Lectures Avril 2022

LES MYTHES DE LA GUERRE D’ESPAGNE 1936-1939
PÍO MOA
L’Artilleur, 2022, 684 pages, 25 €

Voilà déjà près de trois décennies que la question de l’origine et du partage des responsabilités de la guerre civile est instrumentalisée par le parti socialiste et l’extrême gauche espagnols. Par leurs volontés expresses, et par celle de leurs relais officieux dans le monde académique, elle est revenue au centre des préoccupations et des passions de l’opinion publique. On comprend dès lors les polémiques enflammées autour du célèbre historien Pío Moa. Ancien marxiste révolutionnaire, résistant et même terroriste antifranquiste dans sa jeunesse, démocrate et libéral affiché depuis plus de quarante ans, Moa est l’historien le plus controversé et le plus admiré de la Péninsule. Son livre de synthèse, Les mythes de la guerre d’Espagne 1936-1939, vendu à plus de 300 000 exemplaires dans les pays hispanophones, bat en brèche l’historiographie « front-populiste » et « kominternienne » qui reste encore prédominante à l’étranger et surtout en France.

Fondée sur une abondante et irréfutable documentation, notamment sur l’exploitation méthodique des archives de la Fondation (socialiste) Pablo Iglesias, la démarche historique de Pío Moa est, de notoriété publique, extrêmement solide. Non la guerre d’Espagne n’a pas été le fruit de déséquilibres sociaux car la société espagnole jouissait alors d’une relative modernité en comparaison avec le reste de l’Europe. Non elle n’a pas été le résultat de « l’agression de l’Armée, de l’Église catholique, de la Banque et des Fascistes contre le Peuple, la Démocratie et la République » ; c’est au contraire le mouvement révolutionnaire et l’effondrement de l’État et de la démocratie qui ont entraîné le soulèvement de juillet 1936. Un livre incontournable, véritable somme sur le sujet, qui permet enfin au lecteur francophone, du moins celui qui n’est pas effrayé par « le paradigme du libre débat », de s’informer et de juger en connaissance de cause. L’auteur a accordé un entretien exclusif, passionnant et éclairant, à La Nef, librement accessible sur son site : https://lanef.net/2022/03/14/pio-moa-lhistoire-comme-antidote-a-la-propagande/

Arnaud Imatz

EXCELLENCE RURALITES
Des écoles pour la France périphérique
JEAN-BAPTISTE NOUAILHAC
Première Partie, 2022, 226 pages, 17,90 €

Des décennies d’incurie ont conduit la France rurale à la ruine économique, morale et scolaire. Jean-Baptiste Nouailhac, s’il en dresse un bilan sévère et sans concession, ne se résigne pas à ce constat. S’il est capital d’accompagner les banlieues dans la scolarisation de populations fraîchement arrivées sur notre sol ou peu héritières de notre culture bien qu’étant françaises depuis une ou deux, voire trois générations, cet entrepreneur social relate son expérience réussie sur un autre terrain, celui des zones rurales, des campagnes au cœur des terres. Il dresse le bilan des cinq années du Cours Clovis, école indépendante soutenue par la Fondation pour l’École, pour redonner leur chance à des enfants que l’Éducation Nationale oublie et néglige. 40 % d’entre eux se trouvent en décrochage scolaire. Le déclassement commence à l’école, c’est donc là que les efforts doivent être portés en faveur de ces familles pauvres et de classe moyenne, souvent silencieuses et laissées pour compte. Comment remettre leurs enfants sur les rails de l’apprentissage de la langue, de la pensée et du savoir-être propre à notre culture ? C’est tout l’art développé par des équipes animées par le souci du bien commun et véritable amour du métier et de la jeunesse. Les familles se sentent soutenues, les communes reconnues et les enfants relèvent la tête.

