Faut-il boycotter le mondial de foot au Qatar ?

Beaucoup se scandalisent de la coupe du monde de football au Qatar et ils ont raison… mais hélas un peu tard ! En effet, c’est lorsque ce pays avait été désigné en 2010 pour recevoir cette coupe du monde qu’il fallait se manifester et tâcher de l’empêcher, car tout ce que fustigent nos belles âmes maintenant était prévisible et pouvait être suspendu.

Bien sûr qu’il était absurde de confier une telle organisation à un pays qui n’avait aucune tradition footballistique et donc aucune infrastructure, et dont le climat trop chaud interdit le déroulement des matchs lors de la période traditionnelle des fins de championnats en juin. Un tel choix aussi peu logique que possible (bien d’autres pays étaient sur les rangs), au profit d’un émirat aussi riche et influent, ne pouvait que laisser planer des soupçons de corruption. Ajoutons l’aberration écologique consistant à devoir climatiser des stades de 80 000 places et, pire, la façon dont ont été traités les milliers de travailleurs immigrés réquisitionnés pour ces travaux pharaoniques dont la plupart seront détruits après la compétition ! La presse a évoqué 6500 ouvriers qui seraient morts sur ces chantiers.

Maintenant le mal est fait et s’il est utile de continuer à le dénoncer, il est quelque peu hypocrite de s’indigner d’un choix que l’on s’est bien gardé de contester quand il était encore temps. Les responsables de la Fifa ont là une terrible responsabilité, mais il y a longtemps qu’ils ont accepté que l’Argent fût le maître de ce sport et y dictât sa loi d’airain. Le choix du Qatar n’est que la conséquence logique de la primauté donnée au profit et à la rentabilité, faisant du foot un sport-spectacle qui perd peu à peu son âme. Car enfin, il n’y avait nulle inéluctabilité à cette dérive financière, elle a été sciemment décidée, provoquée en vue de gains toujours plus élevés, faisant des clubs des entreprises multinationales capitalistes jouant sur toutes les facettes de la publicité et de la consommation, avec des droits télévisés faramineux permettant des salaires extravagants et indécents !

Cette évolution pouvait être empêchée, et sans doute pourrait-elle l’être encore, mais la volonté de tous les acteurs manque singulièrement, car ils y perdraient trop financièrement. Une première mesure très simple serait de limiter à deux ou trois joueurs le nombre d’étrangers par club sur le terrain. Cela était la règle jusqu’en 1995, lorsque l’arrêt Bosman, imposé par la Cour de Justice de l’Union européenne (de quoi se mêlait-elle ?), a supprimé la limitation du nombre de joueurs étrangers, modifiant profondément la physionomie des championnats nationaux… qui n’avaient dès lors plus rien de national ! Les championnats européens se sont internationalisés en attirant par l’argent les meilleurs joueurs venant notamment d’Afrique et d’Amérique du Sud, appauvrissant grandement leurs propres championnats. Aujourd’hui, les clubs prestigieux forment très peu de leurs grands joueurs, ils les achètent ou les vendent à prix d’or sur ce qui s’apparente à un marché aux esclaves – esclaves particulièrement privilégiés il est vrai.

Si l’on voulait aller plus loin il faudrait casser la logique capitaliste des clubs qui appartiennent à des multimilliardaires ou des fonds de pension pour revenir à ce qu’ils étaient, selon un modèle associatif à but non lucratif dont les villes seraient les principaux responsables. Inutile de dire que dans notre contexte multiculturaliste de mondialisation où l’argent est la fin de tout, ce serait plus qu’une révolution : un véritable tsunami !

Mais le football, sport le plus populaire du monde, y gagnerait. Aujourd’hui, par exemple, selon cette logique de l’argent, pour voir les matchs de la Ligue des Champions, il faut passer par des chaînes de télévision payantes.

Tout cela dessine un environnement peu reluisant pour le football ; il demeure cependant un sport très populaire. Faudrait-il boycotter le mondial au Qatar et refuser de voir les matchs, faisant ainsi baisser l’audience et touchant donc les organisateurs au point le plus sensible, celui de l’argent ? Ce serait assurément efficace si ce boycott avait une chance d’être largement suivi. Mais on en est très loin, et faut-il priver de ce spectacle tous ses amateurs qui ne sont en rien responsables de ces dérives ? Ajoutons que dans un monde où toutes les relations humaines se délitent, le football a cette capacité, certes très imparfaite, de créer du lien et de la mixité sociale, et même de contribuer à maintenir un semblant de patriotisme, sans aucun doute quelque peu primaire et glissant parfois vers un chauvinisme contestable, voire, hélas ! vers la violence ; on préférerait que le fair-play soit la règle, mais il n’est pas antinomique du patriotisme comme on le voit encore un peu dans le rugby.

À propos d’hypocrisie, le comble est atteint quand les Occidentaux entendent faire la leçon au Qatar et au monde entier en arborant le brassard « inclusif » « One Love » contre les discriminations, autrement dit en prétendant imposer à tous leur propre vision morale dont une large partie de la planète ne veut pas. Sans doute parce qu’elle compte des musulmans en son sein, l’équipe de France a refusé de se plier à ce diktat, on ne s’en plaindra pas…

Christophe Geffroy

© LA NEF le 1er décembre 2022, exclusivité internet