Quel statut pour l’Église catholique en France, quinze siècles après le baptême de notre roi et de notre pays ? Ignorée le plus souvent, moquée parfois, elle fait aussi l’objet d’attaques matérielles, peu documentées et qui ne font pas les grands titres. L’ouvrage de Marc Eynaud sur le sujet (1) est en ce sens salutaire : la compilation et l’analyse qu’il réalise de ces faits révèlent non certes une persécution, on en est Dieu merci encore loin, mais un régime de défaveur pour la confession qui a pourtant élaboré et nourri cette patrie.
D’incendies en profanations, de calvaires brisés en provocations, d’attentats en égorgements de prêtres et de fidèles, l’histoire récente nous administre la preuve que, sans qu’il faille pour autant nous plaindre bêtement, nous demeurons cependant des signes de contradiction pour un monde qui ne connaît que force, domination et écrasement du faible.
Que faire et que dire devant cela ? Est-ce nous les principales et premières victimes de ce divorce par non-consentement mutuel ? Ou bien plutôt ce pays qui ne comprend pas ce qu’il perd, qui s’enfonce chaque jour plus loin dans l’aveulissement et le matérialisme, que plus rien ni personne ne guide. N’est-ce pas plutôt la France qui devient toujours moins que la France, quand ses candidats sont incapables de déblatérer autre chose que des taux de TVA et des chiffres du chômage ? Les soixante-huitards tenaient, à raison, que l’on n’est pas amoureux d’un taux de croissance : ce sont pourtant les mêmes, et leurs enfants, qui ont réduit cet immense jardin de la France à de continuelles histoires de fric, de développement technique et autres billevesées qu’un peu de sable effacera.
La France, prise entre les immenses mâchoires de continents hostiles, à l’est, au sud, à l’ouest, ne comprend toujours pas, et ce n’est pas faute de le lui répéter par tous les moyens possibles, même légaux, chaque matin, chaque soir, que cet effacement de ce que l’on nomme par confusion et faiblesse son identité, alors qu’il s’agit de beaucoup plus que cela, de salut, de rédemption, d’éternité, de sublimation, la France ne comprend pas qu’elle se met à la merci, outre des puissances spirituelles, des puissances temporelles qui n’attendent de cet affaiblissement que le moment où il sera assez accentué pour l’asservir et dans les ténèbres la lier.
Ainsi, plus que de savoir « qui en veut aux catholiques », il faut se demander pourquoi on en voudrait aux catholiques, dans quel but, et comment ce qui est vanté comme une libération des chaînes affreuses de la superstition conduit en réalité un peuple vers l’abîme de son néant intérieur. Il n’y a pas d’identité qui ne soit décentrement de soi, et ce n’est pas faire une phrase de gauchiste par là : nous savons que si nous avons hérité de biens temporels, de culture française, cela ne peut malgré tout nous satisfaire et que si nous n’essayons pas chaque jour d’être plus que Français, nous ne serons jamais Français. Si nous ne rebâtissons pas notre citadelle intérieure, qui s’appelle Jérusalem, il n’y aura plus jamais de Paris, ni de citadelle extérieure. « Qui en veut aux Français », finalement, sinon ceux qui ont cru que la France persévérerait dans son être malgré ce qui fonde son être ?
Aussi défendons nos églises, nos calvaires, nos processions, nos sacrements, nos libertés de culte et de conscience, mais seulement pour ceci qu’ils participent du salut de la France. Et donc du monde.
Jacques de Guillebon
(1) Marc Eynaud, Qui en veut aux catholiques. Incendies. Profanations. ces faits qu’on ne veut pas voir, Artège, 2022, 230 pages, 15,90 €.
© LA NEF n°347 Mai 2022