Valérie d’Aubigny

DE LA FRANCE
Ce pays que l’on croyait connaître
LAETITIA STRAUCH-BONART
Perrin/Presses de la Cité, 2022, 400 pages, 22 €

Journaliste et essayiste vivant à Londres, Laetitia Strauch-Bonnart a publié deux ouvrages que nous avions remarqués, Vous avez dit conservateur ? (Cerf, 2016) et Les hommes sont-ils obsolètes (Fayard, 2018). Avant la présidentielle, elle nous offre ici une réflexion sur la France, ses atouts et ses faiblesses en essayant d’englober diverses disciplines sans se limiter à l’économie. Beaucoup de bon sens dans ses propos et, face à un pays qui croule sous la bureaucratie, les réglementations et les charges, elle n’a pas de mal à nous convaincre de la nécessité d’apporter un nouveau souffle de libertés. Si, en 2016, elle tâchait de remettre à l’honneur un conservatisme de bon aloi qui s’est davantage imposé en Angleterre qu’en France, elle verse plus franchement, dans ce nouvel essai, vers le libéralisme d’un Hayek favorable à la mondialisation dont maints aspects sont plus que contestables et dont l’auteur estime qu’il pourrait s’appliquer en France aussi bien qu’en terre anglo-saxonne comme si chaque nation n’avait pas son propre génie. Dommage, car les mesures qu’elle préconise en conclusion méritent assurément d’être prises en compte et discutées : vers un régime plus responsable, donc présidentiel à l’américaine, mettre fin à « la redondance bureaucratique », notamment au niveau local… « Puisque l’opacité du modèle français est systémique, il faut façonner un nouvel ordre politique où la responsabilité des actions peut être plus aisément ramenée à leurs auteurs ; bref, ériger le localisme. »

Patrick Kervinec

LE SECRET DE LA SÉRÉNITÉ
La confiance en Dieu avec saint François de Sales
JOËL GUIBERT
Artège, 2022, 264 pages, 17,90 €

En ces temps marqués par l’incertitude et l’angoisse, voire le désespoir, y compris parmi les baptisés, la parution de cet ouvrage doit être reçue avec gratitude. Comme dans plusieurs de ses livres précédents, le Père Guibert utilise son expérience de prédicateur de retraites pour le service du bien des âmes. Il le fait ici en se mettant à l’école de saint François de Sales. Passé par l’épreuve du sentiment qu’il était abandonné par Dieu, ce « Docteur de l’Amour » a été conduit à s’abandonner à Dieu jusqu’à devenir un maître spirituel incomparable par la profondeur et le réalisme de ses enseignements. Ceux-ci posent les principes d’une efficace thérapie de l’âme, mais aussi du psychisme, en fait de l’être tout entier, et ils sont remarquablement adaptés à notre époque.

Le secret de la paix intérieure, ou de la sérénité, consiste en l’abandon confiant à la Providence, sachant que « Dieu ne force pas mais Il attire », explique le P. Guibert, qui insiste sur l’importance à accorder à la volonté divine. Car « seule l’âme livrée comprend de l’intérieur que l’homme n’est vraiment libre que lorsqu’il se fait esclave de la volonté de Dieu ». Il s’agit donc de « ne rien demander, ne rien refuser » et cet abandon, fondé sur la « volonté obéissante », n’a rien à voir avec le fatalisme, la résignation, le quiétisme, le perfectionnisme ou l’indifférence à la souffrance. Avec une pédagogie précise, l’auteur définit tous ces concepts, distingue les parties inférieure et supérieure de l’âme, fournit des conseils concrets pour vivre la charité dans la gratuité, pratiquer « l’humble vertu de l’humilité », mère des vertus et siège de la grâce, accepter la sagesse de la croix dans l’assurance de sa mystérieuse fécondité. Oui, assure-t-il, « en lui remettant notre vie, nous réjouissons Dieu, nous lui permettons de rayonner en nous ». Ce livre mérite d’être lu et médité lentement tant il recèle de richesses.

Annie Laurent

LOUIS DE BONALD, PHILOSOPHE ET HOMME POLITIQUE
FLAVIEN BERTRAN DE BALANDA
CNRS Éditions, 2021, 398 pages, 25 €

Du vicomte de Bonald (1754-1840), un autre vicomte, Chateaubriand, ancien émigré comme lui, dira dans Mémoires d’outre-tombe qu’il avait « l’esprit délié » ; qu’on « prenait son ingéniosité pour du génie » ; qu’il avait « rêvé sa politique métaphysique à l’armée de Condé, dans la Forêt-Noire ».

