Charles-Henri d'Andigné © DR

Cent livres pour comprendre le monde

Charles-Henri d’Andigné est journaliste à Famille chrétienne et collabore aussi au Figaro Magazine. Il nous parle ici de son dernier livre (1), une remarquable synthèse de cent œuvres importantes à connaître.

La Nef – Vous présentez dans ce livre une impressionnante panoplie d’auteurs : quel était en fait votre but et comment s’est fait votre choix ?
Charles-Henri d’Andigné
– Mon but est de proposer aux catholiques, et aux hommes de bonne volonté en général, un ensemble de livres qui donnent des repères, dans une époque où tout bouge, tout change, et où l’on perd de vue les évidences les plus manifestes. L’homme moderne croit pouvoir faire tout ce qu’il veut, dire tout ce qu’il veut, penser tout ce qu’il veut ! Nous sommes, nous catholiques, plus atteints que nous le pensons par cet hubris généralisé. Les cent livres dont je parle sont autant de balises dans ce monde incertain et mouvant : balises philosophiques, théologiques, historiques et sociologiques. J’ai composé mon ouvrage comme un bouquet : il y a les lys et les roses, et puis il y a les violettes – j’emprunte cette métaphore à sainte Thérèse de Lisieux. Autrement dit il y a les grands auteurs, Maritain, Bernanos, Camus, Brague, et puis des auteurs plus modestes, Alix de Saint-André ou Gerald Durrell, pour former un ensemble que j’espère harmonieux. Et accessible : je m’adresse au grand public. 

Pourquoi est-il important qu’un catholique ait une certaine culture quand le Christ se réjouit que son Père n’ait pas révélé les choses du Ciel aux « sages » et aux « intelligents » mais aux « tout-petits » (cf. Mt 11, 25) ?
L’Évangile nous dit que le Christ n’est pas venu pour une élite de sachants mais pour tout le monde, petits et grands, sans laisser personne au bord de la route. Le christianisme n’est pas une gnose s’adressant à des initiés. Pour autant nous devons nous cultiver, comme le paysan cultive la terre pour qu’elle donne des beaux fruits. Comme le rappelle François-Xavier Bellamy dans Les Déshérités, auquel je consacre un chapitre, la culture nous humanise, nous aide à être davantage nous-mêmes. C’est d’autant plus vital à une époque riche en idéologies mortifères. Sans vraie culture, pas d’immunité intellectuelle : les idéologies pénètrent en vous comme dans du beurre. 

L’homme, Dieu, l’histoire, la société sont les quatre grandes parties de votre livre : en quoi ces thèmes recoupent-ils l’essentiel des problématiques auxquels sont confrontés nos contemporains ?
Tout simplement parce que les grandes idéologies auxquelles je faisais allusion sont toutes plus ou moins matérialistes. Elles nous détournent de Dieu, elles nous détournent de l’homme, qui ne serait qu’un individu mû par ses intérêts économiques ou sexuels, elles nous détournent des faits historiques et sociaux qu’elles utilisent pour imposer leur propagande. Je n’ai pas besoin de vous dire à quel point cette propagande est présente à l’école, dans les médias et désormais dans les grandes entreprises qui imposent à leurs employés des stages de rééducation.

Bien que tous les auteurs retenus ne soient pas catholiques ni « conservateurs » au sens large, cette double appartenance est néanmoins dominante : assumez-vous cet engagement marqué et que répondez-vous à ceux qui vous le reprocheraient ?
J’assume parfaitement cet engagement. Nous souffrons beaucoup de la « déconstruction », basée sur la croyance que rien n’existe de façon naturelle, que tout est construction sociale et que donc tout est « déconstructible », mieux, que tout doit être déconstruit, pour que nous soyons enfin libres. En résulte un individu isolé, fils de ses œuvres, qui n’hérite pas, ne transmet rien et n’a d’autres liens avec ses pairs que ceux relevant de ses intérêts. Il est donc urgent de renouer avec nos traditions, religieuses, philosophiques et historiques, pour conserver ce qui mérite de l’être. Gustave Thibon, l’un de « mes » cent auteurs, se définit par exemple comme un anarchiste conservateur… Bien entendu, conservateur ne signifie pas borné. On peut avoir une sensibilité conservatrice et lire des auteurs considérés comme de gauche, Orwell ou Simone Weil pour ne citer qu’eux. D’où mes chapitres sur 1984 et L’Enracinement. 

Pour les chrétiens, comment situez-vous le combat des idées dans la société (son importance, son influence) et les chrétiens vous semblent-ils être à la hauteur de ce combat ? Autrement dit, existe-t-il aujourd’hui une relève intellectuelle chrétienne crédible ?
Certains chrétiens semblent avoir compris l’importance du combat des idées après l’adoption du « mariage » pour tous. N’ayant jamais entendu parler de la théorie du genre, ils ne pouvaient pas même concevoir la notion de mariage entre personnes de même sexe… Sont-ils désormais à la hauteur de ce combat des idées ? Je crains que ce ne soit pas encore le cas. Mais la relève intellectuelle chrétienne est là. Citons un seul nom, celui du philosophe Olivier Rey – je consacre un chapitre à Une question de taille – l’un des esprits les plus fins et les plus profonds de sa génération.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Charles-Henri d’Andigné, Cent livres pour comprendre le monde, L’Artilleur, 392 pages, 20 €.

© LA NEF n°348 Juin 2022