L'abbé Gordien en pèlerinage à Jérusalem ©LA NEF

Hommage à un simple curé

ÉDITORIAL

Une fois n’est pas coutume, je souhaite évoquer ici un prêtre qui vient de nous quitter, et que sans doute beaucoup d’entre vous ne connaissaient pas, bien qu’il soit intervenu dans La Nef il y a un moment déjà : l’abbé Cyril Gordien, curé de la paroisse Saint-Dominique, à Paris, rappelé à Dieu à 48 ans. Si je tiens à vous en parler, ce n’est pas seulement en raison de l’affection qui nous liait à lui, mais surtout parce qu’il me semble représentatif de ces admirables « petits » curés de paroisse qui font tenir l’Église dans la tourmente. Et, à en juger par la foule impressionnante qui s’est rassemblée pour ses obsèques (six évêques, 220 prêtres et plus de 2000 fidèles dans une église trop petite), je ne suis pas le seul à le penser. On mesure là à quel point un saint prêtre peut faire rayonner la foi autour de lui et toucher un nombre incroyable de personnes, marquées à vie par la ferveur et le zèle d’une telle âme de feu. Nos quatre enfants, qui lui doivent tant, ont eu la grâce de le suivre en pèlerinage et dans le groupe Even qu’il avait fondé, et je peux témoigner de ce qu’ils ont reçu : il avait un véritable don auprès des jeunes, pas seulement parce qu’il était un bon vivant doté d’un sens de l’humour décapant, mais plus encore parce qu’il savait les élever en exigeant beaucoup d’eux.

À l’heure où certains voudraient nous faire croire qu’il faudrait « désacraliser » la figure du prêtre, adapter la morale de l’Église à l’esprit du monde au prétexte qu’elle serait devenue inaudible et trop exigeante, l’abbé Gordien a prouvé par son influence que les jeunes qui s’ouvrent à la grâce de Dieu aspirent à une vie chrétienne authentique qui ne rabaisse pas son enseignement et ses impératifs. C’est à ce prix aussi que naissent les vocations et l’abbé Gordien en a suscité un bon nombre – ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les séminaires qui recrutent sont ceux qui sont restés fidèles aux traditions immémoriales de l’Église, quand ceux qui ont tout bradé dans un horizontalisme effrayant se sont vidés.
À la messe d’enterrement, le 20 mars, le « testament spirituel » de l’abbé Gordien a été distribué aux fidèles (1). C’est un texte admirable que je vous invite à lire, qui révèle la belle figure sacerdotale qu’il était, tout dévoué, à l’image du saint Curé d’Ars qu’il révérait, au bien des âmes avant toute chose. Et il voyait bien le problème de certains prêtres aujourd’hui, trop mondains ou jugeant le « social » prioritaire au détriment de la prière, de la liturgie et des sacrements : « Il y a pour le prêtre une priorité absolue à se donner à Dieu en lui consacrant du temps : à travers la messe quotidienne, la prière du bréviaire, la méditation et l’oraison, la prière du chapelet, et tant d’autres dévotions qui nourrissent la vie intérieure. Si un prêtre ne prie plus, il ne peut plus porter de fruits. »

Quand on lit ce texte, néanmoins, on ne peut s’empêcher d’éprouver une tristesse : celle de constater combien l’abbé Gordien a souffert par l’Église, lui qui l’aimait tant et cherchait à la servir au mieux en lui donnant tout. Les mots sont durs, mais ils méritent d’être cités, car l’abbé Gordien n’était assurément pas une exception : « À l’intérieur de l’Église, des loups se sont introduits. Ce sont des prêtres, et même parfois des évêques, qui ne cherchent pas le bien et le salut des âmes, mais qui désirent d’abord la réalisation de leurs propres intérêts, comme la réussite d’une “pseudo-carrière”. Alors ils sont prêts à tout : céder à la pensée dominante, pactiser avec certains lobbies comme les LGBT, renoncer à la doctrine de la vraie foi pour s’adapter à l’air du temps, mentir pour parvenir à leurs fins. J’ai rencontré ce genre de loups déguisés en bons pasteurs, et j’ai souffert par l’Église. Dans les différentes crises que j’ai traversées, je me suis rendu compte que les autorités ne prenaient pas soin des prêtres et les défendaient rarement, prenant fait et cause pour des récriminations de laïcs progressistes en mal de pouvoir et voulant une liturgie plate dans une auto-célébration de l’assemblée. Comme prêtre, pasteur et guide des brebis qui vous sont confiées, si vous décidez de soigner la liturgie pour honorer notre Seigneur et lui rendre un culte véritable, il est peu probable que vous soyez soutenu en haut lieu face aux laïcs qui se plaignent. »

Nulle aigreur ou ressentiment chez lui cependant, il était en paix, dans la joie, et jamais il ne remit en cause sa hiérarchie. Mais de tels propos émanant d’un saint prêtre devraient nous faire tous réfléchir à la façon dont nous traitons ce don si précieux que sont nos prêtres. Leur présence est indispensable à la vie de l’Église, leur tâche est immense et bien lourde, ils sont les soldats de la première ligne et prennent souvent des coups, seuls, sans guère de soutien. Le réalisons-nous vraiment ? Je voudrais conclure en rendant un vibrant hommage à ces simples curés par lesquels l’Église tient debout, si rarement choisis pour devenir évêques, qui manifestent un courage et une abnégation remarquables, qu’on aimerait davantage partagés dans les hautes sphères ecclésiales. C’est l’occasion de leur dire ici combien nous les admirons, les aimons et les soutenons, et combien nous rendons grâce à Dieu de nous les donner…

Christophe Geffroy

(1) Nous l’avons mis en ligne intégralement sur notre site.

© LA NEF n° 357 Avril 2023