Déjà lointaine la recension élogieuse, par ce même Chateaubriand, de la Législation primitive du personnage, lequel, quant à lui, n’était pas moins admiratif des productions de l’ami et de l’allié… qui cessa de l’être au bout de la Restauration. D’où le ton aigre-doux des propos plus haut cités.

Jeune maire de Millau (aujourd’hui chef-lieu d’arrondissement de l’Aveyron) aux dernières années de l’Ancien Régime, attelé dans son exil d’Heidelberg à l’élaboration d’une ample Théorie du pouvoir imprimée à Constance en 1796, puis, de retour en France, auteur encore de trois ouvrages (dont la Législation primitive parue en 1802) remarqués, notre gentilhomme va accepter sans enthousiasme, en 1810, la place de conseiller de l’Université. Après quoi, membre de la Chambre des députés à partir de 1815, de l’Académie française à partir de 1816, ministre d’État à partir de 1822, la pairie lui fut octroyée vers la fin de 1823. Publiciste inlassable et d’humeur combative, outre une bonne dizaine de livres échelonnés, si l’on excepte la Théorie, de 1800 à 1830, il devait, jusqu’au terme de sa très longue vie, multiplier articles de presse, opuscules et écrits de circonstance. Mais demeuré néanmoins, autant que possible, un rural féru d’occupations champêtres et, en son domaine montueux du Monna, partageant familièrement, à la même table, le repas de ses fermiers ; aussi un père et un grand-père très attaché à ses enfants et petits-enfants.

Quelqu’un, jadis, a fourni de Bonald philosophe cette définition : raisonnement qui se poursuit, il est constitué d’un sorite (ex. tout A est B, or tout B est C, or tout C est D, donc tout A est D), ici cas archétypal de la pensée absorbée par une structuration trinitaire se déclinant en cause/moyen/effet, et, travaillant sur elle-même, ne voulant tenir rien que de soi (la Théorie, l’Essai analytique). D’autres ont parlé d’utopie régressive. Cependant nous savons l’approbation donnée par Balzac à plusieurs de ses idées, également les empreints d’Auguste Comte qui en fera un des « saints » du Calendrier positiviste – cela dans le cadre de la « sociologie » (vue chez Bonald, a-t-on soutenu, comme la synthèse dogmatique où la société, prise en tant que substrat ontologique, se voit conférer l’essentiel privilège de la causalité).

Au lendemain de la chute de Charles X, son refus de serment à Louis-Philippe d’Orléans l’avait privé de son titre de ministre d’État et exclu de la Chambre des pairs. Désormais retiré dans son rude pays des Causses, mais toujours lisant, toujours écrivant dans les journaux (encore en 1839 dans la Revue de l’Aveyron et du Lot), et s’inquiétant du sort des ouvriers des manufactures, « hommes, femmes, enfants au plus bas âge, obligés, au plus bas prix », de besogner pour les « seigneurs d’une nouvelle féodalité ».

L’épais volume à lui consacré est le bienvenu.

Michel Toda

LES PASSEURS DE L’ABSOLU
Les grands écrivains et Dieu
EMMANUEL GODO
Artège, 2022, 18,90 €.

Jeune fille, alors qu’elle dévorait les livres et demandait à son père son avis sur les auteurs russes, Cristina Campo reçut cette réponse : « Tu peux tous les lire […] Tu y trouveras de quoi beaucoup souffrir, mais rien qui puisse te faire du mal. » Ce beau conseil, rapporté par Emmanuel Godo, peut s’étendre à tous « les passeurs de l’absolu » que présente son livre aussi fin que profond. Écrire, chez eux, n’est jamais de l’ordre du divertissement, de l’attendrissement mièvre sur soi-même ou de la recherche de slogans à asséner depuis les chaires confortables du camp du Bien. Les vingt-cinq écrivains choisis par Godo connaissent assez le silence pour percevoir l’ampleur des murmures filiaux ou des cris de révolte qui résonnent dans les tréfonds d’eux-mêmes. Amateurs de conseils de bien-être personnel s’abstenir. De Péguy à Jean Sulivan, de Maria Zambrano à Sylvie Germain, de Louis Calaferte à Patrice de La Tour du Pin, les vingt-cinq « âmes en voyage » dont Godo dévoile les richesses spirituelles écrivent pour nous élever, dans les deux sens du mot, pas pour nous distraire des enjeux d’éternité de notre existence.

