La Sacré-Cœur de Montmartre à Paris © Pixabay

« Il n’y a pas de crise des vocations mais une crise de la foi »

Nous reproduisons, avec l’aimable autorisation de L’Incorrect, l’entretien de Christophe Geffroy, directeur de La Nef, paru dans L’Incorrect n°59 de décembre 2022, dans le cadre de son dossier « Y aura-t-il encore des cathos à Noël ? » (cf. https://lincorrect.org/).

Dans quelle mesure la France manque-t-elle de prêtres ? Ce problème est-il inédit à cette échelle ?

Tout au long de notre histoire, la France a eu un nombre de prêtres assez important, même si cela nécessiterait une étude plus fouillée : la Révolution française, par exemple, a provoqué dans certaines régions la disparition de paroisses et nombre de fidèles n’ont pas vu de prêtres pendant des décennies.

Aujourd’hui le nombre total de prêtres est non seulement à un niveau bas (moins de 14 000) et en chute rapide (encore 29 000 en 1995), mais la moyenne d’âge du clergé est élevée, ce qui explique d’ailleurs la chute rapide. On perd environ 600 prêtres chaque année, alors que les ordinations tournent autour de la centaine, le nombre de prêtre va donc encore baisser de façon mécanique.

Oui, à cette échelle et hors de toute persécution brutale (contrairement à la période révolutionnaire), c’est un problème inédit.

Dans La Nef, vous expliquiez qu’il n’y avait pas de « crise des vocations » à proprement parler, mais plutôt une « crise de la foi ». Qu’est-ce-à-dire ?

Parler en effet de « crise des vocations » me semble impropre, il s’agit davantage d’une crise de la foi et de la pratique. Il est illusoire d’espérer autant de vocations quand on a un taux de pratique religieuse de 40 % que lorsque l’on est à 1,5 % comme aujourd’hui. Si on corrèle le nombre d’ordinations à la pratique religieuse, on s’aperçoit que ce taux ne varie pas beaucoup et que l’on a des ordinations en rapport avec la pratique religieuse.

Comment dès lors susciter des vocations sans catholiques ? N’y-a-t-il pas des réformes à engager sur la prêtrise en tant que telle : statut du prêtre, organisation ecclésiale, etc. ?

Il y a des réformes spécifiques à engager pour enrayer la « crise des vocations », mais le vrai remède serait d’agir sur la pratique religieuse et donc d’augmenter le nombre de croyants pratiquants : s’il y avait plus de familles catholiques convaincues, il y aurait forcément aussi plus de vocations. C’est bien un problème de foi, et donc aussi d’évangélisation, et notamment de réévangélisation des milieux catholiques eux-mêmes.

Cela étant dit, il existe à l’évidence aussi des remèdes plus spécifiques pour dynamiser les vocations en tant que telles : valoriser la figure du prêtre, organiser des séminaires plus attrayants, plus exigeants aussi, etc. Le contexte actuel des abus sexuels dans l’Église n’aide certes pas à améliorer l’image du prêtre, mais raison de plus pour ne pas la dévaloriser encore plus en voulant absolument désacraliser tout ce qu’il représente comme certains le voudraient, alors même qu’il convient d’insister sur la grandeur de cette vocation qui dépasse totalement la personne : cette vocation est grandiose en ce sens que le prêtre se trouve être le Christ lui-même parmi nous lorsqu’il offre le Saint Sacrifice de la messe et qu’il agit à l’autel in persona Christi. De même remet-il les péchés au nom du Christ. Le prêtre en tant qu’homme n’a pas de mérite – en cela il ne s’agit pas de le mettre sur un piédestal –, mais il est bien à part et porte en lui une dimension sacrée qui le dépasse et qu’il ne faut pas éliminer.

Les séminaires tradis sont-ils pleins contrairement aux autres, comme on l’entend dire ? Comment l’explique-t-on ? Est-ce un phénomène purement français, ou plus général ?

