Que ne se sera-t-il passé durant ce quinquennat : émeutes, révoltes, épidémies, guerres, rien ne nous aura été épargné. Et, sous les ordres d’un relativement jeune homme, nous aurons essayé de résister, de subsister, de continuer à vivre et penser, de prier et d’aimer, de tenir bon face à l’histoire, de ne pas céder ni à la panique, ni au désespoir, « ce terrible gâcheur d’homme », ni à la folie, ni à la haine, ni aux explications simplistes des complots.
Certes, chaque époque – et une époque passe vite, on a lestement oublié la décennie précédente – croit seule subir les foudres de l’apocalypse ; certes, notre confort inouï ne nous a jamais préparés, fors les plus anciens d’entre nous, aux quelques ennuis qui nous sont tombés dessus. Et pour lors, rien d’irrémédiable n’est advenu : les Gilets jaunes sont méchamment rentrés chez eux, pleins de ruminations, épuisés par les centaines d’heures de « grand débat » imposé par un président qui ne cesse jamais d’avoir réponse à tout ; la calamité du virus semble être retombée d’elle-même (pour l’instant) et si la solitude imposée aura fait perdre des plumes à chacun, nul doute que dans quelques années elle aura été presque oubliée ; la guerre fait rage à l’Est mais sans que nous autres Français en soyons des victimes immédiates. L’économie, qui est une magie noire, est repartie de plus belle, le chômage baisse, on ira demain sur Mars, vos enfants feront des maths, les vacances et le soleil ne sont pas loin. Emmanuel Macron est un magicien.
Mais surtout, ses concurrents sont inexistants, la pensée adverse est en lambeaux, et sur lui tout glisse, tout coule, comme un krach boursier sur un banquier de chez Rothschild : chaque épreuve le rend plus fort, tel l’Antée des temps modernes. Il faut, hélas et malgré nous, admirer l’équilibriste, le prestidigitateur, l’homme qui se met à nous parler de France, de souveraineté, de grandeur avec des trémolos dans la voix, et le torse dans un sweat des Forces spéciales, père de la nation quand il n’aura eu de cesse dans les quinze années précédentes de vendre à la découpe notre industrie, comme cet Alstom dont il rachète (plus cher) aux Américains les turbines qu’il leur avait vendues ; qui n’aura eu de cesse de tuer notre âme, en disant qu’il n’y avait pas de culture française ; que notre colonisation était un crime contre l’humanité ; que nombre d’entre nous n’étaient rien ; qu’il allait start-uper la nation, et tant d’autres sottises de yuppie des années 80.
Un habile séducteur
Mais Emmanuel Macron est plus fort que le temps. Peut-être était-il déjà là à l’aube, avec le père du mensonge, avec le prince de ce monde, celui qui tire les ficelles de marionnettes que nous sommes. Mais ce serait lui faire trop d’honneur – quoiqu’il ait l’esprit blanc et transparent du Monsieur Ouine (Oui-non) de Bernanos. Tout est en même temps, puisqu’il est le temps.
Plus prosaïquement, l’incroyable Monsieur Macron n’est qu’un habile séducteur qui attire à lui les plus roués, voyant dans son soleil le moyen de se refaire un teint hâlé. Ses rayons sont du miel pour les petits hommes de notre petite époque. Rien que les moralistes, anciens et modernes, n’aient déjà écrit mille fois : l’attrait du pouvoir rend les plus sages imbéciles.
Mais imbéciles sommes-nous, nous surtout, de l’avoir laissé dérouler son boniment sans l’interrompre, et de n’avoir pas construit toutes ces années une pensée et une pratique politiques, civilisationnelles, capables de lui faire pièce. Nous voilà bien punis.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°346 Avril 2022