On peut regretter que la part charnelle soit un peu gommée. Bien que Godo rappelle l’exigence d’incarnation commune à tous ces pèlerins du Ciel, il jette un voile pudique sur les poèmes pornographiques de Verlaine – « un ange qui se noie dans la boue », disait Bloy – ou sur les bas-fonds homosexuels dont Max Jacob s’arracha si difficilement. Rien non plus sur ces autres lieux d’incarnation que sont les champs de bataille politiques de Bernanos, les pièces de théâtre de Claudel (abordé uniquement comme poète) ou le « grotesque » inséparable du « sublime » chez Victor Hugo. La chose s’explique, toutefois, par la volonté constante de nous faire respirer l’air des cimes. Poète lui-même, Godo est sans doute plus chez lui dans les splendeurs du Verbe que dans les prosaïsmes de la chair.

La brièveté des chapitres pourrait laisser le lecteur sur sa faim, mais la dose offerte est assez concentrée pour frapper au coeur et, surtout, pour donner envie d’aller puiser aux sources dont on goûte ici les eaux. À l’évidence, Godo est lui aussi un passeur de l’absolu.

Henri Quantin

AU SECOURS DES ÉVIDENCES
GUSTAVE THIBON
Mame, 2022, 264 pages, 19 €

Quand avait paru en avril 1940, à la veille de l’effondrement militaire de la France, l’essai de physiologie sociale intitulé Diagnostics, une préface de Gabriel Marcel, qui s’imposa dans les années 1930 comme un méditatif de tout premier plan, aiderait beaucoup au succès du livre et au renom de l’auteur. Ainsi que Thibon l’a raconté, Gabriel Marcel, « d’un naturel enthousiaste », était venu à lui spontanément, après avoir lu ses pages sur l’esprit d’économie, publiées dans une petite revue. Et d’ajouter : « Il m’a écrit une très belle lettre ; je lui ai répondu, je l’ai invité – et ce fut la naissance d’une grande amitié. » Belle lettre de Marcel donc, et sa « fervente adhésion ». Pourquoi ? « J’admirai d’abord l’extraordinaire vitalité de la pensée, soulignera le philosophe, mais aussi le bonheur des formules. » Plusieurs « fulgurantes ». Tout en ignorant encore à ce moment-là qu’on devait à Thibon « des centaines d’aphorismes qui suffiraient à la gloire d’un écrivain ». En un mot, pour Gabriel Marcel bientôt mieux informé, cette destinée hors norme du paysan de l’Ardèche ne pouvait manquer de « réfuter les prétentions absurdes qui recouvrent le sol avare et mal drainé d’une certaine impuissance universitaire ».

Combien, depuis, l’œuvre de Gustave Thibon s’est développée, enrichie. Combien il a imprimé d’équilibre et d’harmonie dans les têtes et dans les cœurs. Combien son parcours a été, au moins pour quelques-uns, fortifiant, roboratif. Ouvrez le présent recueil (des billets insérés dans divers journaux entre 1960 et 1980) et vous verrez « le bon sens éclairé de toutes les lumières de l’intelligence ».

