Quelle sobriété ?

Aussitôt qu’Emmanuel Macron a parlé « sobriété », début septembre, les matérialistes et libéraux de tout bord lui sont tombés dessus, l’accusant, pour les plus complotistes d’entre eux, d’organiser la pénurie (dans quel but ? on ne le sait toujours pas). Il est étonnant que ce petit et joli mot produise si grand effet dans notre monde. Emmanuel Macron n’a pas crié effondrement, disette, famine, apocalypse ; non, seulement sobriété, c’est-à-dire étymologiquement et pratiquement capacité à rester maître de soi. Pour un temps qui se fait fort de réprimer le moindre écart physiologique, prône une vie saine, fait l’apologie de l’homme neuf, animal comme les autres inséré dans un environnement qui serait dénué de tout mal absurde, homme même parfois augmenté, technicisé, « sportisé », cet hébétement devant une aspiration si simple est étonnant.
D’autant plus que, si l’on creuse un peu, on sera surpris encore par la définition que donne de ce terme le président progressiste : « La sobriété ça veut juste dire gagner en efficacité […] en traquant à chaque instant les coûts cachés. […] Tout ce qu’on peut faire pour produire encore davantage mais en dépensant moins. […] Cela ne veut pas dire produire moins ou aller vers une économie de la décroissance. » C’est-à-dire, rassurez-vous, que rien de notre système d’abondance productiviste ne sera remis en cause. Les goinfres pourront continuer de goinfrer, les rapaces de rapacer, les luxurieux de luxurier. On ne va pas prendre soin de l’âme de l’homme, ni de son environnement, on va simplement tuer-les-coûts, pour que la perfusion soit plus performante, et demeure permanente. L’effort réclamé sera minime, rassurons-nous encore. Pas question de renoncer à tout ce que nous avons arraisonné : tout ceci nous appartient, et il s’agira d’en jouir, sinon plus, mieux.

Ce n’est plus le temps de Churchill
Qui envisage sérieusement d’appeler des populations droguées à la consommation à se déprendre de leur assuétude ? Certainement aucun État contemporain moderne ne s’y risquera. Il est loin, très loin, le temps du Churchill, du sang, de la sueur et des larmes. D’autant que les populations occidentales ne comprennent pas ce qui leur arrive. La seule promesse qu’on leur a jamais faite, le seul serment que ces chefs à plume aient jamais prêté, était d’améliorer leurs conditions de vie. Lesdites conditions ne comportant pas la clause vie éternelle, évidemment.
Les païens eux-mêmes savaient qu’il existait un effort gratuit, un jeûne sans but, destiné à complaire à des dieux qu’une trop haute hybris eût fâchés autrement. Les païens eux-mêmes connaissaient le sens du somptuaire, et avaient édicté des lois à cet effet, pour éviter l’ostentation et partant, limiter le goût de la richesse et de l’abondance. Bien sûr, cela ne marcha pas, mais au moins se trouvait là ce sentiment que le trop-plein tue l’homme et sa grandeur. Notre Ancien Régime chrétien passait son temps à édicter de telles règles, hélas elles aussi suivies de peu d’effets. Comme le remarquait le bon Montaigne, « le vray moyen, ce seroit d’engendrer aux hommes le mespris de l’or et de la soye, comme des choses vaines et inutiles ». Ç’a été très longtemps le travail de l’Église, et ça l’est encore. Mais privée de tout rôle public par une inique République, sa voix porte de moins en moins. Cependant, on rêverait que notre Église de France engageât tout catholique de bonne volonté à baisser son chauffage et à diminuer ses longs voyages. Cela ne coûterait guère, nous ferait repentir et participerait au bien public. La sobriété, vite ! Avant l’immense et éternelle ébriété du Ciel.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n°352 Novembre 2022