serions des rationalistes voués à fabriquer un monde sans Dieu, à notre image, principe du totalitarisme actuel. C’est pourtant notre tentation. Tenir le désir de Dieu et les limites de notre condition nécessite le paradoxe de l’Incarnation. Seul l’abaissement du Verbe nous délivre de l’incessant mensonge qui nous met à la place de Dieu (parfois même sous couvert de piété). La décroissance en est la loi temporelle.
Que répondez-vous à ceux qui disent que la croissance seule permet aux peuples pauvres de sortir de la misère ?
Que l’humanité n’est pas d’abord affaire de biens matériels, mais de cette sagesse perdue par la modernité. Si la décroissance reste une équation économique, elle ne refera pas des peuples dignes de ce nom. La sagesse paysanne fondée par le catholicisme est ce que l’Église (chaque catholique) doit retrouver et promouvoir. Il s’agit d’abord de refonder toute civilisation et non de chercher un égalitarisme artificiel. Alors la paix, la tranquillité dans l’ordre, regermera.
Comment votre approche de la décroissance s’articule-t-elle avec la promotion du développement telle qu’exposée par Paul VI dans Populorum progressio ?
J’invite chacun à relire cette encyclique qui manifeste les dangers de la modernité. Paul VI n’est pas béat devant le « progrès ». Le pape dit que la croissance, étant ambivalente, peut être déshumanisante. Il la définit donc, et en donne alors les conditions qui ne sont pas sans Dieu. C’est de cette croissance organique et transcendante bien définie, dont la décroissance est le secret. Ce que découvrira chaque lecteur dans Le bréviaire de la décroissance !
Propos recueillis par Christophe Geffroy
P. Michaël Bretéché, Le bréviaire de la décroissance, Le Germe, 2021, 320 pages, 20 €.
© LA NEF n°343 janvier 2022