Michel Toda

DANS LE CHŒUR DE LA FAMILLE LEFÈVRE
ANNE ET GABRIEL LEFÈVRE
Plon, 2021, 176 pages, 19 €

En 2020, ils ont conquis le cœur du grand public en remportant la finale de l’émission populaire « La France a un incroyable talent », diffusée sur M6. Anne et Gabriel Lefèvre, avec leurs six enfants, ont fait le pari fou de tenter l’expérience, en proposant un répertoire centré sur la musique sacrée. Cette famille de musiciens a cherché à démocratiser le chant sacré, souvent abandonné à une petite élite de connaisseurs. Un an après leur victoire, cette famille versaillaise offre le touchant témoignage d’une aventure qui les a menés à transmettre au plus grand nombre leur passion pour la musique religieuse. Au-delà de l’expérience télévisuelle, pour le moins inattendue, c’est celle de l’unité familiale incarnée dans un amour commun pour la musique qu’ils racontent dans ce livre. De la genèse de leur histoire familiale à l’aventure de « La France a un incroyable talent », ils témoignent d’une soif de la beauté, qui ouvre à l’autre et à plus grand que soi. Anne et Gabriel Lefèvre présentent un beau parallèle entre le chant choral et le « chœur » de la famille : un lieu de transmission entre les générations, un lieu de complémentarité et d’équilibre. Comme pour la musique, la famille forme un tout, composée de parties singulières, indispensables les unes des autres et placées au service d’un intérêt plus grand qu’elles-mêmes. À rebours d’une société de la consommation et de la performance à tout prix, la famille Lefèvre a fait le choix de « servir la beauté plutôt que le succès ». La beauté accessible à chacun, qui se veut comme une porte vers l’infini. À travers le chant sacré, c’est aussi l’infiniment grand que la famille Lefèvre offre à contempler. Dans ce livre, Anne et Gabriel Lefèvre expliquent la place de la foi dans leur vie et le sens de la musique, comme une prière, dans la relation à Dieu. C’est porter en témoignage, à travers la musique, la puissance de la joie et du don. « La musique rend-elle heureux ? », se demande Gabriel, le père de famille. La mélodie du bonheur n’est pas un air léger qui fait oublier les obstacles, mais une quête vers le bien et le beau (la famille Lefèvre a également sorti un CD, Ad Vitam, fin octobre 2021).

Anne-Sophie Retailleau

CONVERSATIONS AVEC LE PRESIDENT
Sur les Dieux, la France et la République
SAMUEL PRUVOT
Cerf, 2022, 152 pages, 18 €

Le président Macron se dit agnostique. Samuel Pruvot, rédacteur en chef de Famille chrétienne, a essayé d’en savoir plus sur ses convictions, son jugement sur les religions, la place qu’il entend accorder aux Églises et aux confessions religieuses dans la vie publique et dans la société. Dans une « Présentation » qui occupe plus de la moitié du livre, il retrace quelques grands événements qui ont marqué la présidence Macron : la visite au pape François (avec un entretien de près d’une heure), le discours aux Bernardins, l’assassinat de Samuel Paty, la loi sur le séparatisme religieux, le débat sur la bioéthique. La seconde partie reproduit deux entretiens que Samuel Pruvot a eus avec le président Macron, l’un au début du quinquennat (en décembre 2017) et l’autre il y a quelques mois (décembre 2021), ce qui permet de mesurer l’évolution du président sur certains sujets.

Né dans une « famille laïque », selon son expression, Emmanuel Macron a demandé à être baptisé à l’âge de douze ans. À Samuel Pruvot, il explique : « j’ai eu un véritable engagement pendant deux ou trois ans. Cet engagement va s’étioler pour différentes raisons. » La passion qu’il éprouve alors pour sa professeur de théâtre, de vingt-cinq ans son aînée, est peut-être une de ces « raisons » ; les dates correspondent.

Aujourd’hui le président explique avoir des « sympathies » pour le protestantisme, reconnaît que la question de la métaphysique se pose, mais il a un regard très progressiste et rationaliste sur la place de la religion : « la laïcité est un processus historique qui a permis à la raison de s’émanciper du fait religieux car ils n’étaient plus compatibles à un moment. »

Yves Chiron

ÉCRITS SPIRITUELS
ALIX LE CLERC (1576-1622)
Cerf, 2021, 284 pages, 22 €

Ce livre est un assemblage : les écrits de la bienheureuse, des témoignages de religieuses contemporaines d’Alix et, enfin, moins intéressant deux courts passages écrits de nos jours par des clercs et quelques prières. La plus longue partie de ce texte nous est rendue dans la langue savoureuse du XVIIe siècle, un réel bonheur ! Cependant le plus grand intérêt de ce livre est sa modernité : en notre temps où l’on ne croit plus à Satan et à ses affidés, où le sexe envahit nos écrans et nos journaux même les plus catholiques, la vie d’Alix est une constante bataille contre des attaques démoniaques à son vœu de chasteté ; pourtant c’est elle que Dieu a choisie pour fonder l’ordre enseignant des sœurs de Notre Dame. Les conseils pour une saine et sainte éducation qu’elle prodigue à ses sœurs sont encore valables, ô combien, de nos jours et enfin le chapitre « Les sentiments qu’Alix avait de quelques vertus » est une belle source de méditations notamment lorsqu’elle parle de l’humilité.

