Le mois dernier, à cet endroit, nous avons lestement traité du beau livre d’André Paul sur le Christ, en disant tout le bien que l’on en pensait ; et traité plus lestement encore son auteur, qualifié par nos bons soins d’hérétique : que l’on sache qu’il n’en était rien, et qui sommes-nous pour juger comme disait un grand jésuite. Aussi, que l’intéressé daigne accepter nos excuses, pendant que nous nous réjouissons qu’il persévère dans la « diritta via » chère à Dante.
Ce mois-ci, et en cette année neuve qui commence, plein de la joie de Noël, nous essaierons de n’insulter personne mais plutôt de défendre la veuve et l’orphelin : en l’occurrence, ce professeur de lycée technique (et catholique) d’Angers, mis en examen pour « incitation à la discrimination raciale ou religieuse », « harcèlement moral » et « dénonciation mensongère », pour avoir sommé l’un de ses élèves musulmans de rejoindre le catholicisme, sur le ton de l’humour, plaide-t-il aujourd’hui. On ne savait pas qu’il était défendu de dire la vérité en laquelle on croit, sous la douce République, qui ne se prive jamais, elle, de déployer sa propagande de tolérance, de fraternité, d’humanisme, et de laïcité.
La laïcité, parlons-en justement, à l’aide d’un excellent ouvrage d’un autre professeur, de Sorbonne celui-ci, Éric Anceau (1), qui revient sur les origines de ce fétiche français, origines chrétiennes bien entendu, et sur son destin, à l’aune bien évidemment de cette « religion » qui n’en est finalement pas vraiment une, l’islam, et qui menace non seulement la République, mais bien plus important, la France elle-même. Après avoir passé en revue la longue histoire, depuis les premiers chrétiens refusant de servir César comme un dieu jusqu’à la Révolution française et à sa fille 1905, en passant par les rapports épineux des rois de France avec Rome, Anceau conclut que la laïcité comme régime républicain serait le passage d’un régime « fondé sur la vérité à un autre fondé sur la raison ». Ce qui est la fois juste historiquement et dans l’esprit de ses inventeurs, et faux philosophiquement puisqu’on ne voie guère qu’un régime de vérité ne s’appuie pas sur la raison et ne l’inclut donc, tout en y ajoutant certes la Révélation. Mais passons. Anceau montre aussi que ce que la République contemporaine prend pour une grande victoire contre les calotins dût aussi s’appuyer sur leur acquiescement et leur soutien, témoin cette réponse de De Gaulle en 1958 à l’évêque du Mans, le cardinal Grente, qui l’interrogeait sur les rapports entre l’Église et l’État dans sa République nouvelle : « À moins que l’État ne soit ecclésiastique, je ne vois pas – non plus, j’en suis sûr, que Votre Éminence – qu’il puisse être autre chose que laïque. Toute la question est de savoir comment, dans quel esprit, il sera cela. Pour qu’il le soit comme il faut, je crois bon, en toute conscience, qu’il reçoive le baptême de l’Église de France. »
Un autre pouvoir
De même, on ne le dit pas assez, sous la IVe République, en 1956, avait été envisagée la reconstitution d’un Concordat, par le MRP et la SFIO, à quoi Rome ne donna pas suite. Aussi penser que la France moderne aurait été de nature « laïque » c’est-à-dire anti-chrétienne comme on le vit aujourd’hui est une sombre bourde que la myopie historique du contemporain laisse glisser sur son erre. L’histoire de notre professeur qui sera jugé pour avoir fait une rapide apologie du christianisme, dans une école catholique, démontre bien quels droits infâmes s’est arrogée cette République qui se pense comme unique détentrice de toutes valeurs. Et défendre la laïcité parce qu’elle serait menacée par l’islam est de courte vue : bien entendu, personne ne veut vivre sous la charia, mais qui est en concurrence immédiate avec l’État surtout parce qu’il s’agit d’un régime juridique. La foi chrétienne, elle, ordonne la personne humaine, et par conséquent les rapports sociaux uniquement sur le fondement d’une morale dérivée d’une vérité révélée et confortée par la raison. C’est un autre pouvoir, mais un pouvoir qui n’est jamais miroir de l’État. On ferait bien de s’en souvenir, pour ne sombrer ni dans l’islamisme ni dans le laïcisme.
Jacques de Guillebon
(1) Éric Anceau, Laïcité, un principe, Passés composés, 2022, 386 pages, 23 €.
© LA NEF n°343 Janvier 2022