Les séminaires tradis sont en effet pleins, mais ils ne sont pas les seuls, d’autant plus qu’étant peu nombreux, ils rassemblent forcément des candidats venant de partout. Si certains séminaires diocésains (ou maintenant le plus souvent interdiocésains) ont en effet trop peu de candidats au point parfois de devoir fermer, d’autres séminaires non tradis ont beaucoup d’entrées, au point que le séminaire qui recrute le plus en France, et de très loin, est celui de la Communauté Saint-Martin à Evron (Mayenne). D’autres comme ceux de Paris, Ars, Toulon, Vannes ou Bayonne ont également des vocations. Quel est leur point commun ? Ce sont des séminaires exigeants qui ne bradent pas la foi et la discipline, et s’inscrivent dans une perspective traditionnelle, sans chercher de rupture avec le passé. Il est faux de croire qu’en rabaissant les exigences on n’attire davantage les âmes, c’est exactement le contraire qui s’est toujours produit, c’est en cela que les revendications progressistes de toutes sortes, si elles étaient suivies, ne feraient qu’aggraver la situation.

Pourtant, la célébration traditionnelle a pris du plomb dans l’aile avec le pape François. Pourquoi s’attaquer ainsi à ce qui pourrait être le véhicule d’un ré-embrasement de la foi catholique ?

De fait, l’autorité, au prétexte de quelques brebis galeuses, a puni toute la mouvance traditionaliste qui est pourtant loin d’être un tout homogène. Il y avait sans doute des mesures nécessaires à prendre, mais en les ciblant. En visant tout le monde sans nuance, on a créé un véritable sentiment d’injustice, sentiment d’autant plus exacerbé que chacun peut constater que l’Église d’Allemagne glisse progressivement vers le schisme sans réaction notable de Rome et que l’Église se débat dans des affaires d’abus sexuels où la hiérarchie est mise en cause pour sa carence à appliquer ce qu’elle avait elle-même préconisé. Dans un contexte aussi lourd, quelle urgence à cibler les tradis avec des méthodes de bulldozer ? Sommes-nous si nombreux qu’il faille mettre au pas une minorité certes parfois turbulente et indisciplinée, mais dynamique et innovante, aggravant ainsi les fractures déjà nombreuses dans notre pauvre Église ?

De fait, on a l’impression d’une Église traversée par une fracture générationnelle, avec d’un côté des anciens critiques vis-à-vis de l’institution, de ses rites et de sa verticalité, et de l’autre des jeunes réclamant davantage de transcendance, de clarté doctrinale et de visibilité des clercs. Cette impression certes schématique décrit-elle une réalité ? Comment expliquer ce face-à-face ?

C’est sûrement un peu caricatural, mais ce schéma correspond assurément à une certaine réalité, réalité au demeurant confirmée par les études d’un Yann Raison du Cleuziou. Deux exemples pour appuyer ce schéma : les JMJ d’abord ; les jeunes assez nombreux qui s’y retrouvent sont loin des querelles de leurs aînés, beaucoup passent d’une session à Paray-le-Monial au pèlerinage de Chartres, aiment les belles liturgies, recueillies, sacrées, se confessent régulièrement, participent à des mouvements de jeunes, soit de prière, d’évangélisation, de charité… La Manif pour tous, ensuite, et tout ce qui s’est créé dans son sillage comme les Veilleurs… Il y avait beaucoup de jeunes parmi les manifestants, la plupart catholiques militants qui tranchaient avec l’habituelle retenue de leurs aînés. Beaucoup sont maintenant engagés dans des structures qui marquent le renouveau de l’Église de France.

À ce titre, que vous inspirent les conclusions pour le Synode sur la synodalité rendues par les fidèles français ?

Le processus, en France, a été opaque, personne ne s’y est vraiment intéressé sauf ceux qui avaient un agenda tout prêt, si bien que les réponses ne représentent que 10 % des catholiques et que les jeunes n’y ont pas participé. C’est un couper-coller de toutes les vieilles lunes progressistes qui, partout où elles ont été appliquées par nos amis protestants, n’ont rien amélioré du tout, cela devrait quand même faire réfléchir ceux qui s’obstinent malgré tout à nous resservir leurs vieilles recettes ! C’est de ces impasses qu’il convient au contraire de sortir.

Propos recueillis par Rémi Carlu

Mis en ligne sur le site de La Nef le 13 décembre 2022