Cette figure féminine peu connue a beaucoup à nous dire et il faut remercier les éditions du Cerf de nous donner les moyens de l’écouter.

Marie-Dominique Germain

LA MACRONIE ET L’ISLAMISME
5 ans de lâchetés
JEAN-FRÉDÉRIC POISSON
Éditions de Paris, 2022, 144 pages, 14 €

Chacun pressent que l’affirmation croissante de l‘islam dans la société française représente un enjeu décisif pour les années à venir. La gravité du sujet appelle donc un regard lucide que l’imminence de l’élection présidentielle rendait urgent. C’est pourquoi l’ouvrage de Jean-Frédéric Poisson, déjà auteur de L’islam à la conquête de l’Occident (Éditions du Rocher, 2018), mérite la plus grande attention. En arrivant au pouvoir, en 2017, Emmanuel Macron a hérité de ses prédécesseurs une situation désastreuse dans ce domaine, mais qu’a-t-il fait pour y remédier ? Malgré des annonces largement médiatisées pour assurer le contrôle de « l’islam politique », en finir avec le « séparatisme islamiste » et « l’islam consulaire », le président a multiplié les complaisances à deux niveaux : dans l’Hexagone envers les agents les plus actifs dans l’islamisation de notre pays et à l’extérieur envers les États les plus engagés dans ce projet.

L’auteur commence par établir un état des lieux actuel de la présence et de l’influence des mouvements islamistes en France, les Frères musulmans et affiliés occupant la première place. Pour chacun d’eux, il rappelle l’histoire de leur fondation, décrit leurs principes idéologiques, leurs relais en Europe et leur dépendance envers certains pays (Maghreb, Péninsule arabe et Turquie). Puis, il s’attarde sur les programmes de leurs écoles et les enseignements diffusés dans leurs mosquées et sur les réseaux sociaux, ainsi que sur le contenu de livres vendus en librairies. Citations et références à l’appui, il en signale les sujets tels que l’impératif du djihad conquérant, la haine des juifs et des chrétiens, le mépris des femmes et la mise en garde contre leur occidentalisation, l’obligation de suivre la charia et « l’agonie » de l’Europe « promise par Allah ».

Alors que de telles doctrines devraient placer en situation d’illégalité les institutions, prédicateurs et militants reconnus qui en assurent la promotion, le nombre de mosquées islamistes, dont plusieurs sont géantes et dotées de minarets, s’est accru sous le quinquennat qui s’achève, et ceci avec la complaisance de ministres, d’élus du parti présidentiel, La République en marche (LREM), de maires et même de certains préfets alors que ces derniers sont informés de leur radicalité. Ignorances, aveuglements, calculs électoralistes caractérisent ces attitudes qui conduisent aussi à brader les naturalisations. Suit une étude bienvenue des failles et ambiguïtés des deux lois votées en 2017 et 2021 censées lutter efficacement contre le terrorisme et le séparatisme. En conclusion, J.-F. Poisson dresse ce constat : « Emmanuel Macron a assumé son refus du modèle assimilationniste en optant pour une intégration multiculturaliste, inopérante face à la France à franciser. »

Annie Laurent

HARALD À LA DENT BLEUE
LUCIE MALBOS
Passés composés, 2022, 286 pages, 22 €

De quoi s’agit-il ? On nous parle d’un souverain qui, dans la seconde moitié du Xe siècle, rassembla les Danois sous son autorité et exerça une influence jusqu’en Norvège et en Suède. D’un souverain ayant christianisé ses sujets, réalisé une œuvre de bâtisseur, et dont la fin du règne, marquée par la révolte de son fils, l’obligea à s’exiler. Sans que nous sachions quand il naquit, quand il mourut, ou même quand il succéda au roi son père. Bref, difficultés extrêmes d’un travail biographique avec des sources hétérogènes, parcellaires, tardives, pas toujours concordantes ni cohérentes entre elles. Et néanmoins, grâce à de très louables efforts de recherche, d’érudition, voilà que tombe l’histoire inattendue de cet oublié, l’un des « principaux fondateurs de la nation danoise ». D’excellente qualité assurément. Mais cependant, par la force des choses, et de l’aveu de notre médiéviste, « nimbée d’un voile d’incertitudes »

