Michel Onfray en 2012 © Fronteiras Deio Pensamento-Wikimedia

Mourir pour Michel Onfray ?

TRIBUNE LIBRE

Michel Houellebecq a accepté de débattre avec Michel Onfray dans les colonnes de son bulletin Front populaire et l’en voilà bien puni. Puni pour de multiples raisons, on le verra, mais d’abord puni dans sa légitimité d’écrivain. Quelle mouche l’a piqué en effet d’aller débattre avec le grand mage athéologue qui n’a guère à dire que des propos de comptoir ? D’aller débattre avec celui qui fut naguère son pire ennemi, parce que pire jaloux, par exemple quand à l’époque de La Possibilité d’une île (2005), où Houellebecq le moquait, Onfray rétorquait dans les pages de Lire : « Globalement, depuis Extension du domaine de la lutte, Michel Houellebecq, l’auteur qu’on dit culte, illustre un nouveau genre : le roman de la petite santé (…) Entre rafales d’attaques ad hominem, le valeureux éructe bave et fiel contre le racisme anti-Blancs de la gauche, les écologistes, les surréalistes, l’art contemporain, la poésie d’aujourd’hui (l’antidote des poèmes entrelardés dans le corps du roman, entre délires SF sur le clonage de néo-humains et scènes de cul indigentes, mérite le détour…), les droits de l’homme et la faim dans le monde – des «conneries» –, les pauvres, les SDF. Notre homme pourrait sans problème adhérer au Front national. Où l’on voit définitivement qu’il ne peut s’agir de Houellebecq lui-même qui fut du comité de soutien de Jean-Pierre Chevènement aux dernières présidentielles – aux côtés de Pierre Poujade ».

Où l’on jugera d’une des mille palinodies du faux philosophe dont une partie de la droite a étrangement depuis quelques années fait son prophète (alors qu’au moins trois excellents ouvrages ont démonté la vacuité de sa pensée depuis vingt ans : Anti-traité d’athéologie, de Matthieu Baumier ; Onfray, la raison du vide, de Rémi Lélian ; et Monsieur Onfray au pays des mythes, de Jean-Marie Salamito).

De prophète, de faux prophète, parlons-en. Car en la matière, Houellebecq n’a rien à envier ni à Onfray ni à Mahomet : à cette même époque, en 2005, faisant la promo de son livre, le romancier raconte que dix ans plus tard, l’islam qui ne fut qu’une sorte de punk passager, se sera adouci et sera devenu cool. En 2015, donc, qui manque de bol est l’année de Charlie et du Bataclan. Et de Soumission.

Mais bref : quelque erreur ou mensonge qu’on puisse lui reprocher (« De toute la durée de ma vie littéraire, je ne donnerai plus d’interview au Figaro ! »), Michel Houellebecq demeure intellectuellement cent deux coudées au-dessus de Michel Onfray, et on se demande ce qu’il est allé faire dans cette galère. Aujourd’hui que le recteur de la Grande Mosquée de Paris porte plainte contre lui pour certains de ses propos tenus dans cette discussion (« Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent »), Michel Onfray le lâche en rase campagne. Michel Onfray, qui est « co-directeur de la publication » de Front populaire, étrange titre qui à notre connaissance n’existe pas, aux côtés de Stéphane Simon, sent passer le vent du boulet et se hâte de flatter dans Le Figaro des musulmans qu’il n’avait pas pris la peine de défendre dans son propre canard.

À la question téléphonée du journaliste Alexandre Devecchio, « ces propos ne sont-ils pas injustement globalisants ? », le sophiste de répondre illico : « Vous avez raison, une globalisation ou, comme on dit aussi, une essentialisation est toujours fautive (…) Je comprends qu’une partie des musulmans puisse être blessée si elle n’a pas le souhait de dialoguer, d’échanger, de débattre, de s’installer dans les jointures de ces approximations inévitablement dues aux généralisations, aux essentialisations, et qu’elle préfère juger, sinon condamner, plutôt que d’échanger ou même : avant que d’échanger ». On passera sur l’absurdité de la deuxième phrase, qui dit comprendre que des gens qui refusent de débattre se sentent blessés, pour garder surtout ce propos : Michel Houellebecq a commis une faute – dans mon propre journal et je n’y ai pas répondu – et il devrait en assumer les conséquences.

