Il est presque risible que l’idéologie dominante de notre temps, qui fait de tous et de chacun une victime, un être intrinsèquement faible à protéger, dénie ce statut aux réels êtres humains fragiles, savoir les embryons et les fœtus, les handicapés du type trisomique dans le ventre de leur mère, et finalement les malades et les vieux. Contre eux, tous les moyens sont et seront bons. Pour s’en débarrasser. Certainement, nul ne l’énoncera ainsi parmi les promoteurs de la « bonne naissance », de la « bonne vie » ou de la « bonne mort ». Satan est plus malin, c’est même à ça qu’on le reconnaît. Au contraire, lui et ses sbires luttent pour un monde et une vie meilleurs, n’en doutons pas. Et n’hésitent pas à nous expliquer que nous n’avons rien compris, que nous sommes coupables d’infliger ou d’éterniser une souffrance, présente ou supposée, qu’un peu de technique ou de médecine suffit à faire disparaître. Tant pis si c’est choisir la mort. Plutôt la mort que la vie indigne. C’est ce qu’ils affirment dans un paralogisme sidérant.
Le CCNE : un bien triste exemple
Dans son rapport de juin, publié en septembre, le Comité de consultation national d’éthique (CCNE), saisi sur l’état de la fin de vie aujourd’hui, donne un bien triste exemple de cette absurdité.
Annonçant qu’il « met l’accent (…) sur deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité envers les personnes les plus fragiles, et le respect de l’autonomie de la personne », et donnant dans un beau texte des arguments en faveur de la protection de la vie contre la fausse vision de la dignité humaine que l’on cherche à nous vendre (« L’être indifférent aux souffrances de la personne en fin de vie est le premier à mourir, moralement, intérieurement »), il finit par conclure, avec de nombreuses mises en garde certes, qu’il faut néanmoins légiférer sur l’aide active à mourir pour les personnes dont la fin de vie peut s’étirer « à moyen terme ».
Dans le choix cornélien qui est à faire, la balance penche nettement en faveur de la « liberté », contre celle de la vie : « Nous pouvons donc aussi estimer que le droit à la vie peut être mis en balance avec d’autres valeurs, notamment celle du respect de la liberté de disposer de soi-même. »
Même si, et surtout si, les intentions des rédacteurs sont globalement bonnes, nous voici à leur suite engagés sur la pente glissante de la vision libérale de l’homme, qui nous poussera bientôt vers le fond du précipice. Cela a souvent été remarqué, mais il faut le répéter encore : le procédé est le même que pour l’avortement, qui nous fait passer par de multiples étapes, chaque fois liées à la « liberté », d’une dépénalisation à un droit de la femme.
Nécessité des soins palliatifs
On préconise, à juste titre, de développer les soins palliatifs (refrain qu’on a l’impression d’entendre hélas depuis trente ans, sans que les moyens nécessaires soient jamais alloués) mais dans le même temps on autorise le « suicide assisté » et, pour qu’il n’y ait pas de discrimination envers les personnes ou trop handicapés ou dénuées de volonté, l’euthanasie. Certes tout cela sera encadré, nous répète-t-on, collégial et rare. Mais qu’à travers les proches et les médecins, la société tout entière puisse être engagée même dans un seul cas d’euthanasie est déjà trop. On sait que la sédation profonde est déjà autorisée en dernier recours et si le patient approche la mort à court terme et que tous les moyens ont été épuisés ; on sait que la souffrance peut être insupportable ; cependant, pour une fois, selon ce que disent les spécialistes des soins palliatifs, la technique aura avancé sur deux jambes et comme elle a donné les moyens de prolonger comme jamais la vie, elle a aussi donné les moyens de la rendre le moins douloureux possible. Aussi ne sommes-nous pas démunis, physiologiquement, devant ces cas et la médecine peut les soulager. Demeure l’autre souffrance, la psychique, la spirituelle, la sociale, de ces vieux, de ces malades, de ces handicapés à qui on laisse croire par égoïsme et par paresse qu’ils ne valent plus rien.
Rappelons-le : ce sont déjà des chrétiens qui ont développé les soins palliatifs. Notre devoir est d’aimer et d’accompagner plus que jamais ces enfants du bon Dieu, à la veille et à l’heure de leur mort.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°351 Octobre 2022