Ce qu’on peut en retenir ? Des connaissances sur la formation puis la consolidation du royaume de Danemark à partir de la péninsule du Jutland, petite avancée du continent européen dans la mer du Nord, accru d’îles nombreuses (Fionie, Seeland, etc.) à l’est de cette mer et même de la Scanie ; sur le cheminement des Danois vers le christianisme (du marteau de Thor à la croix) suivi de sa diffusion dans tout le monde Scandinave et, en 1104, l’établissement à Lund de l’« archidiocèse du Danemark, de Norvège et de Suède » ; sur la ligne défensive (et aussi point de contact) du Danevirke, à la frontière entre d’un côté le Jutland (et son port marchand de Hedeby), de l’autre côté la Germanie ; enfin sur le spectaculaire complexe royal de Jelling. Des connaissances pas si communes.

Michel Toda

A signaler…

L’HOMME ET L’ARGENT et PHILOSOPHIE DU DROIT, de Jacques Ellul, La Table Ronde/La Petite Vermillon, 2021, 300 pages, 8,90 € et 2022, 430 pages, 10,50 €. La Table Ronde publie depuis des années les œuvres de Jacques Ellul (1912-1994) dans leur collection de poche La Petite Vermillon. Travail salutaire tant Ellul, théologien et juriste protestant, est l’un des grands penseurs chrétiens du siècle dernier, notamment par ses études sur la technique.

LE DICTIONNAIRE DU PROGRESSISME, sous la direction de Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois, Olivier Dard, Cerf, 2022, 1234 pages, 39 €. Après deux dictionnaires remarqués, du conservatisme et des populismes, les mêmes auteurs récidivent, selon la même approche, avec le progressisme. Résultat ? Un dictionnaire passionnant et indispensable pour quiconque cherche à comprendre notre monde englué dans l’idéologie progressiste.

L’ESPRIT EUROPÉEN contre le nouveau monde totalitaire, de Georges Bernanos, Arcadès Ambo, 2022, 64 pages, 11 €. Voici une conférence inédite de Bernanos de 1946 qui reprend le thème de La France contre les robots : « Non, Messieurs, il ne s’agit pas de détruire les machines, il s’agit de comprendre que la civilisation des machines favorise à l’extrême le lent et sûr écrasement des hommes libres par les masses, c’est-à-dire par l’État irresponsable fait pour trancher tout ce qui dépasse, et broyer tout ce qui résiste. »

JEHANNE D’ARC, de Dupuy et Perconti, Plein Vent/Puy du Fou, 2022, 48 pages, 14,90 €. Cette BD est l’adaptation du Roman de Jeanne d’Arc de Philippe de Villiers (2014). Le dessin est particulièrement soigné.

Patrick Kervinec

Roman à signaler

LA VERTU DU MENSONGE
ELLEN G. SIMENSEN
Gallmeister, 2022, 494 pages, 25,20 €

À Honefoss, petite ville au nord d’Oslo, en Norvège, un homme est retrouvé mort dans la rue. Lars Lukassen est chargé de l’enquête. Quelques jours plus tard, Sofie, une petite fille de huit ans est aussi retrouvée morte, noyée, après une sortie organisée par son école. La fille de Lars, Annie, était dans la même classe que Sofie qui la persécutait quelque peu. Johanna, la nouvelle maîtresse, avait vu le jeu de Sofie et pris la défense d’Annie. La jeune femme, qui semble porter un lourd passé, se retrouve vite au cœur de l’enquête alors que Lars, divorcé, est loin d’être insensible à son charme. La résolution de l’énigme n’est-elle pas dans le passé, au fin fond du fjord natal de Johanna ?

L’enquête policière en tant que telle n’est pas l’intérêt premier de ce roman, même si elle reste toujours prenante. Son intérêt réside dans l’histoire personnelle complexe de ses personnages, particulièrement bien dessinés, dans l’atmosphère envoûtante de ce pays et de ses fjords, et aussi dans la poésie qui émane de l’écriture de Ellen G. Simensen qui réussit là un premier roman de fort belle facture. On en demande d’autres.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°346 Avril 2022, mis en ligne le 29 avril 2022