Quelles sont ces conséquences ? Pas moins que le tribunal islamique, si l’on en juge à la suite : « Dans un monde idéal où les musulmans seraient soucieux d’incarner la miséricorde chère à Mahomet, une vertu si souvent invoquée dans leur saint Livre, Michel Houellebecq serait moins renvoyé devant un tribunal laïc et républicain que devant un aréopage de docteurs de l’Islam qui se ferait fort d’examiner les propos de l’écrivain, de le critiquer, de le contrer sur le terrain intellectuel, de lui montrer qu’il se trompe, qu’il a tort, et d’argumenter contre lui pour que la vérité se dégage. » On a bien lu : un aréopage, qui désigne originellement le tribunal suprême chez les Grecs, devant quoi le pauvre romancier devrait s’expliquer, en rien aidé par son comparse qui n’y est certainement pour rien. Comparse qui n’est plus celui qui disait, au hasard, dans Causeur en 2020 : « L’islam revendique clairement l’universalisation de sa doctrine et, comme je suis concerné et que je ne suis pas antisémite, homophobe, misogyne, phallocrate, belliciste – des “valeurs” selon nombre de sourates du Coran, il est en effet plus à craindre [que le catholicisme] ». Il a dû changer d’avis entretemps. Et comme il le dit dans cet entretien de Front populaire : « Se mettre en colère contre l’islamisme, ça me parait peu vraisemblable, malheureusement. Les hommes préfèrent vivre soumis plutôt que mourir libres et triomphants ». Tu l’as dit, soumis !

Il est vrai qu’Onfray reproche à Houellebecq de croire que la guerre civile est encore à venir, quand lui sait qu’elle est déjà là. Et il a manifestement choisi son camp, comme on pouvait s’y attendre, celui de la collaboration. Comme en 42, il achève ainsi sa péroraison dans Le Figaro : « “L’islam de France” est une généralisation, une essentialisation ! Aucun des musulmans que je connais ou que je rencontre n’aspire à envoyer au tribunal quiconque ne pense pas comme eux : voilà pour moi le bel islam de France, un islam qui fait de la philosophie des Lumières son héritage. »

Collabo, Onfray a même son juif à balancer. Il s’appelle Finkielkraut. Parce que durant que ce drame se nouait, un monde parallèle se mettait en place sur Europe 1, chez Sonia Mabrouk, dimanche 1er janvier, où notre Michel Homais (ft. Muray) étalait ses balourdises, sans réaction de personne. Et là, surprise, la nouvelle idole des cathos du Figaro tapait comme un sourd sur une autre idole des mêmes. Durant cette émission d’une heure à la gloire de l’Épicure de Basse-Normandie, où censément ce grand dialogue de Front populaire faisait le fonds du sujet, pas une seconde les propos sur l’islam n’étaient évoqués. En revanche, la persécution que subit Michel Onfray venait sur le tapis.

Les propos y sont tellement surréalistes qu’ils méritent d’être retranscrits.

MO : « Les revues de presse dans les radios d’État sont totalement idéologiques, payées avec l’argent public, l’argent du contribuable. La plus grande part de la presse est subventionnée aujourd’hui par l’argent public alors qu’elle appartient à des milliardaires… »
Sonia Mabrouk l’interrompt [on est sur une radio qui appartient à un milliardaire] : « Vous pensez que vous n’y êtes pas dans ces médias parce que vous tenez un tel discours ? Alain Finkielkraut, par exemple, a une émission, « Répliques », sur le service public où, peu ou prou, il tient le même discours que vous sur certains sujets. Pas tous, certes : sur l’Europe, par exemple, ce n’est pas le même…
Eh ben, voilà, vous avez tout dit, vous avez fait la question et la réponse. Moi, je n’ai jamais demandé qu’on fasse le compte des Noirs dans l’équipe de France, et je me suis fait virer de France culture, moi. Pour quelle raison je suis blacklisté ?
Pour des positions européennes, vous pensez ?
Mais bien sûr. Je ne vais pas faire un bilan de ce que Finkielkraut a raconté, mais enfin sur certains terrains, c’est pas terrible. Moi, je n’ai jamais tenu des propos comme ceux-là, jamais. Je n’ai jamais été au tribunal, moi, pour des incitations à la haine raciale. Jamais. Je n’ai pas de condamnation, je n’ai jamais été envoyé au tribunal. Pourquoi je suis interdit de service public ? (…) Parce que je touche à l’Europe, parce que je suis pour le Frexit (…) Et puis, parce que je parle du peuple. Et je ne pense pas qu’Alain Finkielkraut parle beaucoup du peuple ».

Et Michel Onfray, qui s’apprête sans doute à mener une liste aux Européennes avec Florian Philippot, de conclure que lui qui faisait des millions d’écoutes en podcast a été viré de France Culture et pas Finkielkraut, et on se demande bien pourquoi, et en plus il ne l’invite presque jamais à son émission.

En attendant, le codirecteur de publication de Front populaire vient de fixer deux cibles dans le dos, une sur Michel Houellebecq, une sur Alain Finkielkraut. Et nul ne s’en émeut. Il serait temps de nettoyer nos écuries.

Jacques de Guillebon

© LA NEF le 4 janvier 2023, exclusivité internet