Dom Samuel est le Père Abbé de l’abbaye trappiste de Novy Dvur en République tchèque, fondation de Sept-Fons. Il nous parle ici de son nouveau livre, texte magnifique de profondeur et de simplicité (1).
La Nef – Quelle est l’origine de ce livre, quel but avez-vous poursuivi en l’écrivant ?
Dom Samuel – Un jour où j’avais des soucis – cela arrive à tout le monde, n’est-ce pas –, en priant l’office je suis tombé sur un verset du psaume 138 : « J’avais dit : les ténèbres m’écrasent… Même les ténèbres pour toi n’est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière » Ce fut un choc. J’avais chanté ce psaume toutes les semaines pendant presque quarante ans et je ne l’avais jamais vraiment prié. La Parole de Dieu vous frappe quand vous avez besoin d’elle. Plus tard, je lisais un passage d’Isaïe que j’aime beaucoup : « J’écarterai les obstacles que tu rencontreras. Je te donnerai les trésors cachés… ». Dans une nouvelle traduction, j’ai lu ceci : « Les trésors des ténèbres » ! Il y aurait des trésors dans les ténèbres ? Oui, il y en a, j’en ai trouvé. Dans son encyclique Spe Salvi, le Pape Benoît XVI utilise le psaume 138 pour montrer que l’agir et la souffrance sont école d’espérance. La souffrance, en soi, n’a pas de sens. Mais nous devons agir, transformer le monde qui nous a été confié. Nous devons aimer. Et pour assumer ces responsabilités, il nous arrive de souffrir. Alors, sur les pas du Christ, nos difficultés prennent un sens. Ce n’est pas la lumière qui chasse la nuit, comme au lever du jour. C’est la nuit qui devient lumière.
Je n’écris pas dans un but précis. Je suis moine. Je n’ai, dans l’Église aucune responsabilité apostolique. J’écris quand la Parole de Dieu peine à pénétrer mon cœur d’homme. J’écris quand quelque chose résiste en moi, pour faire céder l’obstacle.
Comment un moine, détaché du monde, perçoit-il les problèmes et angoisses de nos contemporains ?
Nous vivons une période de crise très profonde, dans l’Église et dans le monde. Je dirais : dans le monde et par contagion dans l’Église. Des crises, on en sort. Nos déserts sont des lieux que l’on traverse, où l’on ne reste pas. On en sort ou bien on y meurt. On en sort avec Dieu ou on y meurt sans lui. Dans les crises, ce qui est difficile, c’est qu’il faut dans un premier temps pleurer sur nos échecs et sur rien d’autre. Alors, on devient capable de prendre sur soi le péché des autres. Cette attitude devient contagieuse. Enfin, le Christ essuie toutes larmes de nos yeux. C’est la seule méthode susceptible de porter des fruits. Elle est bienfaisante, elle a fait ses preuves, depuis 2000 ans.
Nous recherchons tous la lumière : est-elle plus difficile à atteindre aujourd’hui qu’hier ?
Je ne sais pas… Peut-être… Qu’importe ! C’est aujourd’hui qu’il nous est demandé de témoigner que le Christ est vivant. Il y a une certaine similitude entre l’époque dans laquelle Pierre et Paul ont annoncé la Bonne Nouvelle, et la société privée de repères dans laquelle nous vivons. Je ne vois pas le monde moderne comme un ennemi. Je le vois comme le monde qui m’est donné pour vivre en compagnie du Christ, le monde de ceux qui sont invités à se tourner vers Lui.
Pourquoi tant de désespoir autour de nous ou de gens qui semblent peu épanouis ou même malheureux ? Comment les toucher ?
L’une des étapes les plus délicates dans mon ministère d’abbé cistercien-trappiste, c’est quand un frère affronte le désert : il souffre dans l’exercice de sa vocation. S’il est jeune, il faut le soutenir. C’est le rôle du maître des novices. Ou des parents pour un adolescent. Si c’est un homme mûr, je dois le laisser affronter l’épreuve. Être présent par mon amitié et ma prière, mais le laisser affronter l’épreuve.
Quand je suis entré au monastère, en 1983, on parlait de la société post-adolescente. Aujourd’hui, je dirais qu’elle est infantile et infantilisante. Rêver ? Oui. Jouer sur des écrans ? Hum… Être incapable du moindre renoncement pour le bien commun, c’est problématique !
Quand le Christ nous invite à redevenir enfant, il ne veut pas que nous vivions comme des adultes irresponsables. Mais comme des hommes de désir, d’un désir unifié… capables surtout de faire confiance à leur Mère.
Comment réagir, comment toucher ces gens peu épanouis ? Être proches en les écoutant pour saisir ce qu’ils éprouvent. La compassion… Aider dans la mesure du possible. Témoigner. Les laisser mûrir dans l’épreuve. Si vraiment on les aime, cela demande une grande confiance en Dieu et beaucoup de détachement.
Comment assumer l’obscurité que nous traversons sans désespérer ?
L’espérance… C’est la vertu théologale qui a toujours tendance à nous échapper. La foi ? Oui, je crois ! L’amour ? Il y en a toujours un peu dans notre cœur, même si notre soif n’est jamais étanchée. Mais l’espérance… Il semble que ce soit le meilleur fruit de la prière. La prière vous permet d’expérimenter que le Christ est là : déjà là, mais pas encore là. Notre vie se déroule entre ce « déjà là » et ce « pas encore ». Le mot « joie » se trouve 109 fois dans mon livre, dans un livre qui parle de nos nuits. C’est encourageant, non ?
Les gens ne croient plus en Dieu, et quand ils y songent ils se demandent comment Dieu permet tous les malheurs qui nous touchent, ce qui les en éloigne encore plus : que répondre à de tels propos ?
Les nuits sans foi sont très proches de la nuit de la foi. Je suis passé de l’une à l’autre avant d’entrer au monastère. Les nuits urbaines sont des nuits sombres et froides. Celles qui entourent mon monastère, en pleine nature, rayonnent de lumière. Mais la pleine nature inquiète. Elle exige d’abandonner nos sécurités confortables, de quitter sa terre et son pays, de se quitter soi-même, en fait, pour marcher à la rencontre de Celui qui nous appelle. Ces nuits-là deviennent lumière.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
(1) Dom Samuel, Et la nuit devient lumière. La joie du Christ dans les ténèbres de nos vies, Artège, 2022, 264 pages, 16,90 €.
© LA NEF n°351 Octobre 2022