Sapiens et le climat

Olivier Postel-Vinay, longtemps rédacteur en chef du magazine scientifique La Recherche, est le fondateur et directeur de Books. Il a publié La comédie du climat. Comment se fâcher en famille sur le réchauffement climatique (JC Lattès, 2015). Il nous parle ici de son nouveau livre (1).

La Nef – Vous approchez l’histoire d’une façon originale par l’influence du climat : comment se manifeste cette influence sur l’histoire ?
Olivier Postel-Vinay
– L’idée déjà ancienne que les changements climatiques peuvent exercer une influence parfois déterminante sur notre histoire est désormais étayée par un impressionnant corpus de travaux scientifiques. Les techniques d’investigation des climats anciens ont beaucoup progressé au cours des dernières décennies et nous sommes maintenant en mesure de revisiter des pans entiers de l’histoire humaine depuis l’avènement d’Homo sapiens voici environ 230 000 ans. Une nouvelle grille de lecture se met en place, qui nous invite à repenser parfois en profondeur des évolutions et des événements que nous croyions bien connaître. Des changements climatiques avérés, parfois sans commune mesure avec l’actuel, sont bien documentés. Les sorties d’Afrique de Sapiens se sont opérées à la faveur de périodes douces et humides. La fin de l’empire romain ne peut plus se comprendre sans faire valoir les agressions du climat qui se sont produites à la fin du IIIe siècle et plus encore aux Ve et VIe siècles. Pour interpréter le déclenchement de la Révolution française il faut désormais prendre en compte les événements climatiques qui se sont succédé à partir de l’automne 1787.

Comment résumer les grandes évolutions du climat depuis l’apparition de Sapiens ?
Avant la sortie d’Afrique, Sapiens a été soumis à des sécheresses inconcevables : l’immense lac Tanganyika, profond par endroits de 1500 mètres, s’est vidé. Mais il a aussi connu une période interglaciaire comparable à l’actuelle. Une fois en Europe, il a éprouvé 20 000 ans de chaos climatique, avec alternance de périodes glaciales et d’intermèdes tièdes. Le néolithique s’est développé à la suite d’un formidable coup de ciseaux, marqué par deux réchauffements brutaux séparés par un retour à une période glaciale. L’agriculture et les premières cités sont apparues à la faveur d’un « grand optimum » en moyenne plus chaud qu’aujourd’hui. C’est aussi l’époque où le Sahara était « vert ». Des sécheresses successives ont par la suite eu raison de grandes civilisations comme Sumer, le haut empire égyptien, Mycènes, les Hittites, plus tard les Mayas. L’« optimum médiéval » vit l’érection des cathédrales, le Petit âge glaciaire, qui eut raison de la brillante dynastie Ming, présida à l’instauration du parlemantarisme en Europe.

En quoi la connaissance historique du climat nous éclaire-t-elle sur la situation présente et notamment sur la responsabilité de l’homme quant à son évolution ? Le réchauffement actuel, par sa rapidité notamment, est-il un cas unique et inquiétant ?
Au regard des climats du passé, le réchauffement actuel ne présente à première vue rien d’anormal. Des réchauffements beaucoup plus prononcés (jusqu’à +20°C en Europe) se sont produits en quelques décennies, notamment au lendemain de l’âge des grottes ornées. Si l’on considère la seule période historique, les humains ont connu trois phases, nommées « optimums », aussi chaudes que de nos jours ; voire plus chaudes pour deux d’entre elles. Si le réchauffement actuel peut légitimement générer une inquiétude, c’est qu’il est peut-être dopé par nos émissions de gaz à effet de serre. Mais comme le démontre l’existence d’un fort réchauffement dans les années 1920-1940, il n’y a pas de corrélation simple entre l’intensité de ces émissions et l’évolution des températures.

Vous évoquez en conclusion de votre livre « une crise climatique par anticipation » : que voulez-vous dire et comment jugez-vous la façon dont la question climatique est aujourd’hui traitée ? Et plus précisément comment analysez-vous le discours scientifique sur cette question, est-il aussi unanime dans le « catastrophisme » que les médias le prétendent ?
Au vu des climats du passé, nous vivons un optimum. Je souscris à la conclusion du physicien américain Steve Koonin pour qui « il n’y a pas de crise climatique » (2). Si crise il y a, elle est dans nos têtes, elle sévit par anticipation. La grande inconnue est de savoir si l’injection par les humains dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz à effet de serre ne va pas accentuer le réchauffement au point de provoquer une crise. Sur ce point, contrairement à l’unanimisme de façade présenté par le GIEC, les opinions divergent.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Olivier Postel-Vinay, Sapiens et le climat. Une histoire bien chahutée, La Cité, 2022, 350 pages, 21 €.
(2) voir son livre Climat, la part d’incertitude (L’Artilleur, 2022) et son entretien dans le magazine Books, janvier 2022.

© LA NEF n°353 Décembre 2022